Les jugements
Ce qu'on appelle la civilisation est largement basé sur des distinctions appelées à devenir inopérantes avec le temps. La première d'entre elles, la distinction entre justice et morale est en passe d'être oubliée par la frange, c'est un comble, dite "progressiste" de notre déclin maintenant visible.
Car ce déclin civilisationnel et aussi moral fait fi du nécessaire, ce qui a pour fonction avec la justice d'autoriser des intérêts divergents d'accepter des jugements et des intermédiations et donc de continuer à cohabiter après résolution ordonnée de conflits. Pour cela, la décision doit être conduite, exécutée, et au final motivé par l'acceptable, au risque de produire des jugements inacceptables.
Au début il y avait le jugement divin. Dans les sociétés marquées par le religieux, seule l'autorité de Dieu pouvait trancher efficacement: s'y opposer était offense au supérieur absolu et motivait en soi toutes les punitions. Bien sûr les désaccords sur l'appréciation en question générait de la guerre et après tout, la force reste toujours le moyen de tout trancher.
Quand du fait des États et des puissances organisées s'organisa les justices civiles, les règles de conduites se scindèrent selon ce que Dieu, l'Etat et la nature exigeaient et le pouvoir du Roi justifié par Dieu, devenu pouvoir de l'Etat se justifia lui même avec précaution pour se garder primordial en prenant bien soin de distinguer offenses aux principes généraux et offenses aux particuliers. Même autoritaire, et surtout autoritaire, le pouvoir central se doit de se faire voir impartial, ou total, en tout cas conforme aux usages immuables du social global. Le "moral" que l'on juge soi-même, ou pour ses proches, reste entièrement autre chose car essentiellement privé, indécidable, et surtout privé de vraies lois, car il est ce qui échappe précisément au judiciaire, étant le domaine résiduel entre les mains du divin et des individus.
Divin rendu bien plus puissant et riche du fait de l'apparition des lois d'alliance cosmique entre peuple et divin, c'est le fait du judaïsme, et des principes du salut de l'humanité par l'amour du fait du christianisme. Extension divinisée des principes de conduites et lois morales les relations entre homme et Dieu, personnalisées et intériorisées firent la civilisation occidentale. Cela fut séparé soigneusement des lois au sens strict malgré tous les mélanges de discours qui purent apparaitre, car il convenait de donner au pouvoir effectif l'onction religieuse, et donc de lui garantir la puissance et donc la cruauté nécessaire au temporel, tout en préservant la relation directe avec le pouvoir salutaire du divin nécessaire au spirituel.
Les lois de la république et la morale voire le moralisme moderne sont issus de cette séparation et l'ont remplacé. Mais l'histoire ajouta quelque chose, et l'on vit apparaitre contre l'Etat la "question sociale" et de manière générale la revendication essentielle capable de refonder l'Etat, revendication renversant et réorganisant la justice au nom de la morale. Bien sûr, on pris soin dans un premier temps de ne changer que les lois, l'essentiel de la civilisation se conservant, sauf brièvement (cela dura 50 ans en Russie) pendant les révolutions. On notera l'abolition de la morale dans les systèmes totalitaires, l'idée étant centrale dans les idéologies correspondantes: seule la justice aveugle y régnait, soumise au bon vouloir des princes. On notera aussi qu'on semble ici confondre morale et droit naturel, et le fait est que les choses sont liées, la morale étant considérées ici comme "devoir naturel".
Par contre, la question sociale hors révolutions totalitaires et après l'échec de celles-ci resta entière et une nouvelle sorte de morale apparut qui était respect et adoration de principes non pas séparés de la justice mais opposés à la justice. La justice devint "capitaliste" et condamner un voleur de pain devint immoral. Le juste devint ainsi immoral. Toute la période d'après la guerre mondiale fut consacrée à toutes les semi-idéologies en charge de traiter le problème, arrosant les peuples occidentaux de sécurités "sociales" pour excuser, précisément, le capitalisme.
Cette opposition, nouvelle, joua un rôle central dans l'évolution de l'Occident. Mal faite, donc réformable la loi injuste devint alors comme idéal, dit démocratique, l'objet d'un fantasme suprême, celui de la rendre morale, la chose incluant la justice elle-même, chargée, elle aussi, de corriger la faiblesse de la loi par des interprétations et appréciations conformes à cette même morale devenu guide de tout. À ce point, les juges eux-mêmes, de responsable moraux devinrent prescripteurs, cela le leur fut demandé et ils ne se gênèrent que de moins en moins. On en est à la phase finale: le juge se rend responsable lui-même de l'obligation morale, condamnant lui-même les manquements à celle-ci et obligeant à la respecter en maniant les punitions explicitement. Les attendus des jugements, on dirait des prêches mexicains, en attestent: il faut de l'aveu et de la repentance, sinon couic. Cette responsabilité supplémentaire est ainsi maintenant assumée : les attendus du juge sont profondément moralistes et les peines prononcées en rapport direct avec les réflexions correspondantes, dans les limites des lois et quand ces limites sont larges on fait ce qu'on veut.
Et puis sont apparus dans l'histoire des phénomènes nouveaux à traiter, qui surprirent les lois et entreprises judiciaires, condamnés (...) à traiter à l'arrache des problèmes surprenants pour lesquels on leur forgeait, également à l'arrache, des lois nouvelles. Immigration, écologie, féminisme, assistance furent des thèmes éminemment modernes forçant à réflexion et surtout à improvisation. Car au-delà de la simple question sociale, finalement rebattue, des responsabilités nouvelles devaient être exercées, où la planète entière se trouvait concernée. L'humanité souffrante économiquement ou politiquement, les espèces animales menacées partout par la pollution et surtout par le réchauffement climatique, les femmes opprimées par le pourtant moins pire des patriarcats, le peuple français dans son ensemble, exigeant de vivre sa retraite riche et surtout jeune.
Assurer tout cela était devenu une exigence morale, à assumer par la gouvernance aux dépens de toutes les autres politiques envisageables. La loi étant le véhicule des politiques en rapport, les juges sont devenus des exécutants de celles-ci, alliant le baton et l'injonction moraliste administrés en même temps.
On doit mentionner l'idéal motivant tout cela: celui d'une gouvernance mondiale en cours d'organisation, et dont il faut persuader les peuples de la nécessité, action de communication qui bien sûr passe par une nécessaire corruption généralisée, les élites ne s'attrapant pas avec du vinaigre. Le grand projet, appelé "progressisme" réunissait les organisations étatiquo-économiques du monde occidental pour le contrôle d'un rassemblement universel des peuples. Le complotisme afférant à cette description du coupable est effectif et peut être suspect, mais repose sur ce qui par contre est tout à fait évident: un clivage majeur est en train de se creuser dans notre société et une guerre impitoyable est en train de commencer, à l'image de ce qui se passe aux USA. Pas de pardon ni d'excuses à apporter à l'ennemi, et c'est la gauche qui a commencé...
On voit là le changement d'axe d'action de la justice en général, les actions au bénéfice du grand projet n'étant plus soumises à la morale, évidemment, et bien sûr plus à la justice occupée à traiter les sujets déjà mentionnés plus, il ne faut pas l'oublier, les vilaines oppositions au grand projet lui-même. Car la justice est maintenant aux mains d'un camp. Elle fut longtemps aux mains d'un autre, mais en produisant les mêmes dégats, elle est aujourd'hui employée axiologiquement, c'est le moins qu'on puisse dire.
Lois mémorielles et antiracistes, lois écologistes étouffantes allant de la provocation au suicide des agriculteurs jusqu'à l'interdiction au ploucs de rouler en ville, plus l'écrasement fiscal et social des entreprises dans les pays aux trop fortes personnalités historiques afin de mieux les soumettre au projet. Lois anticorruption tatillonnes appliquées avec célérité pour les candidats menaçants à des postes trop élevés, mais enquêtes démesurément prolongées envers des responsables en exercice chargés du projet. Notons bien l'aspect "moral" de la chose: le projet ne peut pas pour des raisons liées à sa moralité essentielle de radieux achèvement de l'humanité, être ralenti par des critiques de ses actions bénéfiques au service du mieux: la formalité de la loi ne doit s'appliquer qu'à l'instauration du bien, et cela à priori, il faut s'y obliger, c'est la morale qui le veut.
Une autre couche judiciaire doit être mentionnée, en plus de cette défense du projet, par ailleurs efficace et opiniâtre, les années de procédure consacrées à Nicolas Sarkozy le démontrent. C'est celle du terrible laxisme qui accompagne la lutte contre l'immigration, la sécurité des biens et des personnes, les fraudes et laisser faire sur les importations de biens soustraits à nos normes et taxes, les fraudes liées à l'assistanat, aux niches fiscales et autres retraites perçues à l'étranger par des morts. Sans parler des présidents en exercice et de leurs collaborateurs, pouvant molester et servir leurs familles à leur gré. Benalla, Koehler on vous voit.
Sur ces sujets, l'indulgence, l'oubli et le manque de moyens règne au grand désespoir des juges nommés dix ans pour enquêter sur LePen et Sarkozy, ou du moins de leurs collègues moins chanceux. Sans parler des policiers contents d'arrêter dix fois les mêmes crapules dix fois excusées de par l'humanité d'une justice qui affirme pourtant être sévère: les prisons sont pleines ! En fait, d'étrangers qu'on ne peut pas et ne veut pas expulser tout de suite, de peur sans doute qu'ils ne reviennent immédiatement. Le moralisme humanitaire compréhensif de l'humanité souffrante est ici la norme, les lois pouvant être appliquées avec discernement: on condamne au bracelet électronique ce qui justifierait de dix ans de prison, la violence perverse de la racaille perdue étant considérée éducable. Les escroqueries à l'argent public commis par des insolvables ne méritent pas mieux, on ne condamne plus au bagne les voleurs de pain.
Et nous voilà au coeur du paradoxe soulevé par ceux qui se réjouissent des condamnations concernant les opposants écrasés: vous vouliez la sévérité de la loi ? La voilà ! Fillon et Le Pen bien pris qui croyaient prendre, sont ainsi donc coincés par la sévérité qu'ils souhaitaient, et qui ne s'applique qu'à eux. On sait maintenant pourquoi: ils suggéraient de modifier un équilibre auquel on tient.
Dire que cette moralité pervertie est absolument immorale est une trivialité, la justice et ses lois ne pouvant être condamnée qu'au nom de cette (longue) critique qui est effectivement "moraliste". Se cacher les yeux devant l'évidence des distinctions à faire au nom d'une stupide sentimentalité, par ailleurs encouragée par la corruption des milieux qui en profitent encore plus que vous EST immoral. Se bat la coulpe qui veut.