Les natures
Hugues de Saint Victor
Le concept de Nature, au centre de la philosophie et en fait de tout, (...) est une source inépuisable de réflexions variées. A l'occasion de mes perceptions (forcément tronquées) de l'abrutissement général d'une partie de l'intellectualisme moderne, il me semble qu'on peut gloser sur l'opposition capitalisme/nature dans mon esprit torturé.
Conçu comme le destructeur de la nature, l'ignoble capitalisme est un artifice conventionnel que l'on doit pouvoir abattre et changer de l'intérieur ou d'ailleurs, d'ailleurs... Victime passive de l'ignominie, la nature est fragile et les espèces périssables: le monument crée par Dieu est détruit sous nos yeux à la vitesse grand "v", et le sable de la planète Dune, que Mars symbolise avec perfection, va bientôt tout recouvrir: il y eut ici, amour gloire et beauté, eau ruisselante, veaux vaches et cochons et il ne reste aujourd'hui pourtant rien que des cailloux rongés par les radiations.
On pourrait pourtant dire l'exact inverse: la nature est immuable et aucune pollution ne viendra à bout des trous noirs, le dioxyde de soufre s'exhale des trous qui restent et les méduses nous envahissent, tout comme les frelons asiatiques et donc toutes les invasions nous menacent: comment diable la pollution ne peut elle pas venir à bout des migrants ? La force de vie, impérissable et permanente est immuable et le nombre d'occasions pour que cette foutue réaction vitale, la nature donc, se déclenche, est infini dans l'univers. Nulle inquiétude à avoir, la nature n'est pas en péril, et on peut la modifier à notre avantage et l'utiliser sans craintes et sans limites.
Croire en sa fin quand elle ne fait que changer est un péché défaitiste, voire une volonté cachée de détruire l'humanité, du moins sa partie blanche, la frénésie pro migrants des écologistes étant conçue comme un moyen de justifier l'existence et donc de lutter contre, le réchauffement climatique...
D'un autre coté, le "capitalisme" forme naturelle et instinctive de gestion des surplus qu'on veut toujours plus grands, existe depuis l'origine de l'histoire et se traduit par le voyage, qui permet de réaliser le sur profit. Bien loin d'être mauvais, provisoire, généré historiquement par je ne sais quoi de vicieux dans l'homme, il est un réflexe naturel et constitue notre nature sociétale humaine. Pourquoi vouloir l'abolir ou le modifier ? Cela reviendrait à vouloir changer la recette de l'air que l'on respire. La nature doit être respectée et acceptée: la vouloir changer à toute force est un péché, et s'en prendre aux banques au point de vouloir leur retirer notre argent revient justement à vouloir punir le monde en cessant volontairement de respirer. Contre la nature donc.
Ainsi donc, en bonne logique, ce qui, vous le reconnaitrez, se trouve à rebours des évidences contemporaines, nous devons correctement définir le sens de la notion de nature, celle ci pouvant et devant être changée (alors que les abrutis ne veulent que la préserver), et aussi celui de la notion de capitalisme comme une nature à préserver (alors que les crétins veulent l'abattre).
Que sur des sujets aussi sensibles, tout le discours public et intellectuel soit ainsi à l'inverse exact de ce que je viens d'exprimer, évidence qui, il faut le reconnaitre, est manifeste partout, malgré tous les soupirs, tous les projets intellectuels et toutes les philosophies, a un coté surprenant. Remplies de plaintes imbéciles à rebours du vrai monde, tous les ouvrages, toutes les revues ne sont que pleurnicheries symboliques volontairement contraires au monde et qui ne font que le nier symboliquement, alors que celui ci, inexorablement, avance selon son vouloir, contraire à celui des bien pensants.
Serait ce naturel qu'une telle contradiction puisse se maintenir comme témoin de l'émergence de l'intelligence et de la culture au sein de la nature ? La connerie et le déni de la réalité seraient ils naturels ?
Continuons toutefois sur le concept de nature: il désigne à la fois le caractère essentiel des choses ou des hommes, son tréfond, son originalité, quasiment son être, et aussi l'ensemble des choses dans toutes leur généralité, le cosmos, tous les êtres, l'environnement... Cette ambiguité fondamentale est l'essence de ce que représente la chose, sa nature en quelque sorte et l'histoire le confirme.
Hugues de Saint Victor le dit bien dans le Didascalicon: "On ne peut connaître la nature des choses si l'on ignore leurs noms". L'homme est un encyclopédiste, digne successeur de Boèce. La nature est pour lui l'être propre de chaque chose, le contraire de l'environnement, donc, c'est à dire le contraire de ce qu'on doit à l'action des hommes.
Il y a bien sur "la plainte de la nature" (De planctu naturae) de Alain de Lille, qui à part se plaindre de l'homosexualité (quel apparté opportun sur la nature, n'est ce pas?), décrit les saisons. On attribue à Boticelli le même souci avec sa peinture du printemps, bien après mais inspirée par. De toutes façons, on est bien dans l'approche oxymorique qui est mon propos ici: Alain de Lille me précurse, Nature et sa perversion s'entremèlent, et nos pensées aussi. La nature se plaint de l'homme qui viole ses lois. La terre se plaint d'être labourée exagérément, la mer d'être battue par les avirons.
Pourtant, ce qu'on appelle la nature, et qu'on voudrait soustraire à ces hommes là, précisément, ne s'étend pas aux planètes et à l'espace vide entre celles ci... Comme si on voudrait réserver le mot à la fameuse gaïa, avec ses petites bêtes à ne pas épouiller et surtout son caractère à la fois immuable (qui violerait sa mère, à part une certaine sorte de migrants?) et profanée en permanence, par qui? Par le Kapitalisme bien sur... On oublie bien sur la profonde humanisation des territoires menée au moyen âge (l'âge où c'était mieux, avant on en voit pas d'autres), les forêts détruites, et surtout avant et après la peste, les premières expansions démographiques liées aux funestes découvertes techniques concernant cette saloperie d'agriculture inventée d'ailleurs bien avant pour notre malheur.
La nature serait elle la nature "sauvage", celle que virent en Amérique (le pays des sauvages) les premiers explorateurs du monde infini de l'époque ? Toute personne qui l'a rencontré ne peut qu'en être ravie, ou terrifiée, au point très vite de trouver des expédients pour y survivre et donc pour la détruire. Elle est cosmique, sujette à des équilibres arbitraires entre espèces de toutes sortes et surtout sujette à fluctuations. Il n'y a pas que dans l'Europe civilisée du moyen âge que se manifestent les âges glaciaires, ou les réchauffements subits. Celui de notre époque, poussé par l'homme espèce invasive en multiplication exponentielle est bien poussée par la nature, la nature humaine, exagérément poussée au sexe. Bref, on tourne autour du pot.
Car la pensée du cosmos est bien ce qui clive.
On a vu l'attitude grecque qui ne considère raisonnable que de vivre suivant la nature, le cosmos harmonieux étant la règle à suivre et qu'on idéalise. C'est aussi la pensée stoïcienne, et Sénèque le dit bien, la nature de l'homme, la raison le pousse à vivre en suivant "sa" nature. De Lille mentionne aussi la pauvreté, et là il me semble bien que cela part alors en couilles chrétiennes et que c'est bien la thèse de sa responsabilité dans la catastrophe écologique (1): on veut mesurer la "juste" activité de l'homme et donc, et là c'est imparable, on déclenche le mécanisme du calcul et donc de la quantité de glyphosate à mettre sur le blé en herbe... (Cette histoire du calcul est personnelle et toute influencée par H. qui lui, l'attribuait aux juifs).
Alain de Lille est un prédicateur riche et cultivé, il cite le Phaéton d'Ovide et sa conduite du char du Soleil, (quelle belle métaphore de l'hubris technique), et aussi la comparaison philosophie/théologie opposée à celle entre le papyrus et l'arbre, les bateaux fait avec l'un ou l'autre n'ayant pas la même résistance naturelle...
Ces rêveries infinies montrent bien la richesse du sujet, son inachèvement, y compris à l'âge moderne, celui n'en finissant plus de se croire unique tout en poursuivant les mêmes délires. Car il y a dans ces contemplations des soucis de perception du mystère, les contradictions inspirées ayant toujours alimenté les fascinations et les réflexions profondes (que fais je ici même? Hein?).
On glosera aussi sur la distinction panenthéisme(avec un "e")/panthéisme. Le panenthéisme inclut la nature dans Dieu, celui restant "autre" , tandis que le panthéisme identifie les deux. Le brahman hindouiste, comme principe neutre universel est typiquement panenthéiste, alors que le panthéisme fait de la nature de Dieu (la seule nature individuelle qui tienne, donc) la nature tout court, la chose étant plaisante, mais moderne.
Et puis il y a Herder (3).
Car l'idée de nature est celle des espèces: un univers fait de diversités voilà le paradoxe linguistique. Herder, le cosmopolite patriote, est l'amoureux des peuples qui font l'humanité. Et puis, comme c'est bizarre, le peuple allemand, naturellement philosophe, est le mieux à même, du fait de sa spécialisation raciale, de supporter l'universel. Mais avant cela, la grande conception: l'homme est imparfait par rapport à l'animal, il n'a pas d'instinct, pas de fonction déterminée, et cette faiblesse, cette liberté de choix, est à l'origine de sa "nature" spéciale sensible et spirituelle qui lui donne la raison. Faiblesse donc liberté donc raison, voilà l'idée de Herder !
Cette liaison entre liberté et raison viendrait de Rousseau, et se trouve être magnifique ! Je la note.
Mais continuons sur Herder, il se préoccupe de l'origine du langage et de celle de l'humanité: la grande réflexion sur la nature, donc. D'abord sur ses 4 grandes lois de la nature, il y a celle qui fait que l'homme ne put demeurer un seul troupeau: les langues et les nations sont donc diverses et multiples et pourtant, autre loi, l'humanité a une origine unique... On en revient donc au grand mystère de la nature commune de l'humanité qui est d'être séparée.
C'est bien cela le grand oxymore de la nature, un objet G. fascinant et obsédant un passage incontournable entre deux rives, deux flancs de montagne avec toute la plaine au loin, et partout, de l'herbe.
(1) https://www.nonfiction.fr/articlecomment-9442-actuel-moyen-age-entretien-avec-sylvain-piron.htm#newcomment
(2) https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2013-2-page-299.htm#re52no52
(3) http://m.antoniotti.free.fr/herder.htm