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Les islams des lumières

On s'interrogera sur la notion d'islam "des lumières" ou du moins sur la possible existence au sein du monde musulman de positions diversifiées effectives qui rendraient l'islam moins "monolithique".  

Jaloux de son unité, la chose semble ne pas pouvoir être divisée. Elle l'est en fait et un côté de la barrière se trouve vraiment différent de l'autre. L'appeler "des lumières" a un côté oxymorique voire ridicule car il signifierait en toute rigueur que le religieux correspondant aurait disparu, complètement absorbé par l'autonomie complète acquise lors de l'émancipation en rapport, mais bon. Al-tanwir: les lumières... En plus cela a un côté délicieusement zoroastrien... 

On commence donc par par Ali Abderraziq(2), qui en 1925, un an après l'abolition du califat, écrit l'islam et les fondements du pouvoir, qui fait justice du califat et aussi des califats bien guidés. L'anti salafisme donc, au point qu'on peut parler de nouvelle grande fitna. Hassan Al Banna fonda l'organisation des frères musulmans en 1928, avec comme objectif la restauration du califat.  

Le reste de l'islam connu explosa en djihadisme au point de s'identifier avec l'islam aujourd'hui et qui fait la différence, elle existe pourtant. La thèse qui est celle du célèbre Mohammed Arkoun (mort en 2010) est qu'il y a confusion en islam entre le religieux et le politique (ce que tout le monde sait) et que cela n'est pas essentiel mais historique : le religieux fut utilisé pour légitimer un pouvoir particulier. 

On commencera par la théorie de Ibn Kaldun, des trois phases: le califat idéal, la monarchie tyrannique et la monarchie éclairée par la Charia. La  3ème forme est la réalité incontournable, la célèbre "transition". On a là le problème fondamental du "romantisme islamique": l'écart insupportable entre l'idéal irréalisable et la réalité inacceptable... 

Et on établira qu'il y a bien trois questions, posées doctement par des intellectuels subtils, plus ou moins menacés et dont l'expression prudente est toujours à cheval entre la hardiesse insupportable pour beaucoup et le foutage de gueule à destinations des occidentaux... 

1) L'islam peut-il se passer du califat, est-il indépendant du califat ? 

2) Les discours religieux sont ils distincts des ensembles de pratiques et de leurs discussions ? 

3) la modernité technique est-elle inaccessible aux musulmans et l'État de droit incompatible avec l'islam ? 

À partir de là, on peut broder et les "intellectuels" du monde musulman ont de quoi arguer. Il faut par contre bien distinguer, en fait comme dans les discours chrétiens correspondants, entre les réflexions objectives et les atteintes raisonnables et raisonnantes aux principes de la foi dont ces gens sont tout de même investis, et qui rendent de ce point de vue leur discours crédible. L'athée moyen qui se déclare en faveur de l'État de droit n'a bien sûr aucunement voie au chapitre, cela va sans dire. 

Au hasard des lectures on pourrait citer Mohammed Talbi (1), un tunisien irascible compagnon de Bourguiba, et résolument opposé à Ennahda, (la "Renaissance", le parti frériste Tunisien). Adorateur d'un coran sacré, il s'est distingué dans des polémiques en considérant la charia comme radicalement humaine et historiquement dépendante tandis que le Coran lui serait sacré au point de ne pouvoir accepter de lecture historique, ce qui le mit en opposition avec certains.

On voit donc les camps et les lignes de défense successives... 

On comprend d'autant mieux tous ces gens en réalisant qu'il s'agit bien de percevoir (certains disent "interpréter") un texte d'origine divine émis (certains disent "révélé") au VIème siècle dans un milieu culturel tout de même particulier, mais qui fut, cela est indubitable, à l'origine de changements géopolitiques majeurs, et cela en très peu de temps...

On a lui Talbi, au style agréable et dont le côté carré est plaisant. Il représentera pour nous une expression claire et circonstanciée et aussi cultivée, de ce que peut être la foi musulmane d'un homme intelligent. 

Sa description du Coran, comme équivalent en terme de foi avec la personne du Christ, donc inaccessible à la critique historique exprime bien la chose avec le fameux hadith: "quiconque glose sur le Coran en s'appuyant sur son jugement, même s'il tombe juste, est tout de même dans l'erreur". 

On y trouve une chose remarquable est qui est le dogme (ijaz) de "l'inimitabilité du coran". Des gloses variées de la chose en font donc un bloc de langage particulier, une théorie sur le langage lui même, et ainsi une "guidance" unique. Se dérive de cette idée, entre autres, les ridicules tentatives d'extraire du Coran toutes les découvertes scientifiques. C'était Al Ghazali lui même qui affirmait que "le Coran est l'océan sans limites de toutes les sciences"... L'"ijaz scientifique". 

On doit pourtant considérer qu'il y a plusieurs débats distincts. D'abord la nature du Coran, le problème de Talbi, mais aussi d'autre part celui de la nature de la charia et du califat, les choses s'entremêlant. 

Pour ce qui concerne la nature du Coran, Talbi hélas semble être marqué par le fameux ijaz scientifique en ce qu'il identifie la révélation à une science descendue du ciel, un rapport de connaissance entre l'homme et l'"Omniscient". À ce propos Talbi dénonce le "concordisme" en gros le projet de Teilhard de Chardin, qui se perdit dans l'abandon définitif des vérités scientifiques propres à la religion, ce qui asséchait toute interprétation "catholique" de la science. L'islam prétendument différent ne l'est que parce qu'il faut partir du Coran révélé etc. Gros avantage à celui qui possède un authentique discours divin... 

Le discours est en fait un peu plus que cela. On est dans un engagement "ontologique" de l'homme à Dieu, crée non pas dans un jeu mais pour autre chose. Doté pour cela de la liberté et donc d'un libre arbitre inconnu des anges et de la création (sauf du diable), le projet reste ainsi de raison inconnue... Talib dit pourtant que la liberté fut crée avec Iblis, et celui-ci d'ailleurs reproche à Dieu de l'avoir "fourvoyé". Et on se retrouve alors avec une identification de la liberté et d'Iblis, devenu nécessaire, Dieu a donc crée le mal, mais ne le fait pas. Dans la lignée du concept, le fruit défendu consommé n'est pas une chute, la liberté n'est pas aliénée par le péché, elle EST le péché... 

Qu'est-ce que la vie choisie par Adam ? " la vie est une brulure perpétuelle" (Mohammed Iqbal).

Cette manière de voir, si elle est effectivement de bonne théologie musulmane, d'une part et bien comprise de ma part, signe ma rupture complète avec la grande religion de paix qui est donc, dans ses tréfonds, ce qu'on en attendait confusément. Étonnant que le très sincère et cultivé Talbi nous balance la vérité comme ça, sans réaliser l'ampleur du désastre. 

Ainsi donc l'homme est créé faible, et a besoin de la miséricorde (Rahma). 

 

Au passage, on reconnait le mystère commun à toutes les religions du livre, le Dieu Juif ayant manifesté son besoin de l'homme qu'en quelque sorte la loi ferait exister, le Dieu chrétien plus subtil étant éternellement dans le passé porteur de son fils, déjà humain (je m'égare). Disons que le mystère islamique mériterait d'être théorisé: le besoin d'une victime à menacer  peut être ? (je m'égare aussi). 

En tout cas, il n'est pas une "alliance" (Mithaq) basée sur un sacrifice rédempteur ou un peuple élu. Les prophètes révèlent, en fait, rappellent cet engagement ontologique. La vocation de l'homme serait alors de lire le livre de l'univers crée par Dieu. La vocation de l'homme est "scientifique". 

Au passage on égratigne les soufis, ou plutôt on explicite la méfiance sunnite envers les soufis jugés coupables de prétendre "connaitre" Dieu. C'est le reproche traditionnel aux mystiques, bien sûr. On note cependant cette fusion mystique/science qui est celle de Gazhali décidément préféré à Rushd. 

Cet engagement primordial de l'homme (fitra) fait par contre de la conception et donc de la situation de l'homme quelque chose de premier et donc l'islam est la religion première en fait. Les derniers seront les premiers. On a ainsi un anti péché originel, le prophète rappelant l'homme à sa vocation première. 

 

(1) Talbi https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/05/mohamed-talbi-l-eclaireur-du-coran_5123219_3212.html

(2) Abderraziq dans l'histoire https://journals.openedition.org/ema/542#bodyftn14

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