Les victoires
Indépendamment de tout fait, mais en relation avec lui se pose le jugement de valeur, l'"estimation", qui est tout de même une forme de description, et pour certains la seule. On peut être pour ou contre ou les deux mais en rester là, et cela en bavant sur toute description "objective", l'objet n'étant QUE ce qui vu ainsi.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie devait être à l'avantage de la Russie mais sous la forme d'une victoire éclair qui n'a pas eu lieu. Condamnée à être longue, cette victoire fut donc d'abord un échec complet, voire une défaite de fait dont on a cherché à trouver les apparences, toutes les explications de la non-victoire rapide étant autant de faiblesses coupables et définitives qui rendent la défaite possible, donc certaine, pourvu qu'on y mette le prix.
Bien sûr dire que la victoire est nécessairement retardée pour en éviter le cout trop cher en militaires tués excite le jugement, qui est bien sur celui des pertes énormes des Russes, garant supplémentaire de leur défaite à venir.
Dire que la victoire arrive forcément est alors un truisme prévisible, et le seul discours devient celui de son retard, attribué à une défaite manifeste, par voie de conséquence. Petit à petit on arrive à une victoire totale de la Russie qui sera associée de fait à son épuisement complet et donc à sa quasi-destruction. Pyrrhus, vous dis-je, Pyrrhus.
Roi d'Epire (l'Albanie) puis roi de Macédoine, Pyrrhus vainquit plusieurs fois les Romains (Héraclée 280, avec des éléphants), ratant Rome de peu, se bat aussi contre Carthage, puis contre les macédoniens mais ses victoires furent couteuses d'après Plutarque, et il finit assommé par une tuile lancée par une vieille femme...
Eloignées dans l'histoire, les victoires et les défaites se succèdent avec les morts et les souffrances des combattants, et qu'est-ce que gagner pour un général, un empereur ou un demi dieu ?
Mais on peut continuer les considérations sur le sujet, et en particulier sur ce qui concerne la publicité faite sur les petites victoires, celles qui agrémentent le quotidien. Publicité ou silence d'ailleurs, car on notera qu'après l'incroyable bruit fait autour des grandes défaites Russes, ceux-ci n'ont répondu que par des coups de canons, sans se vanter en rien, car on ne peut considérer comme des vantardises les petits sourires tristes de Vladimir Poutine...
Mystérieuses tactiques de communication...
D'abord on notera que pour qu'il y ait victoire il faut une prétention: on ne gagne que les batailles qu'on se propose à l'avance de gagner. Et réciproquement pour les défaites. L'échec majeur de Poutine à prendre Kiev fut-t-il précédé d'une prétention affichée à cela ? Nullement. Pourtant, hier soir, un commentateur avisé, général "émérite", réaffirma le jugement, l'utilisant, comme indiqué plus haut, pour faire passer l'appréciation de l'échec global Russe, le projet agressif ne pouvant se relever d'un tel insuccès, qui grève donc définitivement toute prétention Russe à une quelconque victoire.
Dans les faits, la prise de Kiev ne fut jamais annoncée comme un but de guerre, fixa une partie importante de l'armée Ukrainienne, et permit la conquête éclair initiale, en particulier au sud. Elle faillit déstabiliser le pouvoir kyévien, qui proposa rapidement de négocier et ne fut remis en selle, apparemment du moins, que par des interventions extérieures, disons l'OTAN, qui le poussa à résister quoi qu'il en coute. L'évacuation ultérieure, menée dans l'ordre, des troupes rassemblées pour l'occasion fut menée sans dommages, et on ne vit de la grande victoire Ukrainienne, aucune offensive destructrice, aucune destruction organisée, aucune pénétration visible: comme si elle avait beaucoup couté elle-même...
Affichés les buts de guerre sont bien le Donbass, la neutralisation et la dénazification plus le sud, c'est-à-dire la façade maritime de la mer noire, qui devra y passer. Rien n'indique une volonté de conquête au-delà, les zones susceptibles de faire partie de la fédération de Russie étant exclusivement visées, le cauchemar d'avoir à subventionner le reste d'un pays failli et pourri de sa corruption étant laissé aux Européens, seuls capables d'envisager pareille absurde politique.
Rien que du rationnel, et du prévisible, du moins si on a deux sous de réflexion. Se mettre à la place de Poutine est assez simple en fait: il suffit de considérer les intérêts objectifs de la Russie et de se détendre...
Un autre point est la vantardise victorieuse, propre à certains tempéraments exaltés, que ce soit par l'origine ethnique ou la quantité d'excitants absorbés. Elle a deux inconvénients: d'abord de mettre en avant le cout humain de ces entreprises, qu'il faut à la fois féliciter et aussi, le succès étant acquis promettre d'arrêter. Ni l'un ni l'autre ne sont souhaitables pour l'instant. Les morts au combat de la victoire ne seront mis en avant qu'à la fin, et encore, on trouvera un soldat inconnu pour ne pas trop faire pleurer: moins il y en a, mieux c'est, la victoire en est plus joyeuse.
Ensuite, de montrer la direction de sa volonté et de laisser transparaitre certaines tactiques préférées. La guerre doit être d'abord ce qui est caché à l'ennemi, les coups délivrés devant surprendre, car la douleur infligée se doit d'être maximalement intense. Rien de ce qui réjouit ou indique le mouvement ultérieur ne doit être dévoilé. Ce qui caractérise pour l'assaillant un objectif local atteint (par exemple, en soulageant une faiblesse à cache) doit rester secret toujours.
Que cela nuise au spectacle extérieur, cela est certain, mais en principe, nulle femelle au spectacle n'est présente, à part des opinions extérieures qu'on a déjà traité de toute façon, et qui n'entendent rien à toutes ces choses.
Et puis, il y a les délices de l'incertitude. Ces canons Français vendus ou capturés, en cours d'examen au-delà de l'Oural, sont ils fictifs ou non ? Le doute introduit permet à l'ennemi de se consumer en démentis, en reproches larvés, en perte de temps et d'efforts qui sont autant de blessures infligées. Et si en plus c'est vrai, alors là, les renseignements obtenus devront bien sûr rester cachés d'autant plus.
Il y a derrière les sourires tristes des vraies puissances tout un monde...