En lisant et relisant les diverses biographies et études sur De Gaulle, le phare éteint de notre temps, on se prend à rêver sur sa constitution, sur la démocratie et sur ce qu'on entend par là.
Un tyran ?
Mais d'abord sur le fait que pour De Gaulle lui même, les choses n'étaient pas si simple ou plutôt l'étaient trop: l'accusation de sa "forfaiture", c'est-à-dire de sa dictature, qui lui colla à la peau et provoqua, ne nous leurrons pas, sa chute, reste l'aporie de celui qu'on accusa justement non pas de tyrannie, il ne fut en aucun cas un tyran, bien au contraire, mais d'autoritarisme dans un sens spécial.
Toute la question tient au statut du débat contradictoire en démocratie quand les camps qui s'affrontent, radicalement dénonciateurs de l'incapacité ou de la vilénie adverse, ne peuvent qu'être défaits par la majorité ou la coalition qui les paralysent, sans pouvoir jamais être ni reconnu ni accepté, sans que leur silence ne puisse être acheté que dans les sous terrains des idéaux absolus, que rien ne doit entacher.
De même, les conflits sociaux, qu'ils soient liés plus ou moins aux politiques, se traduisent toujours par des confrontations dangereuses et paralysantes, que l'Etat se doit de traiter avec plus ou moins de moyens, les choses se résolvant la plupart du temps par de grandes dépenses, passées silencieusement et seules occasions de défier les redoutables gardiens du trésor, seulement réduit au silence de cette manière et à ces moments là.
Ces deux types de conflits étaient rejetés essentiellement par De Gaulle et la constitution en porte la trace: toute la question de la décentralisation, de la participation ne sont que des moyens de détourner le problème et de ne pas considérer une possibilité, un trou de souris qui pourrait exister entre cette forme magnifique, proprement gaulliste, d'exercer le pouvoir avec hauteur, ne considérant la discussion que comme source d'information pour la décision solitaire, une sorte de fuhrer prinzip catholique ou le rapport de force ne peut être qu'une défaite provisoire, et la gangrène horrible du partage du pouvoir entre partis coalisés, se marquant coup après coup sur les thèmes généraux de leurs propagandes respectives chacune dotée d'un coupon percé à chaque avancée et âprement comparé à chaque round au cours de déjeuners dans de secrets restaurants dont bien sûr les tenants de cette démocratie là sont bien les seuls à pouvoir manger à tous les sens du terme.
Le pouvoir des partis tout en permettant aux votants des scrutins de liste de pouvoir faire leur choix dans la complexité de convictions subtiles permet en fait de les exclure absolument des vraies décisions. Toute la réflexion institutionnelle de De Gaulle porte sur la haine absolue de ce type de gouvernement à l'oeuvre pour les malheurs de France pendant toutes les périodes où le général n'était pas au pouvoir...
Le pouvoir "royal" gaulliste rend publiques les décisions solitaires, qui peuvent être expliquées gravement, voire mise aux voies dans de grandes consultations. Y a-t-il une autre voie?
Participatif ?
L'aporie, qui ne fut pas résolue par le général, jusqu'au bout dans un rêve de soutien explicite du peuple au roi, resta attachée aux institutions de la Vème république, qui bien qu'excellente, donna lieu à des exercices variés de suivi de l'histoire qui se fait: des cohabitations répétées et dans tous les sens, pour finir par un durcissement dangereux de son mécanisme: l'alignement de la présidentielle et des législatives que seule une motion de censure pourrait perturber pour le bonheur d'un mi-mandat à la française, renforce à un point inouï les prérogatives du président, désormais seul à décider de tout, l'assemblée et sa majorité qu'elle soit absolue ou relative n'étant qu'un terrain de hurlements inutile: seul le gouvernement fait la loi et préfèrera ne rien faire plutôt que de composer, l'humeur du président prime.
Celui ci, acculé, ne peut lancer que des consultations "participatives" comme l'ignoble et ridicule, mais parfaitement réussie "consultation citoyenne" qui lui a permis de tirer un trait sur les 23 éborgnés par la tchache aux pécores, il y en aura toujours assez pour faire des selfies avec un Kardashian, le personnage n'étant en fait que cela...
Sans rire, la démocratie "participative" resterait l'alternative intellectuelle aux maux de notre imparfaite constitution. Ceci alors que le conseil économique et social, imposé par la constitution et qui comme le Sénat ne sert strictement à rien et cela encore moins depuis la funeste et définitive marque de mépris de Mitterand que constitua la nomination de Georgette Plana.
Instances de débat et lieux où pouvaient, dans l'esprit de la constitution, se poser les grandes questions qui auraient été posées avec gravité au parlement ou même au peuple, ils furent méprisés et ignorés et surtout laissés inactifs, par tous les gouvernements et toutes les oppositions. Participatif ? Quand le pouvoir n'est pas là, et qu'on ne peut le renverser, pourquoi vouloir protester ? Quand on ne proteste pas, on murmure sans échos, on approuve sans cesse.
Car le "débat" est d'abord protestation, injonction à démissionner, révolte, expression de la dénonciation, accusation. On pourrait remarquer à l'occasion que les demi-mesures du Sénat, alimentées par des rapports et des interrogatoires nombreux et polis n'ont pas non plus grande influence, sinon de borner la capacité à changer de constitution que ce soit pour le pire (on ne s'opposa pas au chiraquien principe de précaution) ou le meilleur (le retrait du mot race de la constitution, ou pire, l'inscription du droit à l'avortement) ou même ce qui n'a d'autre fonction que de passer le temps (les mesures liées au rétablissement partiel de la proportionnelle)).
Et puis il est ensuite, et cela pour beaucoup de membres de la représentation nationale, projets concrets à mettre en oeuvre dans un cadre politique "orienté". Ces projets peuvent se situer à l'intérieur de volontés politiques larges reprises, nécessité politique aidant, par des ensembles politiques différents (la transition énergétique, le contrôle de l'immigration, la construction européenne) et des formes particulières proposées de la loi peuvent s'appliquer pour exprimer tendances ou sensibilités de ses ensemble politiques. La prise en compte de ces propositions, leur acceptation sous forme d'amendements au lois discutées par la majorité parlementaire constitue l'essence et la matière même de ce qui justifie l'expression "démocratie" au parlement. Ces acceptations, éventuellement âprement négociées peuvent donner lieu indépendamment des appareils, à ce qui fait l'utilité des délibérations : la critique dit "constructive" ou "anti iditiotie" qui fait la force des démocraties.
Mais pour cela il faut accepter un point fondamental, et qui est l'existence d'un autre à la fois ennemi (il n'appartient pas à "mon" clan) et respectable car porteur d'une parole ou d'un acte utilisable pour "mon" projet.
Le principe premier du politique, même celui retenu par un De Gaulle, est le refus de ce point fondamental, qui subordonne tout le respect attribuable à l'intelligence de l'action à l'appartenance "tribale" au camp politique partisan, l'appartenance au camp adverse étant brevet de traitrise, de bêtise et de vilénie. Cela étant encore accentuée par le fait que la tribu n'a d'autonomie que ce que le souverain en personne lui attribue.
Autoritarisme ?
En l'absence de considération du point fondamental en question, et donc de possible négociation sur les thèmes à travailler, et de traduction dans les faits, c'est-à-dire dans la loi, de ces participations, il n'y a plus que rapport de force vicié et conflit stérile à l'extérieur de la majorité en charge. Il n'y a plus de possibilité de participation collective qu'à l'intérieur des appareils, qui reconstitue à l'intérieur de leur collectifs la discussion nécessaire, avec la possible complète absence de celle-ci, si l'appareil lui même unanime ou mal constitué n'a pas pu se structurer politiquement, ou s'il est considéré lui même méprisable, car composé d'affidés incompétents, manipulés ou soumis.
Les 5 ans de la première mandature Macron furent de ce type, retirant tout caractère représentatif ou démocratique au parlement français, honte du monde occidental. Une bande de kapos téléguidés, refusait tout droit à la parole à l'intérieur et à l'extérieur d'une camarilla de zombis godillots muets et stupides.
La deuxième est à peine différente: paralysée par des arbitrages qui ressemblent à de la compromission, les votes bloqués s'enchainent: l'activité parlementaire se réduira à des discussions financières, les seules qui autorisent cette procédure.
De part et d'autre des discours de haines, ne se manifestent que les démagogies et surtout l'inconséquence complète et le hors sujet moraliste complet: les débats ne portent que sur l'intention incontournable et vitale de mettre fin à toute pauvreté par la subvention illimitée sensée telle le "quoi qu'il en coute" covidien, vivre éternellement sans travailler en faisant des dettes. Se départir de cette politique est bien évidemment impossible, le 49-3 étant invoqué systématiquement pour diminuer de quelques pourcent le fardeau, ce qui sert d'opposition à la république en majesté, voulant instaurer le paradis sur terre immédiatement avec l'argent des riches.
Que la conception gaulliste semble réaliste, inévitable et convaincante ! Un peuple de veaux, une société de merde et des cris d'enfants inconsistants et stupides, gérés par des mémés imbéciles.
Au centre de tout, le rapport mystérieux qu'entretiennent tous les grands hommes politiques avec l'Etat, dont Necker disait: "Le Pouvoir Exécutif est la force motrice d’un Gouvernement, il doit agir comme la nature et par des moyens visibles et par un ascendant inconnu." Seule entité pivot pouvant servir de référence, à la fois invisible et puissant, il est le "stable" de toute politique, du moins quand on ne l'a pas trop sciemment affaibli. Par dela les droits et la liberté du peuple, l'Etat est ce qui assure l'avenir de la Nation, le peuple n'ayant pas le loisir de gouverner, mais seulement celui d'approuver le gouvernant.
On a donc les deux conceptions du gouvernement: la République qui s'établit par la loi, et la Société par le contrat. L'Etat et le "social" qui peut être soumis aux libéraux ou aux socialistes, alliés contre les communistes et aussi contre l'Etat.
Cet Etat qu'il soit "profond" ou assumé par le prince est essentiellement "paternel", au contraire de sa version providence, essentiellement "maternel" et réduit à l'assistance sans conditions.
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Contre la révolution
Le problème entier et constant est au coeur de la réflexion "néo libérale" qui alimente aujourd'hui les complotisme de tout bord, après un siècle d'activités variées toutes issues de la catastrophique révolution prolétarienne, exactement de la même manière que 1815 marqua la volonté des peuples civilisés de mettre des bornes aux possibles révolutions. Cela tenu un siècle, exactement là où nous en sommes, De Gaulle est mort il y a 50 ans.
Que l'on parle de "grand reset" ou de "fédération européenne" ou même d'"ordre mondial avec règles", partout se multiplient les iniatives en occident pour pallier le déficit démocratique c'est à dire l'inaptitude grandissante des opinions occidentales à être capable de soutenir des gouvernements raisonnables. Discours publics débiles, et montée en puissance de pire que le communisme, le woke, que les gouvernement démagogiques vont avoir de plus en plus de mal à contrôler inquiètent. Un contrôle technologique des opinions devient nécessaire et la question de la symbolique du pouvoir, sur fond d'une disparition maintenant complète de toute espèce de religion institutionnelle basée sur les traditions se pose de plus en plus.
Une tendance: on cherche à s'unifier, c'est à dire à partager globalement un pouvoir qu'on ressent fragile. C'est pour cela que la "mono polarité" est tellement en vogue. Le prix à payer est supérieur à la simple disparition des libertés publiques, il pourrait bien être aussi la soumission des peuples et l'asservissement des cultures nationales.
On s'imagine donc pouvoir se donner des règles et instaurer un Etat "de droit", seul responsable de tout, car appliquant au grès des gouvernants anonymes, des "règles" forcément bonnes, seules justifications de l'autorité. Il faut comprendre que cette conception du pouvoir, d'ailleurs horizon de la modernité est une barbarie que nous connaissons bien: elle est celle de l'empire, celui là même qui pour des raisons morales, c'est à dire individuelles, fut abandonnée pour le système chrétien: une institution enfin vraiment divinisée, n'utilisant les règles que pour s'organiser pratiquement pour éviter les délires, mais conservant en son sommet ce qui justifie la confiance pour toujours.
L'abandon de l'institution, de l'institué, caractérise le pouvoir moderne, qui détruit la vraie liberté, qui est celle du pouvoir des peuples sur eux mêmes. Il signifie la perte du souverain, celui qui peut décider en cas de circonstances extraordinaires, et donc préserver l'ensemble. Le monde actuel disparaitra dans les flammes, nulle règle n'éteint les vrais incendies.
Ce que je décris semble la vision royaliste du monde, peu ou prou mise en scène par De Gaulle lui même avec une constitution républicaine, aujourd'hui déguisée en contrat socialisant et dirigée par un caligula.
Plusieurs Poles
La conclusion doit adresser un autre domaine parfaitement connexe, et ressortant des mêmes réflexions globales. On parlera plus en détail des discours de Poutine se plaignant de l'unipolaire et demandant non pas l'organisation de la planète en pôles mais en nations souveraines respectées et respectables capable de justifier de leur différence et de la place qu'on doit accorder explicitement à ses intérêts légitimes.
Un discours similaire fut produit par Trump à l'ONU et avait évoqué la nécessaire indépendance et vertu des nations, à la foi souveraines et respectueuses des autres, expression d'une possible "démocratie" entre ce qui ne souffre pas de lois globale. Cette anarchie moralisée seule vocation d'une forme supérieure de civilisation ne signifie nullement gouvernement mondial ou autorité morale unique sanctifiée par une histoire ou une ancienne puissance devenue débile. Elle est tout simplement forme supérieure de l'humanité et se trouve proposée par deux hommes diabolisés mais profondément libres et respectables et auteurs tous les deux ensembles d'une proposition concrète au monde très au delà des stupides grognements des porcs progressistes.
Dialectique entre les libertés des Etats et la liberté des peuples, les unes soumises aux dictatures honnies de certain, les autres aux désordres débiles tout aussi honnis, la question de la démocratie, qu'elle soit entre Etats ou entre individus, reste posée: comment donner à tous par la liberté accordée et respectée, le pouvoir de parler et de participer au monde ?
Ecoutons Pompidou: "Gouverner c'est contraindre". Et aussi: "Gouverner, c’est faire prévaloir sans cesse l’intérêt général contre les intérêts particuliers, alors que l’intérêt général est toujours difficile à définir et prête à discussion, tandis que l’intérêt particulier est ressenti comme une évidence et s’impose à chacun sans qu’il y ait place pour le doute".
De Gaulle: à ceux qui sont morts pour la France, sans que nulle loi humaine ne les y contraigne...
De Gaulle: je vais désormais aller à la pêche, et vous Yvonne, vous ferez frire les poissons.