Les Spinozas
A l'occasion d'une description originale des vraies pensées de Spinoza (1), on ne peut que se réjouir de ne pas avoir du hollandais israélite une idée a priori trop vulgaire, car l'homme mérite le détour et autant le dire, ça décape.
D'abord que juste après Descartes (il nait en 30, et René meurt en 50, il est le philosophe de la modernité triomphante, champion de la raison géométrique (et au combien) et d'un certain point de vue, "accomplit" le Français en éliminant toute transcendance. Spinoza est l'homme de l'immanence, d'abord: point d'extérieur au monde ! Mieux, il abolit la binarité de l'homme et de la nature et se trouve, ultra moderne, révéré des écolos. Dieu partout dans la nature, "est" la nature.
Revenons à l'époque. Elle sépare étendue et pensée, c'est le grand partage moderne entre quantité et qualité. Fondamental. Descartes séparait par cela homme et animal, la bête mécanisée n'étant qu'étendue. Spinoza enfonce le clou: tout n'est qu'étendue, et l'homme est un automate spirituel. Descartes, stoppé en chemin est dépassé: Spinoza est le vrai moderne.
Spi est aussi un mystique: la béatitude c'est bien l'objectif humain, et consiste bien à voir Dieu, à le connaitre absolument. Elle est d'autre part "a religieuse": la béatitude n'est pas récompense de la vertu, mais vertu elle même.
Deus sive Natura: "c'est à dire" consacre le rejet de la métaphysique et de toute caractérisation théologique du divin.
A ce propos, on caractérise en distinguant comme de justes attributs primaires et secondaires, essentiels et accidentels, c'est-à-dire en fait entre nature "naturante" et "naturée". A ce propos, on se déclare contre Aristote: la nature d'une chose n'est pas sa fin, son rôle, mais sa structure: l'opium n'est/n'a pas une vertu dormitive, mais sa structure essentielle a accidentellement de quoi faire dormir... Là encore, étendue, structure, mécanisme.
Les attributs primaires divins: étendue, pensée, et donc éternité de la nature et de l'humanité.
L'Ethique est le livre principal de Spi, l'objectif humain est le souverain bien accompli par une humanité supérieure. C'est bien le projet moderne (et hyper moderne), Descartes le voulant en dominant la nature (le fameux poncif), Spi en s'unissant avec la nature.
Le traité théologico-politique, véritable traité averroïste, consacre la différence entre foule, semi-habiles et sages et surtout entre prêtres et politiques: passionné de croyance, les prêtres veulent faire croire qu'ils diffèrent du politique, hors, il ne sont porteurs comme d'ailleurs les écritures, que de préceptes et ne sont en cela que des politiques, mais des politiques masqués !
La conception étrange et en fait complexe, consacre l'athéisme terrible du monsieur, qui suscita là la fureur de son époque et surtout des théologiens dont il nie l'existence et l'intérêt: Dieu n'est pas autre chose que ce qu'on connait... Spi rejette ainsi toutes les vertus distinctes de la raison, foi et espérance, et ne reconnait que la charité comme obligation finalement politique, nécessaire au bon gouvernement. Celui-ci ne peut d'autre part n'être que démocratique, expression absolue de l'étendue par la quantité du vote.
Et puis il y a la vérité, qui n'existe pas. En tout cas par adéquation entre deux choses qui doivent rester à jamais parallèles: les choses et la pensée. Il n'y a pas d'adéquation entre les deux, mais "adéquation" entre les idées elles-mêmes, les choses étant ici mathématiques, celles qu'on démontre, "géométriquement".
Et puis il y a les passions ! D'abord, Spi ne parle que d'"affects", la passion passive n'étant qu'une modalité, sachant qu'il y a aussi les actions. Les passions, c'est Descartes... La passion est négative, car immotivée et passive, elle cesse de l'être dés que la raison en fait une idée claire. Et puis il y a la joie/tristesse, le pire étant la passion triste...
Et puis, le libre arbitre qui n'existe pas: l'homme est un automate spirituel, et la liberté consiste à agir selon la nécessité de sa nature.
Et puis le péché originel: la désobéissance à un commandement ou un écart fait à sa raison d'être nécessaire, simplement expliquée ?
Et puis la mort, elle n'est qu'un accident, rien n'y oblige... Ce qui fait de Spinoza un transhumain au sens plus que moderne... Tout cela reste surprenant et se trouve révélé par le grand spécialiste actuel du sujet, rien à voir avec le robinet d'eau tiède gauchiassant qu'on nous sert d'habitude. Spinoza était une terrible grande gueule !
(2) https://www.nonfiction.fr/article-11722-spinoza-dans-ses-uvres-et-au-dela.htm