A l'occasion d'un bien intéressant interview du très sincère Philippe Corcuff (1), on pourra se demander ce que veut dire "la gauche" et "être de gauche".
En tout cas, un connaisseur s'exprime sur la question, sa trajectoire du parti socialiste de Mitterand à l'anarchisme en passant par le NPA ayant un côté enthousiasmant. Il a dû en manger, de la gauche. En tout cas il la définit : la conjonction de la critique sociale ET de la volonté d'émancipation, collective et individuelle.
Ainsi, depuis la volonté d'autonomie des Lumières au XVIIIème siècle, a maturé une critique sociale qui s'exprime au début du XXème et qui instaure le clivage. Le désir d'en finir (l'émancipation) de la cause de la domination (le capitalisme) fait envisager et vouloir une autre société, radicalement autre. Au point de permettre la "mélancolie gauche" cet espoir toujours présent, constitutif du caractère et qui fait l'homme de gauche éternel, mécontent du monde, et dont l'estime de soi tient à son désir du bien, futur du monde.
Commençons par les lumières, c'est Kant qui le dit:
"Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Telle est la devise des Lumières."
puis:
"J'ai traité l'aspect essentiel des lumières, à savoir la sortie de l'homme de l'état de tutelle où il se maintient par sa propre faute" .
Et tout est dit les lumières, c'est l'autonomie qu'on a déjà en principe mais qu'une tutelle servitude volontaire tient en bride.
Il est vrai que la question sociale était ignorée de l'époque des lumières... Alors qu'évidemment toute la liberté humaine au sens moderne vient de la pratique de cette autonomie, hors des servitudes sociales et institutionnelles qui maintenaient à tort les "états" sociaux dans leurs limites féodales, la question sociale, c'est-à-dire la servitude économique due à la hiérarchie des richesses, laissées en apparence intacte, semble entière.
La question de la gauche y est donc entièrement: dans l'identification et la destruction du fameux "capitalisme" parangon de toute "domination", ou la seule dont apparemment on n'arrive pas à se défaire.
Le caractère paradigmatique de cette domination là a un côté magique: comme si toute la mélancolie gauche s'y enchantait pour toujours. Néo libérale ou éternelle la seule volonté de l'ignoble profit se trouve donc pour toujours, moralement indigne.
On remarquera que la grande aporie de cette lutte tient en son opposition à une "nature". Car après tout, ce profit, comme désir des choses et des moyens de les obtenir a un côté naturel, tout comme la sexualité et le désir de quitter son pays pour vivre mieux sur les terres du voisin envié. A part que les désirs sexuels et migratoires, tout aussi conquérants que le profit se trouvent renversés: il sont expression de la liberté et paf ! Nous voilà dans le libéral libertaire, le vrai progressisme, celui qui d'ailleurs prévaut aujourd'hui et étouffe la vraie gauche, prise en tenaille enfin. Noyée par les jaunes (on devrait dire les "noirs") la grande grève échoue sur le fil, contredite par la liberté du profit, du sexe et du voyage.
Cette belle théorie (le libéral libertarisme) étant celle de Michéa, celui-ci a donc viré à l'extrême droite, ou plus exactement à ce que Corcuff appelle, navré, le "confusionnisme", qui ne doit rien à un moine chinois, et tout au mélange des genres.
Ce mélange bien gênant est d'abord cause de perte du nord: ah que la vie était belle quand la direction était tenue, et les écarts faciles à détecter, il en reste le spécialiste, malgré son apparente honnêteté toute entière consacrée à détecter grâce à un flair indubitable qui dévie de la ligne droite, euh... gauche. Cet instinct consacré par les mystères les plus hauts, et les initiations les plus secrètes est l'exclusif talent du monsieur, finalement. Ignorant de l'économie et de la philosophie, il s'acharne donc encore et toujours contre la domination éternelle qui empêche l'émancipation de autres, la sienne étant patente et il peut donc en juger, du moins je le suppose: il est fonctionnaire.
Puisqu'on en est aux émancipations, peut-être devrait on revenir aux définitions de ce qui les matérialise et qui ressort de la démocratie, organisation concrète qui les rend possible.
Cette nécessité de la "discipline" collective est décrite par Ghelen (3) avec son principe de "délestage": soumis au langage, l'homme néotène a besoin d'un environnement de filtrage de la foultitude de signaux générés par le langage interne et externe dans lequel il est plongé. On retrouve ici, la nécessité logique, pour définir l'humain, du collectif qui entoure son individu...
(1) le thinkerview de Corcuff https://www.thinkerview.com/philippe-corcuff-66-dabstention-la-grande-confusion/
(2) Kant: qu'est ce que les lumières ? https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Quest-ce-que-les-Lumi%C3%A8res%EF%80%A5-1784.pdf
(3) Ghelen : http://www.actu-philosophia.com/arnold-gehlen-lhomme-sa-nature-et-sa-position-dans-le-monde/
(4) Stiegler Darwin, Dewey et Lippmann http://www.actu-philosophia.com/barbara-stiegler-il-faut-s-adapter/