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Les christianismes

À l'occasion d'un livre étrange (1) de Pierre Manent, que l'on peut lire comme une description de la croyance religieuse de Blaise Pascal, comme une description détaillée de la croyance chrétienne, et aussi comme ce qui a maintenant complètement disparu des perspectives humaines, au bénéfice de l'ordre moral contemporain. 

Au passage, une théorie très agressive et magnifiquement efficace sous la forme d'un assassinat du "progressisme" mené avec une puissance radicale ! 

Comme on le disait en premier, le livre est en pelure d'oignon, et complètement résumé dès à présent. Ajoutons-y le contenu de la fameuse foi, de fait inconnue, car totalement ignorée du grand public et de la civilisation de notre temps qui a totalement cessé de simplement concevoir de telles choses. 

On passera sur la notion de "Dieu", comme le disait déjà Pascal à son époque (sa révélation mystique date de 1654), tout le monde est ordinairement "athée" en ce que personne ordinairement n'a la moindre idée véritable de l'exigence religieuse au sens où il l'entend. 

Envisagé pour la béatification par le pape François, Pascal, le "Einstein français" décrit donc en détails ce qu'est le christianisme et la vie chrétienne avec ses propres conceptions de tout cela. Un peu janséniste tout de même et sujet à polémiques tout en restant clairement à l'intérieur du monde catholique, il exprime ce qui est incontestablement un sommet d'humanité à l'apogée de la civilisation française. 

La religion de Pascal

Trois choses, totalement inconnues et ignorées, qui ont absolument et pour toujours disparues de l'esprit contemporain, au point de ne laisser aucune trace dans les esprits, croyances ou expressions: Dieu, le péché originel et la grâce. 

Pascal élabore et met en avant des conceptions théologiques véhémentes rendant indispensables et fondamentales les deux choses intrinsèques fondamentales qui caractérisent ce que Manent appelle la "proposition chrétienne".

Mais d'abord, et là c'est moi qui découvre, quel est le lieu où se place Pascal, lieu aujourd'hui méconnu et auquel nous ne prêtons guère attention? 

Platon avait décrit les théologiens comme des "mythologues", ceux en charge de raconter l'histoire du monde, celle qui précède toute décision quant à sa conduite personnelle et à celle des collectivités: la conception de l'homme, son origine imaginaire et connue de tous, celle sur laquelle on s'accorde avant de commencer la moindre discussion, la moindre obligation partagée. La conception du monde, ou culture dit "spirituelle": qui sommes nous et à partir de quoi parlons nous de nous-même et des autres ? Quelle est donc ... notre "religion" ? 

On l'a dit, Pascal ne fait que réexprimer ce qui reste d'ailleurs officiellement la "doctrine de l'Eglise" enchassée dans une suite de dogmes apparemment connus de tous, et on l'a vu absolument oubliés au point d'en être inconcevables, voire susceptible de déclencher hostilité et mépris à tout évocation, même indirecte, et cela de la part même de chrétiens pourtant déclarés. 

Le religieux est d'abord et avant tout le lieu de la relation entre l'humain et le divin, c'est-à-dire le surnaturel agissant englobant la vie, et la rendant possible, physiquement d'une part, le divin a toujours peu ou prou rapport avec la cosmologie, et surtout spirituellement, c'est-à-dire actionnant la motivation interne fondamentale de la pensée humaine. Le divin a à voir avec l'origine, avec son origine, son soi. Ce qui est d'ailleurs assez logique, la conception de l'hominisation comme phénomène ayant affecté des primates en les dotant de cette réflexion-là d'abord n'étant pas absurde (c'est en gros ce que je dirais, d'ailleurs). Dans le monde judéo chrétien où nous sommes,  l'état des choses en rapport se manifeste alors selon la présence d'un divin matérialisé (si l'on peut dire) par quelque chose appelé "Dieu", et le religieux matérialise (cette fois proprement) les relations entre les hommes et ce Dieu.

Qu'on le comprenne bien, et là une conception moderne (même si elle est en fait très ancienne) fait en permanence un contre-sens fondamental à cet égard, le religieux n'est pas, pas du tout, "ce qui relie les hommes entre eux". Étymologie foireuse à tous les sens du terme, cette conception utilitaire du religieux comme ce qui considère la simple administration des sociétés est impropre et absurde. De la conception seconde d'une conséquence d'une immense chose, on fait de par la négation conceptuelle et cognitive de l'essentiel ("Dieu", excusez-moi du peu), la signification principale. Quelle erreur !

Pascal ne la fait pas et définit et comprend le religieux comme la relation personnelle tourmentée à la fois heureuse et malheureuse avec la chose appelée Dieu (dieu que je suis moderne en parlant comme ça), qui fait en fait l'essentiel de sa vie, de ses projets, de son futur, et qui oriente, là encore, excusez moi du peu, son avenir au-delà même de sa mort... 

La personne divine, donc, comme interlocuteur principal. Cela bien sûr se fait indépendamment de toute notion de prochain, de migrant à sauver ou de bonne soeur à ne pas violer. Autant le dire. Les choses sont rangées dans un certain ordre. 

Maintenant la suite.

L'homme est d'une part libre de commettre bontés et méchancetés en son nom propre et d'autre part coupable d'une faute qu'il n'a pas commise personnellement, le péché originel. Cette faute le condamne à la naissance à une misère fondamentale qui le rend ignorant et pêcheur, c'est-à-dire malheureux et misérable, ayant perdu tout contact avec le divin, rien que ça. Condamné au malheur de tous les reniements possibles, de tous les oublis. Misère de l'homme sans Dieu, toutefois libre de s'en rapprocher, et cela d'une manière indirecte. Non pas en se tournant librement vers un visible qui manifestement ne se manifeste jamais, mais en demandant gentiment (et humblement ) la seule chose possible et qui est la foi, chose qui ne peut être obtenue que par le don divin de la grâce. Mystérieuse et complexe, cette conception de la relation avec le divin est globalement non appréhendable simplement, sinon en le demandant, en son for intérieur à Dieu, la clé du mystère, ou bien en demandant de l'aide aux personnes concernées par le même problème. 

Cette demande d'aide se matérialise par une conception première supplémentaire et qui est celle proprement chrétienne, de la médiation d'un personnage central, l'homme historique Jésus, lié particulièrement à Dieu (on laissera pour plus tard les complexes liens familiaux du monsieur), en charge d'opérer la médiation entre l'homme et Dieu, en ce qu'il accomplit par son existence historique et son rôle ultérieur après être sorti de l'histoire, ce qu'on appelle le "salut" de l'humanité, destiné à le mener vers un destin splendide, mais après qu'une partie supplémentaire de l'histoire globale, à venir, se soit terminée... 

Ce petit cours de catéchisme, engageant à paraphraser davantage Manent, lui même paraphrasant Pascal, terminé, on se contentera, encore, de constater l'étonnante marge entre le contenu effectif de ce que je viens de dire et le contenu de ce que nous servent les soi-disant croyants et religieux chrétiens actuels. Non pas que je veuille à partir d'aujourd'hui me précipiter dans la rue pour hurler je ne sais quelles insanités en rapport avec la révélation de ce que je viens de découvrir, ce qui est précisément ce qui arrive au grand noir qui micro à la main, pollue de temps en temps l'entrée du Métro Saint Paul, mais pour signifier en l'écrivant, qu'il y a de la marge entre un contenu scripturaire explicitant une vision du monde et une vie effective organisée autour de cette conception. 

Comme par hasard, Pascal est un porteur génial de l'expression de cette distinction et passe ses livres à l'exprimer avec énergie. Tout ceci constitue le christianisme, déjà en fait inconnu et non pratiqué à l'époque de Pascal lui même, qui considère le monde où il vit comme naturellement athée et à convertir...

On se doit de faire aussi un petit laïus sur la mort en général, la notion polysémique de "salut" s'y rattachant. Là encore, une expression puissante est nécessaire pour convoyer (Manent/Pascal y arrivent assez bien) des significations qu'on n'avait pas envisagées. La mort individuelle est impossible à penser sans ses caractères pourtant évident de mort collective qui lui est attachée: par sa mort, on se sépare du monde, qui ainsi meurt aussi. La perception de soi mourant est aussi celle de sa mort "au monde" et donc de la mort du monde lui même, de ses proches et de tout ce qui se rattache à son environnement. Le "salut" , le fait d'être sauvé s'attache ainsi à tout cet ensemble, qui fait de chaque mort la mort de toute l'humanité (comme dirait le Coran). Le salut de l'humanité est ainsi, conceptuellement, une sauvegarde, disons "le salut", de toute l'humanité. C'est bien l'objectif chrétien, assez grandiose, il faut le dire. 

Les progressismes

On fera ici l'histoire de la chose, les guerres de religion qui introduisirent l'État moderne pour cantonner à jamais les passions religieuses hors des gouvernements, furent suivies avec les lumières d'un premier progressisme qui s'attachât à inventer une nouvelle religion pour remplacer le catholicisme, puis avec l'industrialisation et la ruine de tous les idéaux du XXème siècle, un deuxième progressisme qui nie toute religion et en cela devient proprement barbare car soumis en fait à un religieux implicite. Voilà pour faire court.

Cette idée du progressisme européen actuel comme absolument barbare et même radicalement barbare est centrale et doit être le centre du combat (car nous sommes "en guerre", n'est-ce-pas ?). Il s'associe à tous les oublis et à toutes les destructions, ce qui fait qu'à force, bien sûr, un certain niveau de table rase va finir par être atteint.

On commencera par réévoquer brièvement ce qui vient d'être dit et qui est aujourd'hui définitivement consommé: la mort de Dieu et l'oubli complet des signifiants associés, la dégénérescence complète du vocabulaire et des concepts chrétiens croyant vivre encore dans un fatras humanitariste compassionnel second et sans rapport avec aucune choucroute. 

Repris par le second progressisme (Rousseau) qui consacra la ruine du concept de faute fondamentale inversant individu et collectivité: on passe d'une faute originelle collective et du salut individuel de l'homme libre à une conscience naturelle impeccable polluée par un social méchant qu'on doit transformer. La vraie "religion" des temps modernes est très différente du christianisme, et celui-ci n'a subsisté que pour la forme dans un monde auquel il était tellement étranger qu'on a fini par ne plus du tout lui prêter attention. 

Au passage, on notera l'originalité de la conception exposée. Pour la première fois dans l'histoire complètement distincte des origines imaginaires du social, le religieux explicité par le judeo-christianisme (la conception globale est en fait plus large et défendue d'ailleurs par Pascal comme un assemblage entre juif ET chrétien) est histoire des relations avec Dieu. Même s'ils sont nation ou peuple de Dieu, les juifs ou les chrétiens sont d'abord en relation et tout le reste de leur vies reste second par rapport à cela, avec la personne divine. Cette séparation entre divin et politique est originaire et essentielle. 

Le contraire exact de ce qu'on nous propose, et cela n'est pas un hasard: il y a complot ! Comme décrit par Philippe Muray dans ses divagations sur le romantisme qui précéda le second progressisme, la destruction organisée du christianisme fut le grand oeuvre du XIXème siècle partout en Europe. Pour ce qui concerne la période récente, on notera l'instinction complète de toute religion, catholique et protestante cofondue dans l'ensemble de l'Europe. La tentative, à la fois dérisoire et attristante de parler des "racines chrétiennes de l'Europe", avortée immédiatement, le montre assez. Le progressisme européen ne prendra du catholicisme que les exortations du pape François à accueillir les migrants. 

Il nous faut continuer avec les autres oublis et notamment celui de ce qui caractérisa longtemps le christianisme : son identification avec l'Europe globale, origine d'une poussée civilisationnelle à succès qui dans un second temps assez brillant se mit à étendre et à réutiliser avec succès ses fondamentaux antiques et impériaux. Ce qu'on appelle aujourd'hui le "projet européen" se trouve en opposition totale et cela avec une radicalité extraordinaire (on l'a dit elle est en fait tout à fait "barbare", en fait), avec ses origines, son passé et son être même. Ce projet est d'abord celui de l'abandon de l'idée même de nation, assimilée à sa pratique "nationaliste" dont même une citation de De Gaulle condamne la possibilité: Le patriotisme, c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui des autres.". Reprise par Macron, l'ignoble assimilation qui scelle la disparition du concept a fait son oeuvre, l'Europe c'est la paix etc etc. 

De fait l'oubli du religieux et aussi l'oubli de la Nation, qui marque de son vide formatteur les consciences en Europe accompagne un autre oubli et qui est celui de se reproduire. Privée en 100 ans de ce qui fit sa puissance, l'Europe dérive, ventre mou à bourrer, ça tombe bien l'Afrique est là pour la remplacer. 

Revenons au concept de Nation, la France "grande nation" etc. Comment ne pas vomir pris de spasmes incoercibles en voyant les exhaltations de plateau sur la construction de la "Nation ukrainienne" dont on admire l'héroïsme poussé par des néo nazis qui tuèrent des juifs et des polonais pour mieux conforter leur séparation du "russe" être abject et dont la volonté de puissance insupportable et incompréhensible nécessite qu'on lui fasse et à tout prix... La guerre ? 

Privé de tout écho, le peuple intermédiaire, puissance moyenne, acharné à la paix, qui tentait toujours la médiation pour se distinguer et exister sur la scène internationale malgré sa faiblesse militaire a pris parti et livre des armes létales innovantes. Pour quelle plongée dans l'ignoble et l'inhumain, une société entière se déshonore à ce point ? 

Misère de l'homme privé de tout bon sens et son humanité, goinfré de sentiments moraux absurdes et qui se ruine dans l'histoire, encore une fois prêt à se couvrir de honte auprès de ses enfants. Car les résidus de la honte de 40 n'ont exprimé qu'indirectement leur haine de l'abaissement de leurs parents: en prétendant une liberté ou des idéaux en relation avec l'avenir. Ils détestaient leur origine, en fait, tout comme les rares qui s'étaient battus détestaient leur présent et avaient en fait honte d'eux mêmes. 

 

 

 

 

 

(1) Radio NotreDame : https://radionotredame.net/emissions/legrandtemoin/14-12-2022

(2) https://www.francisrichard.net/2022/12/pascal-et-la-proposition-chretienne-de-pierre-manent.html

(3) Le Finkielkraut : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/repliques-du-samedi-22-octobre-2022-8618915

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