Les Kants
Y a pas que les critiques, y a aussi le mal radical (2). Reprenons l'ensemble, on l'avait déjà un peu survolé (1).
Kant penseur de l'autonomie l'est aussi de la philosophie elle-même, il fait un authentique "système" complet, en plus démontré: la "critique" c'est de la méta philosophie, et la philosophie philosophe sur elle-même...
On a lu "comprendre Kant" d'Olivier Dekens.
Les bases
Le dantal
Kant invente donc le "dantal" (transcen) qui rompt totalement avec toute psychologie: la métaphysique c'est le possible et les conditions d'icelui. Une connaissance est dantale si elle concerne la possibilité de connaissances.
Cette histoire est centrale et développée dans la CRP (raison pure): le phénoménal est perçu à travers les catégories dans le processus (temporel) du schématisme. L'accord, improbable, s'explique par le dental, qui est "condition" de possibilité d'accord. Ce mystère est central et laissé tel que par Kant, qui n'en fait pas ontologiquement une réalité, et c'est toute la question. On a le phénomènal, le noumènal et ce qui est la "condition" de leurs existences, le transcendantal, mais qui n'est pas pour autant un domaine d'existence.
Fichte en fait le "moi absolu" (c'est ça l'idéalisme), Husserl le "sol absolu" de la perception, et Cassirer les "formes symboliques" issues du culturel. Ce n'est qu'à l'époque moderne qu'on en fait un résultat de l'évolution qui a adapté le cerveau à l'exercice de la perception.
Les formes pures de la sensibilité, l'espace et le temps, sont aussi les formes "transcendantales" par excellence. Elles ne font partie ni du réel, ni des phénomènes, ni des noumènes mais en sont les conditions. On a là les caractères "criticable" du kantisme, liés au degré de réalité qui leur est attribué dans le cadre kantien. Le problème du dental, quoi.
On notera les considérations sur le temps vécu (Husserl, Bergson) par opposition au temps dental, et aussi la relativisation du temps menée par Einstein, qui exposent l'intuition humaine basique (qui a une vraie intuition de la relativité temporelle?) aux découvertes fines de la science et donc au soubassement "réaliste" (que voilà une conception moderne) des nécessités métaphysiques, y compris des kantiennes.
Le transcendantal est l'essence de la distinction entre idée et perception, et l'illusion transcendantale par excellence est ce qui autorise à tort de croire que le sensible peut s'appliquer à l'Idée, et la rendre effective en elle-même.
Le dental est aussi une méthode de pensée. En effet, les choses se trouvant rendues possibles, deviennent définissables (c'est cela l'astuce systématiquement mise en avant par Kant) et donc contraintes. Par exemple, la morale pour pouvoir être fondée, se doit de ne considérer que le phénoménal, soit la connaissance disponible, et par conséquent, le devoir doit être séparé, par principe et par définition, de l'espérance. Belle conclusion.
Le Mal radical
Décrit dans la "religion dans les limites de la simple raison" (2), le mal dit "radical" se définit pourtant, malgré toutes les circonvolutions qu'on trouve ici et là, assez simplement. Dans la mesure où la liberté c'est d'abord ce qui se fixe à soi-même une obligation à respecter, soit des maximes pour guider ses actions, le respect de ces obligations peut être effectif mais sans véritable accord avec ce qui motive l'obligation. Tout ce qui sépare la personne de l'accord avec la maxime est ainsi ce qui induit le mal dit "radical", car à la racine de l'orientation morale. S'en distinguer c'est "restaurer la pureté du mobile" d'agir conformément à ce qu'on s'est fixé, ce qui est la suprême maxime, le "changement de coeur" selon Kant.
On ajoutera que ce mal reste moral, c'est-à-dire imputable à la liberté, donc surmontable, mais par ailleurs reste indestructible: il est la perversité originelle du coeur, le défaut de conformité de l'intention avec le devoir...
Kant ajoute que ce mal, inexpliqué, l'est d'autant plus que son origine se rattache à un "esprit supérieur", d'essence inconnue qui a réussi, à l'origine, à entrainer l'homme...
Avec cette définition-là, on est assez loin du mal "libérateur" de la loi (absurdité contradictoire pour Kant) ou du mal "dégradant" ultime (qui suppose que cela soit possible, ce qui est absurde pour Kant).
Si je puis me permettre, Kant reste assez marqué par le christianisme, et cela, pour le moins.
Les distinctions
Y a aussi la réflexion sur les assertions (analytique ou synthétique suivant que le prédicat est déjà contenu ou non dans le sujet) et les connaissances (apriori si nécessaire et universelle , apostériori sinon).
Au-dessus et surplombant toutes ses grandes avancées, les distinctions ou plutôt LA distinction globale:
- nature/liberté
- théorique/pratique
- sensible/suprasensible
- entendement/raison
L'autre grande distinction étant bien sûr les phénomènes et les choses en soi ou noumènes.
Le sublime
Le sublime est la deuxième forme du beau, et met en oeuvre la distinction entendement/raison: on passe du beau au sublime en changeant de faculté, en passant du perceptible imaginaire à l'idée raisonnable, de la passivité à l'émoi actif, de l'harmonie au chaos, au désordre, à l'océanique, à la fureur.
Le sublime est donc un au-delà des sens, un idéel qui promeut l'homme de culture comme un être nouménal, un être moral.
Le projet
Le projet étant la réunification, la réconciliation intellectuelle de la nature et de la liberté, les deux mondes où se situe l'humain. La liberté, réalité nouménale par excellence étant pourtant racine de tout le problème.
C'est donc bien le plan des 3 critiques, raison pure, raison pratique et finalement jugement que de "réconcilier" les distinctions pour expliciter la question de l'humain. On a bien là le "système" kantien.
(1) http://francoiscarmignola.hautetfort.com/archive/2021/08/15/les-morales-de-la-critique-6332278.html
(2) Le mal radical est expliqué dans "la religion dans les limites de la simple raison" https://fr.m.wikisource.org/wiki/La_Religion_dans_les_limites_de_la_simple_raison/Premi%C3%A8re_partie