Au sujet de l'affaire Blutouff, commentée sur le site de maitre Eolas
http://www.maitre-eolas.fr/post/2014/02/07/NON%2C-on-ne-peut-pas-%C3%AAtre-condamn%C3%A9-pour-utiliser-Gougleu
L'affaire est relatée par le principal intéressé: http://bluetouff.com/2013/04/25/la-non-affaire-bluetouff-vs-anses/
qui cite l'argument dit "du procureur":
"c’est comme si on rentrait dans une boulangerie et que l’on se servait "
Et bien l'argument est discutable, et je voudrais le discuter: nous appliquons au monde virtuel un préjugé conçu pour le monde physique et qui se trouve inadapté, voilà ma thèse.
Des faits similaires sont à l'oeuvre dans des affaires récentes : à chaque fois, on retrouve dans les jugements exprimés par la puissance publique, judiciaire ou politique la même erreur, la même confusion quant aux rapports entre fait et idée pour ce qui concerne les objets de la société de l'information.
Alors qu'un geste ou action a un objet et une signification,
- sa signification ne dépend que de l'intention de son auteur
- son objet est exclusivement qualifié par sa signification
Or, la confusion du signe et de la chose est pathologique, elle est dénoncée par le slogan "la carte n'est pas le territoire".
Prenons le document téléchargé par Bluetouff. L'objet ne serait pas protégé en tant qu'objet, mais par l'intention de celui qui le télécharge, qui parce qu'il avoue lui attribuer une signification particulière, devient coupable. Cette attribution de qualité serait ainsi devenue supérieure en importance à la protection physique de l'objet !
Or il n'est possible de statuer objectivement sur cet objet qu'à partir de ses caractéristiques. Pourquoi ? Parce que cet objet est virtuel, c'est-à-dire ENTIEREMENT contenu dans une convention informationnelle. Sa réalité est ainsi ENTIEREMENT conventionnelle, et par exemple, il n'a pas de nature confidentielle intrinsèque hors le droit d'accès qui définit cette confidentialité. Une erreur d'attribution de ce droit change l'objet LUI-MÊME. Il n'y a pas d'intention qui tienne ici pour caractériser a priori l'objet: lisible,lu, point final.
Ici l'objet ne peut être "protégé" que physiquement car il appartient à une classe de choses qui n'a pas intrinsèquement un statut appropriable à priori (ce qui est le cas des baguettes de pain dans la boulangerie du procureur).
Pourquoi? Par ce que ce type d'objet (il est une expression communicable, dont l'être consiste à être communiqué) est par défaut, c'est sa raison d'être, destiné à être téléchargé: il est le contenu duplicable d'un acte de communication. Par conséquent, qu'il soit restreint sous cet aspect est une exception, acceptable et justifiable, mais entièrement contenue dans son expression (sous la forme d'un droit d'accès).
En l'abscence de cette restriction, le document EST public, point. Cet argument, abondamment repris sur ce forum est essentiel, et il tient de par la nature de la notion de "public", ici définie par le fait d'être connecté "au réseau".
Ici, le terme "réseau" ne désigne pas un réseau particulier ou une machine particulière (un STAD), mais "l'inter-réseau" c'est-à-dire l'infrastructure qui rend interconnectable la totalité des dispositifs communicants. L'accessibilité d'une information via cette connectivité-là caractérise une notion de "public" qui n'a pas d'équivalent traditionnel, et qui est une notion nouvelle, non encore prise en compte par les "élites" juridiques.
Cette ignorance conduit et conduira encore à d'innombrables désaccords et polémiques.
Le problème est fondamental et devra ainsi être résolu par une qualification juridique particulière de ces objets-là.
Une piste à mon avis est que ce n'est pas la manipulation licite ou non de ces objets qui doivent être qualifiés par la loi, mais son usage. Si j'obtiens ou stocke un document obtenu sur les réseaux et que j'en fais commerce ou chantage, je puis être poursuivi; de manière équivalente, je ne peux être poursuivi sur la foi de documents obtenus frauduleusement ou dont l'origine ne peut être prouvée.