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  • Les conservatismes

    Pierre-André Taguieff est l'un des phares de notre époque, et il en a démêlé des écheveaux.

    Ici (1), une admirable définition qui clarifie bien des choses. 

    En gros: le réactionnaire n'est pas conservateur. Il a le culte masochiste du passé et se désespère à jamais devant une décadence qu'il juge inéluctable et terminale. Attitude psychologique et posture dernière, il n'a pas d'objectif à part s'identifier au dénigrement, c'est donc une stratégie vicieuse de communication pour les progressistes que d'identifier les conservateurs, leurs seuls vrais ennemis, à des réactionnaires. 

    Le conservateur veut et peut combattre le progressisme et s'oppose au révolutionnaire et au réactionnaire en ce qu'il reconnait une continuité entre passé et avenir et qu'il récuse donc à la fois la table rase et le prophétisme. Le révolutionnaire, lui n'est que le contempteur déçu de son frère le progressiste libéral, à qui il ne peut opposer que des excès socialisants et populistes. 

    Le progressisme est le culte du mieux situé dans l'avenir qui juge nécessaire la destruction inéluctable du passé. Il faut remarquer que ce principe est évidemment faux en matière de morale, esthétique et religion. Rien que ça. Simplement il a aujourd'hui les habits du cosmopolitisme néo libéral, enfilés directement sur ceux de l'internationaliste révolutionnaire. En cela il est reconnu, tout comme son double, comme profondément nuisible par le conservateur. 

    Le point décisif, l'essence du vocabulaire progressiste distingué c'est le "nationalisme" conspué comme soutien à la nation honnie, gage de toutes les continuités essentielles et qu'on veut abattre en premier (2).

    Ce n'est que s'il perd face à ce qui est effectivement une lèpre décadente que le conservateur se mue en réactionnaire, ou si nécessaire, en comploteur fasciste. On verra en mai prochain. 

     

     

    (1) https://www.revuedesdeuxmondes.fr/article-revue/contre-le-declinisme-le-conservatisme-culturel/

    (2) Ernest Renan:  1882: "À l’heure présente, l’existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n’avait qu’une loi et qu’un maître."

  • Le prélude en mi mineur BWV 855

    Le prélude en mi mineur no 10 du premier livre, BWV 855, est un morceau mystérieux, absolument fascinant. 

    Il a donné lieu à un culte depuis l'arrangement en si mineur du russe Siloti (1), jusqu'au disque de Vikingur Olafsson (5), un délire moderniste en écho. 

    Le prélude est divisé en 2, une partie hypnotique, souvent considérée comme seule version, le 855A, suivi d'un presto délirant ultra bref, qui reprend l'hypnose à toute vitesse. Et puis, on a la fugue qui se déploie dans toute sa classe et qui se trouve la seule fugue à 2 voix de tout le clavier bien tempéré (voir le très pédant, complètement hors de ma portée (6))

    L'arrangement de Siloti (transcription en si mineur) accentue le côté triste mais en change le sens, tout en exploitant magnifiquement la majesté infinie de la répétition mélodieuse et mystérieuse en la marquant solennellement par le grave qui varie pas à pas. 

    La version de Richter est d'une puissance extraordinaire, avec un son d'orgue lointain et une histoire qui se déroulait avec précision en attente de quelque chose, suivie de l'explosion du presto ultra violente !  La fugue est au niveau d'énergie du presto et conclut le mystère. Le son du truc, semblant sortir d'un tunnel était en mp3 à l'aube de ma folie Bach un très très puissant motif... La résonance du truc, qui en fait tout son mystère est travaillé et exploré par Olafsson. 

    Les interprétations se distinguent suivant la vitesse de l'intro, Richter étant un jaguar pressé, alors que beaucoup font dans le Siloti... 

    Gould nous la fait sautillant tut tut tut en détaillant et en chantant comme d'hab.

     

    (1) Sokolov le Siloti https://youtu.be/vXbBOWlkR9g

    (2) Olafsson BWV 855 normal https://www.youtube.com/watch?v=PgKQLV7hfv4

    (3) Richter https://www.youtube.com/watch?v=wp5mPL7IPMc

    (4) Olafsson dans une usine de poissons, avec le Siloti: https://youtu.be/rtT__umjFVY

    (5) Olafsson reworks1 https://www.deutschegrammophon.com/en/catalogue/products/bach-reworks-part-1-vkingur-olafsson-6349

    (6) https://www.musicologie.org/publirem/charlier_bwv_855_2.html

  • Les droits des illégaux

    On voudrait citer, afin de lecture, les textes des lois qui nous gouvernent, actuellement en discussion pour décider d'élire un président en France, prochainement.

    En gros, on a la loi européenne, les concepts qui la soutiennent, et les décisions de justice faites en fonction, pour une situation qui débouche sur un fait: l'impossibilité juridique pour l'Europe liée par ses lois, d'empêcher que des étrangers séjournent illégalement sur son sol. La loi impose donc l'illégalité. 

    En fait l'arrêt est assez bien motivé: l'Italie ne peut punir un refus de quitter le territoire, car cela s'oppose à une directive européenne, d'après le juge. L'obligation est double: la directive n'est pas transposée dans le droit Italien, mais doit s'imposer quand même, et donc peut invalider une peine de prison. 

    L'argument est particulièrement vicieux et sombre: 

    "En effet, une telle peine, en raison notamment de ses conditions et modalités d’application, risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier."

    En gros, en retenant indument la personne, la peine l'empêche de partir... Il doit donc être remis en liberté. Nous sommes là dans les arcanes paradoxales du droit et de ses effets qu'on ne peut qualifier de pervers. Fascinés, et éberlués, nous ne pouvons que respecter et admettre que les lois sont ce qu'elles sont, et qu'elles ne sont mauvaises que d'être décidées par des imbéciles, des fous ou des débiles, les juges mettant un point d'honneur à respecter les volontés et les intentions décidées in fine par les misérables manipulés qui ont élu les premiers sans y réfléchir. 

    La conclusion, toute philosophique, sera donc: Mort aux cons ! 

     

    (1) Directive du Parlement et du Conseil 2008/115 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32008L0115

    (2) Description du principe de Non refoulement, mentionné dans le 2008/115 https://www.unhcr.org/fr/excom/scip/4b30a58ce/note-non-refoulement.html

    (3) Arrêt motivé de la CJUE sur l'affaire Hassen El Dridi, alias Soufi Karim, https://cdre.eu/documentation/documentation-en-ligne/60-documentation-en-ligne/immigration/jurisprudence/949-cjue-28-avril-2011-aff-c-61-11-ppu-hassen-el-dridi-alias-soufi-karim

     

  • Les grandes expériences

    A l'occasion de la présentation du livre de Yasha Mounk (1), une théorisation du thème de la créolisation, de la grande expérience, c'est-à-dire pour ces sociétés parvenues à l'âge moderne (au début du XXème siècle) en étant homogène culturellement et ethniquement, de fusionner avec des peuples venus d'ailleurs récemment et en grand nombre. 

    Le multiculturalisme s'impose sans qu'on l'ait voulu, et pourtant cela s'est toujours mal passé dans l'histoire partout où cela s'est manifesté. Comment faire pour que la chose soit cette fois harmonieuse ? Et bien, il faut conduire et favoriser une, "la",  "Grande Expérience".

    À ce point, deux remarques, ironiques et grinçantes: d'abord que cette chose qui n'existe pas (on doit parler aussi du livre de Laurent Mucchielli, la France telle qu'elle est) est maintenant à l'ordre du jour dans toute sa réalité: il y a bien une fusion à faire, dont acte et l'alternative n'est QUE la guerre civile, qui plus est... Ensuite qu'on n'y peut rien, et que la réalité s'impose, les politiques n'ayant pas "voulu" la chose, bien sûr, simplement des décisions locales ont provoqué des phénomènes de longue durée qui ne peuvent plus être maitrisés et auxquels il faut s'adapter, un peu comme le réchauffement climatique (la chose n'est pas évoquée dans l'entretien, c'est moi qui grince). 

    À la question naïve de la journaliste "ça date de quand?", Mounk précise, gêné que cela est progressif, et prend des années... La journaliste, elle, devait chercher la date à partir de laquelle la chose négligeable que toute une bien pensance juge facile et possible du fait de sa faible ampleur devient un projet à mener pour éviter le "liban en grand"... 

    Revenons brièvement sur la comparaison immigration/réchauffement climatique: on vit hier (nous sommes le 20 Janvier 2022) les représentants respectifs de l'écologie et de l'extrême droite française, Yannick Jadot et Jordan Bardella, s'en prendre avec véhémence à Emmanuel Macron présent à l'assemblée Européenne, sur les deux thèmes séparés que le président en exercice, à la fois président temporaire de l'union, et candidat à sa réélection en France,  n'aurait pas du tout traité, provoquant deux fois le malheur de son pays, tout ceci sous les yeux médusés des représentants européens, et qui d'ailleurs s'en sont plaint ! 

    Revenons à notre juif allemand, prof aux US, qui fort de son expérience du philosémitisme coupable de son enfance européenne, ce qui le gênait autant que l'antisémitisme, veut développer un patriotisme pluriethnique basé sur des différences reconnues mais surmontées, en particulier en évitant le communautarisme du royaume uni, néfaste selon lui, le financement par l'Etat travailliste d'écoles religieuses ayant isolé les populations. Pour cela, il faut positivement partager   un commun, de la "bouffe" à la culture en passant par les paysages, et développer un amour commun et positif de ce qui rapproche très au-delà de l'ethnicité originale. Un "patriotisme inclusif", selon l'intervieweuse... 

    On passe alors à la gauche, au moins aussi pessimiste que l'extrême droite, d'après Monk. Submergée par les considérations sur les discriminations, les inégalités sociales, elle empêche par désespérance, le projet de se réaliser ! 

    De fait les deux pessimismes se conjuguent ! En exagérant les terribles conditions sociales des immigrés (dont la mobilité sociale est en fait bien plus forte, vu le niveau d'origine) elle refuse de reconnaitre le mélange comme possible... De fait, les élites, et cela est comme cela aux US, méprisent le peuple. Or le populisme ne s'évite que si les politiciens acceptent de suivre les volontés populaires, cela afin d'éviter l'accumulation des rancœurs dans les populismes explosifs. La France pourrait être bien placée en ce domaine, ayant des principes (la laïcité semble enviable, depuis les cyniques US, où personne ne croit plus en rien), mais a trop de rigidité dans les applications et argumentations... 

    Bref, un jugement de la planète mars bien réjouissant et bien lucide avec le côté "pieds dans le plat" qu'il convient... De fait, Mounk est proprement Zémmourien, malgré ses dénégations, car ce qu'il envisage est très exactement ce qu'il faut faire, une fois tous les flux entrants arrêtés, bien entendu... 

     

    (1) La grande expérience: https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/yascha-mounk

  • Les maths

    La réalité des mathématiques est bien sur maintenant à l'ordre du jour, du moins pour ma petite psyché.

    Il ne faut pas perdre (1) qui parle de Lautman , un précurseur philosophe de la théorie des catégories et aussi (2), qui parle des fondements. En gros, malgré toutes les élucubrations, les maths continuent de convaincre les grands esprits: les structures derrière existent, et réellement. 

    Au sujet de Lautman, fusillé avec Cavailles (joué par Paul Meurice dans "l'armée des ombres") en 44, il est un condisciple de Herbrand au lycée Condorcet, tout ça va à Ulm en 1925... Par contre, Lautman lui est en philo ! 

    En résumé

    On va d'abord se faire l'écho de certains poncifs méconnus (en tout cas de moi) concernant l'histoire des maths et de ces aspects essentiellement contemporains, un certain Dumoncel me semblant (2) (3) particulièrement saignant.

    On va commencer par les grands principes, et définir ontologie (de quoi parle-t-on?) et épistémologie (comment connait-on?). 

    Puis un point d'histoire, Leibnitz, dans sa démonstration de 2+2=4, oublia l'associativité de l'addition, fit remarquer Frege. En effet, de la définition des nombres comme 1 ajouté au nombre précédent, et en partant de 4, on trouve:

    (2+1) + 1  à égaliser avec 2 + (1 + 1), ce qui ne se peut que moyennant une définition supplémentaire, l'associativité. 

    Frege voulut, contrariant Kant, ramener l'arithmétique à la logique, et cela en niant les intuitions pures de l'espace et surtout du temps, celle-là seule capable de comprendre les nombres. On part donc des ensembles de Cantor, c'est bien lui qui invente la chose, théorisant la séculaire obsession du "multiple qui peut se penser comme un". 

    De fait Frege fonda la logique formelle avec ses symboles, et construit les nombres comme classes d'équivalences des quantités de choses, elles même instances de concepts. Le concept vide n'a pas d'instances, et donc en a zéro, et ce concept vide étant unique dans son genre est donc associé à la quantité un. On construira les successeurs en descendant, chaque concept contenant une chose de plus que son prédécesseur. Au passage, Frege introduit avec des arguments purement logiques le principe d'induction, c'est à dire la récurrence en considérant les ancêtres possédant une propriété et se laisse aller à dire si on peut définir (principe de compréhension) une proposition phi(x), il existe un y tel que x E y... Hélas, alors qu'il allait mettre sous presse son deuxième volume en 1902 (année de naissance de mon grand-père maternel), il reçut une lettre de Bertrand Russel, qui le prévenait: la fonction x /E y appliquée à y introduisait une incohérence qui mettait à bas la théorie des ensembles... Dépressif, Frege reconnut sa défaite. 

    Le logicisme était donc en échec, merci le paradoxe. En fait, Frege continua à fasciner et vu le travail conséquent fourni, continue d'être une référence, il y a des versions affaiblies de son logicisme, quasiment aussi puissantes. On parle ainsi de "néo-logicisme". En tout cas, l'époque Russel et Whitehead continua le projet et fut également plutôt productive... De fait c'est Goedel qui enterra définitivement le logicisme, l'arithmétique ne pouvant pas être théoriquement réduite car pouvant contenir des énoncés vrais indémontrables, on en parla ici. Il y a du synthétique a priori différent du logique. 

    Notons que cette histoire de fonction (qui remonte à Leibnitz), et on voit la séparation des maths, non pas entre arithmétique et géométrie, à la Kant, mais entre les fonctions récursives ou calculatoires, et les fonctions analytiques, analysables, numériques... Par exemple, la fonction qui associe 1 ou 0 suivant à un nombre suivant qu'il rationnel ou non mis du temps à être démontrée analytique... C'est l'ensemble des fonctions de ce type sur tout ensemble infini qui est d'une grandeur strictement plus infinie, selon Cantor. Cette hiérarchie des infinis inconnue du grand public, en a perturbé plus d'un... C'est la grande crise des maths, devenues inconcevables à cause des infinis, rejetés par l'école intuitionniste, qui rejette donc ce qui permet de faire exister des objets indistincts à l'infini, et donc le tiers exclu. 

    Les fonctions récursives primitives permettent de définir les maths dites "finitistes", dont les raisonnements peuvent être faits en temps fini. C'est cette partie des maths, de fait l'arithmétique que Hilbert veut prouver cohérente, avec des méthodes finitistes. C'est ce que Gödel rend à jamais impossible par un théorème démontré avec des méthodes finitistes.

    Cette histoire de déduction "finitistes" est représentée finalement par le calcul des séquents de Gentzen, qui fournit un système de preuves constructives dite de déduction "naturelle". 

    Par contre, avec des méthodes transfinies, mais en n'utilisant qu'un "petit" ordinal infini, Gentzen démontra la cohérence de l'arithmétique de Péano. En parlant de petits ordinaux, on rappelera que w (oméga) c'est le cardinal de N, et que le petit ordinal ont on parle ici, e0 (epsilon zéro) est la limite supérieure de la suite des omégas à la puissance oméga eux mêmes à la puissance oméga et cela "à l'infini" (dénombrable). 

     

    En parlant de Kant, c'est Hilbert, auteur d'une axiomatisation complète des éléments d'Euclide, qui mit fin au statut particulier de la "géométrie". Hideuse discipline qui perturba ma préadolescence, elle était déjà morte quand elle me fit souffrir.  

    Mais continuons avec les grandes théories. C'est Quine en 1948, identifia la querelle des universaux du moyen âge à la querelle des maths du XXème siècle (5):

    Frege, Russel, Whitehead,Carnap 

    Réalisme logicisme
    Brouwer, Poincaré, Weyl Conceptualisme intuitionnisme
    Hilbert Nominalisme formalisme

     

    Gödel sonna le glas de l'ambition de Hilbert. La cohérence n'est pas démontrable avec des méthodes finitistes. A partir de là, Kurt taquin enfonça à mort le "symbolisme", volonté de réduire les maths à des manipulations de symboles, et proclama la réalité des objets mathématiques. 

    Il faut toutefois noter les deux réalismes: le sémantique (qui se contente de rendre objective la vérité des énoncés) et l'ontologique, le réalisme "réel" qui semble impliquer le premier. Disons que le réalisme à part entière inclut les deux. 

    Gödel a beaucoup insisté sur le réalisme en tirant parti de l'indécidabilité, manifestation selon lui de l'impossibilité de la création d'une telle chose... Le fait est que. Cependant, on peut toujours répondre la chose n'a pas à s'engager à résoudre le problème de la cohérence.

    Un autre argument, du à Quine, évoque le réalisme mathématique comme conséquence du réalisme physique, celui ci étant exprimé en termes mathématiques... C'est l'argument d'"indispensabilité".

    L'aporie suivante, ou Gödel est encore mouillé est la question de l'hypothèse du continu, dont la négation est compatible avec la théorie des ensembles axiome du choix compris (1940). On en revient donc à la demi démonstration de la grande conjoncture de Cantor de 1878. Il fallut attendre 1964 pour que Cohen démontre la totalité de l'indécidabilité de l'hypothèse... Par conséquent, 1) il existe bien des ensembles indépendant de notre volonté 2) plusieurs théories peuvent en rendre compte. Et on ne s'en prive pas: le monde mathématique est bien réel. Notez que par enthousiasme, je prends ici position vaniteusement à l'ombre de grands hommes; il y en a pourtant, tout aussi grands, tapis dans l'ombre, et qui caressent l'idée du contraire... L'avenir sera ce qu'il sera. 

    Le dilemme de Benaceraf

    Le platonisme mathématique est challengé. 

    D'abord il y a deux platonismes, le fort et le faible. 

    Le fort est celui de Gödel, le faible celui de Quine. Ils diffèrent suivant la version du réalisme ontologique: le faible se passe d'un accès aux fameux objets, ce que ne fait pas le fort, qui a besoin d'une intuition, défendue par Frege et Gödel. La distinction est donc épistémologique. 

    Ensuite, il y a bien dualité entre l'épistémologique, qui valorise le prouvable, et l'ontologique, qui valorise le réel. Cette distinction est évidemment philosophiquement fondamentale. Le dilemme consiste à opposer les deux positions, en fait irréconciliables sur la question de l'accès aux fameux objets. Seul le platonisme fort serait concerné. En fait, pas vraiment: on ne peut pas expliquer comment il peut y avoir adéquation entre le prouvable et le réel (Field 1989). 

    En tout cas, pour Quine, les mathématiques ont le même statut que le reste de la science, on parle de son "naturalisme".

    Il faut aborder alors la question du structuralisme, associé à Benaceraf (1965) et aussi à Dedekind, les nombres naturels étant selon lui représentés par les relations qu'ils entretiennent entre eux. 

    On a ainsi la discussion de Benacéraf, sur les entiers de Zemerlo (0, {0}, {{0}} ... ) et ceux de Von Neumann ( 0, {0} , {0, {0}} ...), qui sont différents, mais partagent la même structure... La même chose arrive pour les nombres réels définissables de plusieurs manières. Seules comptent les propriétés structurelles des choses. 

     

     

    (1) au sujet de Lautman : https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2010-v37-n1-philoso3706/039714ar/

    (2) les pdf downloadables d'Académia : https://www.academia.edu/700018/Fondements_des_Math%C3%A9matiques?email_work_card=view-paper

    (3) Dumoncel: https://www.academia.edu/700366/Les_fondements_des_math%C3%A9matiques_selon_Wittgenstein

    (4) https://www.academia.edu/1501273/Philosophie_des_math%C3%A9matiques

    (5) Quine et la classification https://books.openedition.org/cdf/1765

  • Les réalités

    On a plongé avec délices dans Bruno Latour (1), et aussi dans le fantastique colloque sur la chose en soi (2). Il faudra y revenir, l'extraordinaire et le super nouveau à comprendre y étant légion, et je suis en dessous du vrai... 

    La question est celle du réel ou plutôt "des" réels et de la multiplication des entités, marque de l'abstraction et délice du monde actuel. Il y a bien sur de multiples manières d'aborder tout ça et on en a jamais fini, et je continuerais, mais là au sujet de Latour et de Gaïa il faut bien protester et on a des points fixes. 

    Avec "les modes d'existence", Latour explose précisément le réel en "domaines", sur l'exemple du "juridique", du "scientifique" et du "religieux", lieux différents imbriqués, "réseaux" de significations dans lesquels se déploient des conditions non pas de véracité, mais de "félicité". 

    Le rationnel consiste donc à abandonner le réel et à surfer entre DES réels amenés à dialoguer, à être entre eux "diplomates". Cette question très importante est sans doute ce qu'il y a de plus important, et le présent des réflexions des hommes s'y consacre quand même beaucoup, c'est mon plaisir que de m'y raccrocher à mon petit niveau de compréhension. 

    La fabuleuse péroraison de Patrice Maniglier qui théorise un nouveau monde, une nouvelle théorie qui subordonne la métaphysique à l'anthropologie est d'abord étincelante et "révélante". Ça souffle, sur youtube... C'est bien sur ce que Latour évoque, et les références sont bien les mêmes. Les "modes d'existence", jeu magnifique et jouissif avec le relativisme, qui n'est bien sûr qu'une manière encore plus "relâchée" de rester rationnel dans l'indécision du rapport à un autre qu'on ne "comprend" pas. 

    Cette question de la compréhension me taraude au plus haut point, et tout ce qui s'y rattache est bon à prendre, gloire à ces gens intelligents qui s'y intéressent avec mes impôts, ceux-là servent... 

    Préambule

    On commencera donc ici par clore une question, qui est la motivation principale de Latour, et dont on peut se passer, pour le plus grand plaisir d'avoir à comprendre, non pas les motivations (on s'en fout) mais le contenu intellectuel de ce qu'il propose, et qui est la vraie valeur de son discours. Gaia, le réchauffement climatique et la peur (enfantine et stupide, de la part d'un pareil génie) de l'extinction de l'humanité. 

    Alors que tout est dû à la Chine, qui en 20 s'est réveillée, a vérolé la planète et menace de pallier la ruineuse expansion démographique par une petite guerre mondiale qui résoudra tout, Latour continue de faire semblant de croire que les bonnes volontés et les bonnes philosophies y feront quelque chose, exactement comme Platon le rêvassait au milieu de l'absurde et de l'injuste de son temps... 

    Comme le rappelle Loic Finaz, ex directeur de l'école de Guerre (4), le fond de l'affaire est "le dialogue mélien": le plus fort militairement, sur un coup de tête et parce qu'un scorpion pique, tuera tous les hommes de la petite île de Mélos, et mettra en esclavage femmes et enfants. Fallait pas résister, même en principe. Ce réel là, qui n'est pas théorisé par Platon devrait pourtant faire partie de la métaphysique, et consacre la seule vraie rationalité ultime, celle à laquelle il faut s'adapter, et qui consacre la force des armes, et aussi des âmes, c'est la même chose. 

    Ceci étant dit, on ajoutera qu'on se fout de Gaïa, qu'une extermination rapide de quelques milliards d'hommes (c'est à ce niveau qu'il nous faut maintenant se situer) est maintenant concevable, possible, voire nécessaire et que cela n'empêchera nullement une population plus réduite, dotée de bons livres, de vivre dans des zones préservées, que m'importe que le centre de l'Afrique ne puisse se faire visiter qu'en scaphandre réfrigéré, on le fait bien pour la lune... 

    Cette éventualité, que le docteur Folamour nous a fait comprendre, doit maintenant être considérée, et le voilà le mode d'existence qui se rajoute aux autres. Ce défouloir commode une fois bien exprimé, il nous faut maintenant, purgé, plonger dans les discours de Latour sans détours, et avec amour, ce type est fascinant. 

    Meillassoux

    Mais d'abord, ngolo ngolo ! (Pardon de la plaisanterie graveleuse). 

    On a lu (6) et aussi "Après la Finitude". 

    En quelques mots, comme on l'a dit, Kant est la mesure de tout et le réalisme se mesure à lui, quoi qu'on en dise. Meillassoux appelle cela le "corrélationnisme" sous la forme d'une pensée duale qui associe structurellement réalité et représentation tout en les séparant à jamais. Le réel est inatteignable, mais constitue la cause du représenté. 

    À partir de là, M. se fixe (bien sûr, et comme il se doit) comme objectif de sortir de cette cage et d'atteindre un dehors absolu qui fait que les tenants de ce "réalisme spéculatif" furent soupçonnés d'un tournant "théologique" coupable. 

    Le fait est que le coup de la "présence réelle" innovation chrétienne des premiers siècles basée sur des affirmations de Jésus lui-même a beaucoup fait parler de lui: d'où les spéculations réalistes sur une réalité hors de la représentation (la substance qui se transforme était tout de même, de la part d'Aquin, un coup magnifique, évidemment réfuté par Scot, qui affirme que les deux substances du pain et du christ subsistent, c'est la "consubstantiation", reprise par les luthériens). 

    On se trouve bien dans les spéculations du XVIIème, Leibnitz disant bien que le corps du Christ est présent mais "pas" comme phénomène, ce qui est bien ce dont nous parlons, et bien sûr pour Descartes, les miettes de pain se mélangeant au corps de qui bouffe sans affecter son individualité, entièrement contenue dans son âme. 

    La nécessité de la contingence 

    Mais on doit faire justice à Meillassoux et considérer son argument, génial il faut le dire. Pour établir la position agnostique qui nie les affirmations de l'athée et du croyant à égalité comme savoirs d'un impossible à penser en soi, il se doit alors de penser quelque chose qui le sort du cercle corrélationniste et qui est précisément la contingence, ici nécessairement absolue. En effet, sinon, la position strictement idéaliste, qui rend impossible tout savoir sur une chose en soi inexistante, rend impossible l'agnosticisme lui-même. 

    Hop ! Le réel en soi est ainsi, donc, non seulement pensable (c'est le corrélationnisme) mais connaissable comme contingent. 

    La pensée amérindienne

    On saute alors à un autre point du colloque, en matière d'autre pensée, et on pourra le faire pendant longtemps: comment les indiens voient les choses... Et bien il les voient différemment de nous, et cela d'une manière relative (c'est un anthropologue qui vous parle, et qui, à tort, désigne sa philosophie comme un ensemble de théories, tandis qu'il voit celle du sauvage comme une croyance). De fait, les amérindiens "pensent" différemment. 

    D'abord, la nature des relations, qui sont omniprésentes dans la définition du monde: tout n'y est que "façon" de voir, et Viveiros de Castro parle de "perspectivisme", chaque être voyant dans les autres quelque chose de particulier, une "personne en soi", qui se substitue à la chose en soi occidentale. L'occidental ainsi, en ayant disjoint chose et soi, a subtitué, et ça c'est bien vu, la "corrélation" à la "relation"... 

    Cela vient d'une histoire du monde ou à l'origine, il n'y avait que des personnes (et pas de monde). Lors d'une "grande transformation", ces personnes se métamorphosèrent en les différents objets de la nature, fleuves, animaux, hommes, et tout garda alors une trace des personnes originelles. Ainsi, tout peut être "vivant", c'est-à-dire avoir la capacité d'agir comme une personne. Cela revient d'ailleurs à donner à la notion de cause un caractère intentionnel systématique. 

    On a donc précisément ce que Descola appelle l'"animisme": la nature est différente de nous, mais a un esprit comme nous, ce qui est le motif dual exact du nôtre, nous nous voyons comme naturel, mais seuls à posséder un esprit... 

    Au passage, l'intéressant doute sur la capacité du soleil à se lever le matin: il le fait comme une personne, c'est-à-dire par habitude, et non pas par nécessité naturelle régulière... C'est cette idée (que je caresse) du religieux comme une volonté de participer au monde, sacrifier un poulet (ou un esclave) étant une humble participation au réveil matinal du soleil... 

     

     

     

     

    (1) https://journals.openedition.org/sociologies/4478

    (2) Maniglier, De Castro https://www.youtube.com/watch?v=BElwq1M4wV4

    (3) Un court résumé des modes d'existence: https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/5194&file=1/

    (4) Loic Finaz Thinkerview https://www.thinkerview.com/loic-finaz-lart-de-la-guerre-et-du-commandement/

    (5) entretien avec Latour et lexique: http://www.yvescitton.net/wp-content/uploads/2014/09/LATOUR-MediasModesExistence-Juin2014-Txt.pdf

    (6) Meillassoux dans ses projets:  https://www.academia.edu/7396728/_Que_le_dieu_soit_l%C3%A0_le_tournant_corr%C3%A9lationniste_de_Quentin_Meillassoux

  • Les handicaps

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