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Les origines du langage

À l'occasion de l'exhumation du blog "anthropoetics" de Eric Gans (1) que j'avais fréquenté il y a trente ans, à l'aube de l'internet grand public, résumons les répétions innombrables de ce qui se pense comme une théorie unique, à la marge de ce qui commence à être une référence universelle, c'est-à-dire la grande théorie de Girard. 

L'origine de l'humanité serait un évènement, c'est ce qu'il y a de commun aux deux théories. Ce qui fait l'objet des critiques de Girard à l'égard de Gans, c'est que le mécanisme en jeu n'est pas le sacrifice, l'opération réconciliatrice, mais le langage, créé en même temps que le sacré lors de la scène originelle. 

L'intéressant est qu'on a ici explicitement, ce qui n'est pas la focalisation de René Girard, une théorie sur les origines effectives du langage, de la religion (disons plutôt du sacré), et en fin de compte, de l'humanité. Le fait est que nul ne s'intéresse à cette émergence de ce qu'on appelle l'homme à partir du primate. Les bavards universitaires sont ici muets: il n'y a que l'évolution qui vaille. On se contente ainsi d'évoquer le fait que ce primate antérieur n'était pas un singe au sens actuel et aussi qu'une évolution graduelle à partir de sociétés de primates supérieurs suffit à tout expliquer. La thèse de l'évènement fondateur est ainsi originale et isolée, voire totalement inconnue, voire rejetée à priori par tous. Nous sommes aux confins du savoir. 

Résumons la théorie. Elle reprend la figure du père assassiné de Totem et Tabou de Freud et en fait développe l'idée dans un cadre différent, exactement comme l'avait fait Girard lui-même avec le bouc émissaire sacrifié.

Métaphoriquement (l'évènement fut-il unique, ou répété dans des communautés distinctes, voire dans la même ? ) un groupe de primates se rassemble autour d'une proie et plutôt que de laisser la hiérarchie des mâles alpha décider des appropriations successives réglées de l'objet du désir commun, on passe à autre chose. 

L'un des participants se met alors à émettre un signal vocal de désignation de la proie partagée et inaugure ainsi un phénomène complexe collectif mettant en jeu l'objet désigné, la collectivité qui le partage, et l'individu qui désigne. Celui-ci montre simultanément qu'il y a un objet, qu'il y a désir personnel et commun pour lui, et que l'appropriation individuelle de cet objet est suspendue, reportée.

L'ostensif de cette désignation crée alors la première phase du langage, l'ensemble du processus ainsi désigné aussi étant précisément le "nom de Dieu" inaugural du sacré. C'est dans un deuxième temps que la remémoration de cet instant, ou rituel, introduit alors précisément la différentiation des langages et son utilisation informative construite. Ce qu'on appelle l'humanité vient d'apparaitre. 

À partir de là, des hectolitres de considérations (sur trente ans d'explications et de propagandes) et de commentaires. Diablement intéressant et convaincant, abordant les définitions possibles de l'Homme, de Dieu, du Langage, les trois choses étant contemporaines, et en rapport étroit. On ne se lassera des phrases intelligentes et signifiantes qu'on peut tirer de tout cela, au point que la théorie devient elle-même une sorte de religion, indéfiniment animables par des rappels permanents de sa ou ses significations profondes, voire sans fonds. 

On notera la parenté de cette considération de la suspension de la signification avec le néant de Sartre ( le "pour-soi" est séparé du monde par le "néant" qui assure sa liberté) et la "différance" de Derrida, éternel gouffre qui sépare le signe du signifié, séparation temporelle et physique, fondement de la signification. Ce n'est pas un hasard, ni une coïncidence, bien sûr, on parle de la même chose.  

Gans parle alors du monde selon ce qu'il fut à l'origine et s'oppose à Girard en y voyant l'amour (c'est le sens de la scène originaire fondatrice, ostentation, présence et renoncement) tandis que Girard y voit le ressentiment ( c'est le sens de la violence mimétique qui ne s'achève que par la violence suprême, le sacrifice de l'aimé ou du Dieu). 

Amour et ressentiment sont les deux formes du Désir de: 

- la perte de l'ennemi adoré  

- la conservation de l'aimé adoré 

Le maintien des deux désirs est paradoxal, car on dépend de la force de l'ennemi et de la faiblesse de l'aimé. 

Le Ressentiment est un amour frustré, l'Amour c'est autre chose... 

Ainsi, et c'est comme cela commence il y a trente ans le blog de Gans, on compare et oppose les sentiments à l'origine de l'humanité: 

- la culpabilité de Freud

- l'épuisement de la violence par le sacrifice de Girard

- l'Amour et le monde commun des hommes de Gans

L'expression "je t'aime" est ainsi un modèle de l'usage initial du langage: un acte qui est signe de ce qu'il promet (etc)

Tout cela a une certaine grandeur: ainsi va le monde. 

 

 

 

(1) Le site de la Generative Anthropology : https://anthropoetics.ucla.edu/views/

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