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Les provinciales

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On s'était réjoui à l'humour délicieusement et somptueusement raciste de Pascal citant les jésuites espagnols qui rivalisaient de subtilités amorales pour justifier la corruption absolue. 

Louis de Montalte est ainsi le pseudonyme le plus célèbre de l'histoire (il est bien plus connu que Carmignola, au point d'être immettable). On avait glosé sur Baius (4) on va en remettre une couche, Boulnois (1) oblige. 

Laissons d'abord la parole à Pascal (3) 

— J’entends bien, lui dis-je. Mais il me vient une diffi¬ 
culté dans l’esprit : c’est qu’après avoir consulté un de vos 
docteurs, et pris de lui une opinion un peu large, on sera 
peut-être attrapé si on rencontre un confesseur qui n’en 
soit pas et qui refuse l’absolution si on ne change de senti¬ 
ment. N’y avez-vous point donné ordre, mon Père? 
— En doutez-vous? me répondit-il. On les a obligés à.absoudre leurs pénitents qui ont des opinions probables sur peine de péché mortel, afin qu’ils n’y manquent pas. C’est ce qu’ont bien montré nos Pères, et entre autres le P. Bauny: « Quand le pénitent, dit-il, suit une opinion probable, le « confesseur le doit absoudre, quoique son opinion soit « contraire à celle du pénitent ».
— Mais il ne dit pas que ce soit un péché mortel de ne le pas absoudre.
— Que vous êtes prompt I me dit-il; écoutez la suite, il en fait une. con¬ clusion expresse : « Refuser l’absolution à un pénitent qui « agit selon une opinion probable est un péché qui de sa « nature est mortel ». Et il cite pour confirmer ce senti¬ ment trois des plus fameux de nos Pères, Suarez, Yasquez et Sanchez. — O mon Père, lui dis-je, voilà qui est bien prudemment ordonné : il n’y a plus rien à craindre. Un confesseur n’oserait plus y manquer. Je ne savais pas que vous eussiez le pouvoir d’ordonner sur peine de damnation. Je croyais que vous ne saviez.qu’ôter les péchés; je ne.pensais pas que vous en sussiez introduire. Mais vous avez tout pouvoir, à ce que je vois. — Vous ne parlez, pas proprement me dit- il. Nous n’introduisons pas les péchés, nous ne faisons que les remarquer. J’ai déjà bien reconnu deux ou trois fois que vous n’êtes pas bon scolastique. — Quoiqu’il en soit, mon Père, voilà mon doute bien, résolu, jMais j’en ai. un autre encore à vous proposer. C’est que je ne sais comment vous pouvez faire quand les Pères sont contraires, au sentiment de quelqu’un de vos casuistes. — Vous l’entendez bien peu, me dit-il. Les Pères étaient bons pour la morale de leur temps ; mais ils sont trop éloi¬ gnés pour celle du nôtre. Ce ne sont plus eux qui la règlent, ce sont les nouveaux casuistes.
Ecoutez Notre Père Cellot, qui. suit en cela notre fameux Père Reginaldus :
« Dans les questions de morale les nouveaux casuistes sont préfé- « râbles aux anciens Pères, quoiqu’ils fussent plus proches « des Apôtres ». Et c’est en suivant cette maxime que Diana parle de cette sorte : « Les Bénéficiers sont-ils obligés de « restituer leur revenu dont ils disposent mal ? Les anciens « disaient que oui ; mais les nouveaux disent que non : ne ce quittons donc pas cette opinion, qui décharge de l’obligation de restituer ».
— Voilà de belles paroles, lui dis-je, et pleines de consolations pour bien du monde.
— Nous laissons les Pères, me dit-il, à ceux qui traitent la Positive; mais, pour nous qui gouvernons les consciences, nous les lisons peu, et ne citons dans nos écrits que les nouveaux casuistes. Voyez Diana qui a furieusement écrit ; il a mis à l’entrée de ses livres la liste des auteurs qu’il rapporte. 11 y en a 296, dont le plus ancien est depuis 80 ans.
— Cela est donc venu au monde depuis votre Société ? lui dis-je.
— Environ, me répondit-il.
—C’est-à-dire, mon Père, qu’à votre arrivée on a vu disparaître Saint Augustin, Saint Chrysos- tome, Saint Ambroise, Saint Jérôme, et les autres pour ce qui esT de la morale. Mais au moins que je sache les noms de ceux qui leur ont succédé; qui sont-ils ces nouveaux au¬ teurs?
— Ce sont des gens bien habiles et bien célèbres, me dit-il ; c’est Villalobos, Conink, Llamas, Achokier, Dealkozer, Dellacruz, Vera-Cruz, Ugolin, Tambourin, Fernandez, Mar¬ tinez, Suarez, Henriquez, Vasquez, Lopez, Gomez, Sanchez, De Vechis, de Grassis, De Grassalis, De Pitigianis, De Gra- phaejs, Squilanti, Bizozeri, Barcola, De Bobadilla, Siman- cha, Perez de Lara, Aldretta, Lorca, De Scarcia, Quaranta, Scophra, Pedrezza, Cabrezza, Bisbe, Dias, De Clavasio, Villa- gut, Adam à Manden, Iribarne, Binsfeld Volfangi à Vorberg, Vosthery, Streuesdorf.
— O mon Père, lui dis-je tout effrayé, tous ces gens-là étaient-ils chrétiens?
—Comment, chrétiens? me répondit-il. Ne vous disais-je pas que ce sont les seuls par lesquels nous gouvernons aujourd’hui la chrétienté »

De fait, on a au XVIIème siècle une réinterprétation de ces histoire de grâce, dans la lignée de Molina. Comme le décrit très bien Pascal, c'est le désordre complet parmi les tenants du catholicisme "mou". On se fait décrire ici les distinctions entre Thomistes et c'est le point intéressant explicite, les Scotistes supportés par les affreux jésuites. La scolastique est donc doublement refusée par l'esprit Français: par Descartes pour la science et par Pascal pour la Morale. Heureusement que Richelieu et Louis XIV étaient là pour tenir les murs et persécuter ces gauchistes. 

Toute la question est "post trente" bien sur, et il faut ruiner la funeste prédestination qui ravage les consciences. Pour Luther on n'est pas libre de la détermination, et seulement libre de contraintes. 

Pour Trente, l'homme doit "coopérer" et cela fait toutes les différences entre les manières de, et il y en a plusieurs.

On a la "science moyenne" : Dieu aide l'homme quand il agit, et lui donne la force d'agir.  

Droit au but: on plonge alors dans le conflit Aquin Scot, de nature autre, mais réactivé pour l'occasion. Molina l'affreux s'appuie sur Scot pour proclamer la liberté d'indifférence et une belle définition de l'agent libre, celui qui peut faire ou ne pas faire et cela jusqu'au dernier moment. C'est bien la radicalité Scotiste qui fait de la liberté une propriété de la volonté et certainement pas un acquis de l'éthique. 

On ne dira jamais assez que cette position est fondamentale pour la modernité, la vraie. Saisi de toute part par des principes moraux de précaution de mes deux, on veut partout et tout le temps restreindre la volonté de faire ce qu'on veut. Un franciscain du XIVème siècle nous dit que non, merci à lui, encore et encore. Nul espèce de greta de nulle part ou de kozuisconasse de chez chirac ne pourra jamais y attenter et ma volonté restera entière. Mon bon plaisir, il est celui de Dieu.  

Un point au sujet des casuistes, tant dénoncés. Considérer les différents cas voilà pourtant de la bonne justice humaine et elle manque singulièrement à notre époque, dont les principes dévoyés ne considèrent les cas particuliers que sous l'angle des principes, l'indulgence étant toujours pour le noir délinquant (double signe d'une double innocence) et  jamais pour le blanc en légitime défense (triple signe de la culpabilité éternelle). La casuistique et bien c'est l'analyse et son coté immoral, bref les subtilités de Scot, refusées par les imbéciles. 

Mais il y a Aquin, et sa soumission de la volonté à l'intellect. Comment ne pas vouloir le bien infini ? Il faudrait être idiot tout comme il faut être mauvais mathématicien pour ne pas parier sur la puissance infinie donnée par le paradis immense qu'on accorde a qui choisit la probabilité nulle. Cette soumission là, qui fascine bien sur la gauche et tous les principes de précaution et autres sur valorisations du risque de cygne noir, est battue en brêche par Scot et son absolue distinction des causes naturelles et volontaires.

"Seule la volonté, car elle est rationnelle, est indéterminée". En latin: ... 

A la décharge d'Aquin, il faut lui reconnaitre qu'il reconnait la liberté dans le choix entre bien finis (crées). Car Aquin est soumis comme tout le monde à la liberté chrétienne qui malgré tout ce qu'on dit reste essentielle: pas question du Inch Allah, et c'est pour cela qu'on les dézingua (les Arabes). Sans liberté pas de Salut et je parle sérieusement. 

A partir de là les jésuites et leurs adversaires catholiques se déchainent au XVIIème siècle. On a d'abord les jésuites, alliés des franciscains. La volonté de Dieu assiste la bonne volonté humaine et c'est tout. Si tu veux agir, ELLE agit. 

Les thomistes ont plusieurs positions, dont celle de l'indifférence de la volonté pour les biens crées uniquement, et plus dure, celle de la liberté comme détachement à l'égard de ceux ci. 

On en revient toujours à la volonté orientée naturellement vers le souverain bien, la liberté n'étant que celle des moyens d'une part, et aussi bien sur de se laisser guider par la volonté divine... La liberté d'indifférence est de plus une forme restreinte de la liberté, quasiment un esclavage... Augustin: "il est libre celui qui se soumet à Dieu". 

On a là de quoi plaire à certains. Dans la réponse jésuite, on cite Scot. On va même jusqu'à justifier la liberté de Scot comme étant "métaphysique" et non "morale" !!! Qu'elle plus belle définition de l'essence de la chose: l'aveuglement de la morale conduit au pire et il n'y a que l'ontologie pour nous en sortir. 

Une position thomiste plus douce consiste à dire que l'intellect est condition de l'exercice de la volonté, pour assurer justement l'indifférence. 

C'est là que le rejet du scolastique et donc de l'indifférence devient à la mode. Descartes, ami de Gibieuf,le théologien thomiste "dur", le justifie de manière complexe: tout en admettant à la Scot la quasi équivalence des volontés humaine et divine, il hiérarchise: il n'a pas "la liberté de l'arbitre" et l'indifférence correspond pour lui à un degré zéro de la liberté. De fait Descartes est dans tous les camps, et cité par tous les partis. Quel habile homme, de toutes façons il n'a pas vécu en France...

Jansénius en 1640 avec l'Augustinus, s'accorde avec Gibieuf (Descartes meurt en 1650). La liberté d'indifférence est du Pélagianisme, et la liberté c'est le résultat d'une libération, celle du péché par la grâce... Et puis le reste du bazar, voir tout ce qu'en dit Pascal. 

Au passage, Boulnois rend ironiquement dépendant le XVIIème siècle philosophique des doctrines scotistes, l'indéfini débat sur la liberté ouvert par le XIIIème siècle et toujours forclus. 

L'énigmatique association entre théologie et science du contingent selon Scot  et qu'aurait alors refusé la modernité entrouvre bien des possibiltés de voyage... 

 

(1) Boulnois au XVIIème siècle https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2002-2-page-199.htm

(2) https://fr.wikisource.org/wiki/Des_Provinciales_

(3) https://archive.org/stream/sc_0001283140_00000001653994/sc_0001283140_00000001653994_djvu.txt

(4) http://francoiscarmignola.hautetfort.com/archive/2018/08/11/les-graces-6071838.html

 

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