Les luthériens
On revient ici sur ces histoires de grâce, on en finit plus mais une lecture s'y prête (1), et puis Bach bon sang en était. Des luthériens. Et il faut savoir pourquoi et comment exactement.
Pour financer Saint Pierre de Rome, en 1507 on inventa les indulgences. Les 95 thèses contre sont placardées à Wittenberg en 1517 par Luther.
Martin Luther, né en 1483, et élevé dans la "devotio moderna", est excommunié en 1521 par Leon X après la publication de la "liberté du chrétien" en Latin et en Allemand. Assigné à résidence à Wittenberg, il traduit la bible en Allemand et épouse en 1525 Kate de Bora avec comme témoin de mariage Lucas Cranach l'ancien, un ami, tout comme Melanchton.
La même année il répond à Erasme qui avait enfin publié "de libro arbitrio" par un "de servo arbitrio" bien senti. En gros après la chute le libre arbitre est esclave du mal, d'où le titre.
Erasme en bon humaniste, partisan de la réconciliation, était pourtant allé assez loin. Comme pour tout le monde selon lui, l'homme est pécheur et depuis la chute a 1) perdu la capacité de faire le bien seul 2) a un penchant au péché. La grâce de Dieu est indispensable au salut et là il se sépare de Luther: en plus de la grâce, il y a la capacité de coopérer à son salut, la liberté. Erasme est même condamné par Trente, et meurt en 1536.
Au fait, c'est marrant, la chute a corrompu la raison et la volonté. Selon certains, seul l'homme n'aurait pas eu sa raison corrompue (la femme si). Erasme est contre cette théorie...
Luther se frite avec Zwingli (le Suisse, le 3ème protestant, le moins connu) sur la présence réelle, Zwingli était contre. Pourtant Luther était contre la transubstanciation.
Luther meurt en 1546 juste alors que s'ouvre le concile de Trente.
D'abord, Luther s'est convaincu dans une expérience personnelle du type "révélation" d'un principe intangible: sur la base de la distinction paulinienne entre loi et foi, il est impossible de respecter la loi et d'accéder soi même au salut, seule la grâce (Sola Gratia) sauve, "justifie" (dans le sens de transformer en "juste" devant Dieu), et cela moyennant la seule chose à faire, la foi (Sola Fide).
Bang ! "Alors je me sentis un homme né de nouveau". Les conséquences de cette révélation furent grandes, tu parles.
La "Saine Doctrine" se constitue finalement: elle est exprimée par la "confession d'Augsburg" rédigée par Mélanchton à la diète du même nom convoquée par Charles Quint en 1530 pour faire la paix dans l'empire. Seule la foi compte, la bible est la seule autorité, et le sacerdoce universel.
De quoi nourrir la guerre de trente ans.
Le péché originel
Revenons à cette histoire de péché originel, inventé par Saint Augustin dans sa forme définitive, élaborée contre Pélage qui refusait le concept et refusait aussi le baptême des petits enfants. Atténué par le baptême, le péché est toujours celui de concupiscence qui se trouve être de plus le facteur de transmission de la faute.
Comme toujours en théologie tout est une question d'orientation. Bien que "d'origine", le fameux péché n'est pas toujours associé à la concupiscence (par exemple pour Aquin) directement. Pour la théologie catholique moderne, le péché est l'état de besoin du salut... Pour tous, il a corrompu le libre arbitre et la capacité de vivre une vie divine.
Bon il y aussi la mort qui est "passée en l'homme" du fait d'Adam.
Luther en a une conception particulière.
Ultra augustinien, son péché est une incapacité à faire le bien sous l'emprise de la concupiscence, définie par ce qui contredit le "tu ne convoiteras pas". Le péché identifié ici à la concupiscence est une infection innée, qui empêche la crainte de Dieu et la foi en lui, c'est une déchéance totale de la nature humaine. Le baptème ne l'extirpe pas, il ne fait que cesser de l'imputer, et l'homme reste à la fois juste et pécheur.
En conséquence, le libre arbitre, pour ce qui concerne le salut et la damnation (et non pas pour le reste), n'existe pas. Nous sommes une bête de somme montée par le Diable ou par Dieu et c'est tout. Le libre arbitre ne peut être que Divin. Là on est contre Scot...
Mais les conceptions du péché sont plus complexes que cela. Il est d'abord associé à la convoitise ça c'est Saint Paul, au point que le bébé qui tend la main n'en serait pas exempt... Et puis aussi bien à la jouissance sexuelle, prise comme exemple, mais de manière diverse suivant les gens.
Juste et Pécheur
On a compris la doctrine catholique: le baptême et en général les sacrements justifient et suppriment le "péché". Le problème est que les réformateurs n'utilisent pas le mot comme cela et lui donnent une extension bien plus grande. Alors que les cathos gardent la concupiscence comme faiblesse qui demeure malgré tout, c'est bien le péché dans sa totalité qui demeure pour les réformateurs. Au point que Luther lance son fameux "simul justus, simul peccator", à la fois juste et pécheur, l'abolition complète de celui ci ne pouvant arriver qu'à la fin du monde, la mort étant le seul moyen d'échapper à la misère du péché. C'est bien ce que disent les cantates de Bach. Gute Nacht...
Anthropologie
Le thème de la thèse lue est qu'un différent fondamental entre catholiques et protestants de nature anthropologique se manifeste théologiquement: l'homme n'est pas décrit de la même façon.
L'irréductible soumission au mal de l'être en état de chute traduit un pessimisme profond. C'est ce que racontent les cantates: un drame permanent et universel, source des plus grande exaltations, et émotions. Ah ! Luther ! Plongé dans la terreur de la damnation, l'homme ne sait pas du tout ce qui va lui arriver et doit douter de tout, et pour cela manifester la foi la plus vive, seule chance dont il dispose.
Et puis il y a cette image du mariage entre Jésus et l'homme de l'homme, source de bien des "croquignolesques" pseudo opéras de Bach: c'est le "joyeux échange", foi contre justification, pour ne former qu'une seule chair.
La rupture
Consommée à Trente, elle porta aussi sur l'organisation de l'Eglise, les réformateurs remettant en cause le sacerdoce. On passera là dessus, ce fut sans doute l'essentiel et le caractère politique et ethnique de la révolte allemande contre l'empire catholique ne doit certes pas être minimisé. On en restera donc à la justification...
Il y a donc les anathèmes prononcés par les tenants de la foi seule.
En effet, on est justifié gratuitement et rien ne fait mériter la justification, ni la foi, ni les oeuvres. Anathème Luther avec la foi seule ! Bien sur, SANS la foi, rien n'est possible, mais bon.
Et puis, croire qu'on n'a pas besoin de se tourner aussi vers Dieu, du fait de sa volonté: anathème Luther.
Et puis la justification catholique est TOTALE. Pas de mixte juste mais pécheur: anathème Luther !
Et puis, quand poussé par la grâce, on se tourne vers Dieu "librement", Dieu peut justifier l'impie. Croire que la foi seule suffit, sans les oeuvres de la loi, est anathème.
Concernant le péché, le péché originel ne serait pas remis au baptème (par le mérite de la passion du Christ), mais simplement plus imputé: anathème! . Le baptème lève complètement le péché originel, ça c'est un sacrement. Par contre, la concupiscence subsiste après le baptème: MAIS cela n'est pas un péché à proprement parler, on peut lutter contre et en être estimé. Il peut tomber aussi, mais la pénitence peut l'en débarasser.
Le concile de Trente fut décisif: il fut celui de la contre réforme.
La réconciliation
On suivra (2).
Au XXème siècle on s'est mis d'accord. En revenant sur les anathèmes, du fait d'un recul de l'extrémisme luthérien et d'une bonne volonté catholique.
En gros:
1) les cathos reconnaissent que la liberté de coopérer est bien inspirée par Dieu et ne vient pas de ses forces propres, (on n'est pas pélagiens) et les réformateurs n'excluent pas complètement une participation... Par contre, les restrictions mentales demeurent: les cathos se laissent approuver la grâce tandis que les réformateurs n'acceptent que le pouvoir la refuser.
2) juste et pécheur: les cathos reconnaissent la persistance d'un péché essentiel après la justification, tandis que les réformateurs reconnaissent possible de mener une vie de justice...
On a donc coupé la poire en deux: le péché essentiel est relativisé par les réformateurs, et accentué par les catholiques.
3) la question des oeuvres reste par contre encore ballante... Pour les réformateurs, elles continuent à n'être que des fruits, des effets de la justification...
(1) Thèse sur la controverse https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01282513/document