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Les réalités

On a plongé avec délices dans Bruno Latour (1), et aussi dans le fantastique colloque sur la chose en soi (2). Il faudra y revenir, l'extraordinaire et le super nouveau à comprendre y étant légion, et je suis en dessous du vrai... 

La question est celle du réel ou plutôt "des" réels et de la multiplication des entités, marque de l'abstraction et délice du monde actuel. Il y a bien sur de multiples manières d'aborder tout ça et on en a jamais fini, et je continuerais, mais là au sujet de Latour et de Gaïa il faut bien protester et on a des points fixes. 

Avec "les modes d'existence", Latour explose précisément le réel en "domaines", sur l'exemple du "juridique", du "scientifique" et du "religieux", lieux différents imbriqués, "réseaux" de significations dans lesquels se déploient des conditions non pas de véracité, mais de "félicité". 

Le rationnel consiste donc à abandonner le réel et à surfer entre DES réels amenés à dialoguer, à être entre eux "diplomates". Cette question très importante est sans doute ce qu'il y a de plus important, et le présent des réflexions des hommes s'y consacre quand même beaucoup, c'est mon plaisir que de m'y raccrocher à mon petit niveau de compréhension. 

La fabuleuse péroraison de Patrice Maniglier qui théorise un nouveau monde, une nouvelle théorie qui subordonne la métaphysique à l'anthropologie est d'abord étincelante et "révélante". Ça souffle, sur youtube... C'est bien sur ce que Latour évoque, et les références sont bien les mêmes. Les "modes d'existence", jeu magnifique et jouissif avec le relativisme, qui n'est bien sûr qu'une manière encore plus "relâchée" de rester rationnel dans l'indécision du rapport à un autre qu'on ne "comprend" pas. 

Cette question de la compréhension me taraude au plus haut point, et tout ce qui s'y rattache est bon à prendre, gloire à ces gens intelligents qui s'y intéressent avec mes impôts, ceux-là servent... 

Préambule

On commencera donc ici par clore une question, qui est la motivation principale de Latour, et dont on peut se passer, pour le plus grand plaisir d'avoir à comprendre, non pas les motivations (on s'en fout) mais le contenu intellectuel de ce qu'il propose, et qui est la vraie valeur de son discours. Gaia, le réchauffement climatique et la peur (enfantine et stupide, de la part d'un pareil génie) de l'extinction de l'humanité. 

Alors que tout est dû à la Chine, qui en 20 s'est réveillée, a vérolé la planète et menace de pallier la ruineuse expansion démographique par une petite guerre mondiale qui résoudra tout, Latour continue de faire semblant de croire que les bonnes volontés et les bonnes philosophies y feront quelque chose, exactement comme Platon le rêvassait au milieu de l'absurde et de l'injuste de son temps... 

Comme le rappelle Loic Finaz, ex directeur de l'école de Guerre (4), le fond de l'affaire est "le dialogue mélien": le plus fort militairement, sur un coup de tête et parce qu'un scorpion pique, tuera tous les hommes de la petite île de Mélos, et mettra en esclavage femmes et enfants. Fallait pas résister, même en principe. Ce réel là, qui n'est pas théorisé par Platon devrait pourtant faire partie de la métaphysique, et consacre la seule vraie rationalité ultime, celle à laquelle il faut s'adapter, et qui consacre la force des armes, et aussi des âmes, c'est la même chose. 

Ceci étant dit, on ajoutera qu'on se fout de Gaïa, qu'une extermination rapide de quelques milliards d'hommes (c'est à ce niveau qu'il nous faut maintenant se situer) est maintenant concevable, possible, voire nécessaire et que cela n'empêchera nullement une population plus réduite, dotée de bons livres, de vivre dans des zones préservées, que m'importe que le centre de l'Afrique ne puisse se faire visiter qu'en scaphandre réfrigéré, on le fait bien pour la lune... 

Cette éventualité, que le docteur Folamour nous a fait comprendre, doit maintenant être considérée, et le voilà le mode d'existence qui se rajoute aux autres. Ce défouloir commode une fois bien exprimé, il nous faut maintenant, purgé, plonger dans les discours de Latour sans détours, et avec amour, ce type est fascinant. 

Meillassoux

Mais d'abord, ngolo ngolo ! (Pardon de la plaisanterie graveleuse). 

On a lu (6) et aussi "Après la Finitude". 

En quelques mots, comme on l'a dit, Kant est la mesure de tout et le réalisme se mesure à lui, quoi qu'on en dise. Meillassoux appelle cela le "corrélationnisme" sous la forme d'une pensée duale qui associe structurellement réalité et représentation tout en les séparant à jamais. Le réel est inatteignable, mais constitue la cause du représenté. 

À partir de là, M. se fixe (bien sûr, et comme il se doit) comme objectif de sortir de cette cage et d'atteindre un dehors absolu qui fait que les tenants de ce "réalisme spéculatif" furent soupçonnés d'un tournant "théologique" coupable. 

Le fait est que le coup de la "présence réelle" innovation chrétienne des premiers siècles basée sur des affirmations de Jésus lui-même a beaucoup fait parler de lui: d'où les spéculations réalistes sur une réalité hors de la représentation (la substance qui se transforme était tout de même, de la part d'Aquin, un coup magnifique, évidemment réfuté par Scot, qui affirme que les deux substances du pain et du christ subsistent, c'est la "consubstantiation", reprise par les luthériens). 

On se trouve bien dans les spéculations du XVIIème, Leibnitz disant bien que le corps du Christ est présent mais "pas" comme phénomène, ce qui est bien ce dont nous parlons, et bien sûr pour Descartes, les miettes de pain se mélangeant au corps de qui bouffe sans affecter son individualité, entièrement contenue dans son âme. 

La nécessité de la contingence 

Mais on doit faire justice à Meillassoux et considérer son argument, génial il faut le dire. Pour établir la position agnostique qui nie les affirmations de l'athée et du croyant à égalité comme savoirs d'un impossible à penser en soi, il se doit alors de penser quelque chose qui le sort du cercle corrélationniste et qui est précisément la contingence, ici nécessairement absolue. En effet, sinon, la position strictement idéaliste, qui rend impossible tout savoir sur une chose en soi inexistante, rend impossible l'agnosticisme lui-même. 

Hop ! Le réel en soi est ainsi, donc, non seulement pensable (c'est le corrélationnisme) mais connaissable comme contingent. 

La pensée amérindienne

On saute alors à un autre point du colloque, en matière d'autre pensée, et on pourra le faire pendant longtemps: comment les indiens voient les choses... Et bien il les voient différemment de nous, et cela d'une manière relative (c'est un anthropologue qui vous parle, et qui, à tort, désigne sa philosophie comme un ensemble de théories, tandis qu'il voit celle du sauvage comme une croyance). De fait, les amérindiens "pensent" différemment. 

D'abord, la nature des relations, qui sont omniprésentes dans la définition du monde: tout n'y est que "façon" de voir, et Viveiros de Castro parle de "perspectivisme", chaque être voyant dans les autres quelque chose de particulier, une "personne en soi", qui se substitue à la chose en soi occidentale. L'occidental ainsi, en ayant disjoint chose et soi, a subtitué, et ça c'est bien vu, la "corrélation" à la "relation"... 

Cela vient d'une histoire du monde ou à l'origine, il n'y avait que des personnes (et pas de monde). Lors d'une "grande transformation", ces personnes se métamorphosèrent en les différents objets de la nature, fleuves, animaux, hommes, et tout garda alors une trace des personnes originelles. Ainsi, tout peut être "vivant", c'est-à-dire avoir la capacité d'agir comme une personne. Cela revient d'ailleurs à donner à la notion de cause un caractère intentionnel systématique. 

On a donc précisément ce que Descola appelle l'"animisme": la nature est différente de nous, mais a un esprit comme nous, ce qui est le motif dual exact du nôtre, nous nous voyons comme naturel, mais seuls à posséder un esprit... 

Au passage, l'intéressant doute sur la capacité du soleil à se lever le matin: il le fait comme une personne, c'est-à-dire par habitude, et non pas par nécessité naturelle régulière... C'est cette idée (que je caresse) du religieux comme une volonté de participer au monde, sacrifier un poulet (ou un esclave) étant une humble participation au réveil matinal du soleil... 

 

 

 

 

(1) https://journals.openedition.org/sociologies/4478

(2) Maniglier, De Castro https://www.youtube.com/watch?v=BElwq1M4wV4

(3) Un court résumé des modes d'existence: https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/5194&file=1/

(4) Loic Finaz Thinkerview https://www.thinkerview.com/loic-finaz-lart-de-la-guerre-et-du-commandement/

(5) entretien avec Latour et lexique: http://www.yvescitton.net/wp-content/uploads/2014/09/LATOUR-MediasModesExistence-Juin2014-Txt.pdf

(6) Meillassoux dans ses projets:  https://www.academia.edu/7396728/_Que_le_dieu_soit_l%C3%A0_le_tournant_corr%C3%A9lationniste_de_Quentin_Meillassoux

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