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Les cantates de Bach

L'ensemble d'oeuvres musicales similaires produites par Johann Sebastian Bach sous le nom de "cantates", sous leur forme "sacrées" et "profanes" est sans aucun doute la plus extraordinaire oeuvre composite globale de l'histoire de la musique. Formée d'au moins 200 pièces identifiées (il y en a en fait bien plus, dont beaucoup d'encore inconnues sans doute), elle manifeste la plus inconcevable variété formelle, tout en restant remarquablement homogène. Un océan dans lequel on peut nager à loisir, émerveillé par ce qui s'apparente à une nature supplémentaire, un complément de la création, ou son achèvement, là je m'égare, mais l'idée y est. 

Les cantates sont connues sous leur forme "sacrées": oeuvres jouées lors de cultes luthériens à Weimar ou Leipzig elles mettent en musique des textes à connotation religieuses, dont on pourrait interpréter le ton, le style ou la profondeur spirituelle. Cela n'est pas le propos, car il faut bien admettre que la musique qui les accompagne est d'une nature radicalement différente. On  va essayer ici d'en expliciter quelques aspects, à défaut de les identifier tous, ce qui est naturellement complètement impossible, le caractère (sur) naturel de ce déferlement étant accablant.

Accablant au sens qu'il parait impossible d'en saisir globalement l'unité, tout comme il est impossible d'embrasser un arbre, ou une montagne. On ne peut que les escalader et revenir épuisé pour dormir enfin, soustrait aux infinies variations d'un monde qui nous dépasse complètement. 

On ne peut ainsi à leur propos qu'évoquer des souvenirs de voyage et bien sur rester pétrifié si on doit dire ce qu'on en pense ou pire choisir celle qu'on préfère parmi toutes les petites pièces brèves. Toutes ? Non pas toutes, certaines sont pénibles, on y pleure trop. Ce sera un aspect: les larmes qui viennent subitement, que l'on ne peut reprendre en main qu'à la faveur d'un écart musical bienvenu qui survient subitement, pour distraire, voire pour faire rire, ouf. 

On peut souligner l'importance de ce qu'il faut bien appeler la "polyphonie" : la plupart des morceaux sont formés de musiques différentes superposées qui s'appareillent harmonieusement, enfin, en apparence: en fait elles sont la plupart du temps complètement indépendantes et se taisent subitement puis repartent sans qu'on ne puisse savoir vraiment comment. Très souvent, on voit bien pourquoi: pour le plaisir qu'elles causent, mais la raison est elle vraiment celle là ? Surtout que l'ensemble est contenu dans une hiérarchie de nécessités où règnent les mêmes types de variétés à la fois répétées et donc existantes mais aussi fugitives et parfois beaucoup trop ("quel gaspillage!" se dit on parfois). Non il y a quelque chose de plus: tout ceci est spontané et n'est pas issu d'un plan, ou bien alors de celui de quelque chose qui n'est pas humain. 

Serait il possible que mon manque de culture musicale me soumette à la magie d'un enchanteur qui à partir de quelques trucs qui se font oublier après chacune de leur apparition endort toute réflexion, toute mémoire, toute analyse ? 

Comment se souvenir d'un "air" de Bach au point de le fredonner ? Cela est impossible: chacune de ses mélodies est un amoncellement de dix airs différents tous accordés ensemble et qui changent en permanence. On ne peut mémoriser cela que structurellement je pense, et encore: d'un endroit à l'autre les choses sont retournées, similaires en écho, mais toujours "pas pareilles", ce qui produit sans soute ce sentiment éperdu de volume, de souvenir perpétuellement déformé de quelque chose qui vient de disparaitre et qui peut être, mais ce n'est pas sur va revenir, préparez vous ! 

Et pourtant, les choses sont claires au demeurant: nulle véritable obscurité. Au point que toute "fausse" note se détecte immédiatement. Quand il s'y met lui même, c'est merveilleusement annoncé et délicatement introduit, comme en s'excusant, puis envoyé avec énergie, et en connaissance de cause, oh combien. 

Parlons des voix. La tradition voulait que les femmes ne chantent  pas. On avait donc des enfants, mais avec le timbre légèrement mâle du gamin, un peu gênant. Alors que les terribles émotions qu'une puissante soprano femme adulte peut transmettre sont souvent effrayantes. Pourtant il est frappant de réaliser que la musique de Bach arrive souvent à se rendre indépendante de ces formes là, comme si les différentes variétés de sa restitution n'étaient que des variantes agréables. D'où l'importance, ou bien n'en est ce que la conséquence, de l'humilité des chanteurs: ceux ci ont en concert, du moins dans les bons, une allure humble et timide qui participe grandement au spectacle, comme si on ne faisait que redire encore une fois quelque chose qui existe de toute éternité. Tu parles: la chanson de ce dimanche là, rien de plus, à dimanche prochain. 

Revenons aux paroles des cantates: même si leur interprétation est oiseuse, et leur sens profond obscur, il est très important de les considérer comme partie intégrale de la musique. Elles en font partie, tout simplement et doivent être considérées comme telles: leur sens premier EST dans la musique et c'est le propre de l'incroyable variété de celle ci que de découper leur mots pour en éclater les sons dans toutes les volutes baroques possibles. La relation entre les sens de ces mots et ce que Bach leur fait subir est une source d'enchantement en soi. Certains effets sont incroyablement hilarants, mais au sens ou un bébé (nous) peut trouver drôle quelque chose de subit qui le distrait ou le surprend agréablement. Des rires et des pleurs à l'extérieur, mais à l'intérieur? 

Certaines de ces paroles sont par ailleurs incroyablement émouvantes et exprimées avec souvent une grande délicatesse. Par contre aucune mièvrerie: la sentimentalité est toute entière contenue dans le face à face avec un extérieur divin parfaitement puissant. L'émotion est humaine mais destinée à quelque chose de très différent de l'humain, ou bien alors c'est l'inverse strict: comme si on en venait à éprouver les émotions de Dieu ! 

On en finirait plus d'évoquer ces souvenirs de voyage. Vers quelles références, vers quels plaisirs passés peut on se tourner sans avoir à en vexer d'autres ? La seule chose possible sans doute, est de se saisir de l'un d'entre eux et de le jouer. Ce plaisir immense est réservé aux musiciens qui s'y livrent, qu'ils en soient remerciés, sans parler de l'auteur dont personne ne peut dire s'il est mort ou vivant pour toujours.  

 

P.S. Il faut entamer ici une discussion qui devra avoir lieu et qui porte sur la nature du religieux dans la musique de Bach. Considérée comme évidente dans le bouquin de Gardiner, entamé après la rédaction de mon éloge, et pour commencer, bien en phase (l'absolue admiration pour le sommet absolu de toute musique possible), il me parait problématique: Bach ne peut pas, à mon sens, être religieux, ou bien alors, et ce ne peut être que la seule hypothèse disponible, il est Dieu lui même...

P.S. Gardiner donne bien des pistes et on pourrait les énumérer. La plus émouvante: l'émotion supérieure d'un choriste de  douze ans à l'enterrement de son père, rejeton de la lignée des musiciens du roi David. La plus immature: celle d'un musicien accompli virtuose doté de l'arme atomique aux funérailles d'une jeune femme de l'âge qu'avait sa mère quand elle le laissa seul, enfant ? La plus cruelle, celle de barbe bleue, l'assassin des enfants qu'il fait chanter et qu'il engendre  par paquets de dix pour les voir tous mourir avec leurs mères ? On en peut plus de voir toutes les facettes possibles de l'humanité se succéder dans la vie du vieux boche. Là encore, il laisse un gout âcre d'infini. 

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