Les 19èmes siècles
On peut admirer idolâtrer ou tout simplement s'identifier à. L'homme mort ici en photo me semble un semblable, voire un pareil. Pour un théoricien de l'indifférenciation à refuser absolument (que la copule soit avec vous), il ne doit pas être content, là où il est, de voir proférer ce genre de chose, mais tant pis, il n'est plus là, et dans ce cas, les rats dansent: en passe de faire l'unanimité pour lui, tant ses autres semblables sont maintenant nombreux, je me joint à la foule pour l'admirer donc, mais je ne me retiendrai pas: il mérite tout de même quelques coups de tatane.
Il aurait beaucoup, ou en tout cas un peu, fréquenté René Girard à la fin des années 70, quand il se met à écrire vraiment. On est (à mon avis) dans ce qu'on peut retenir de ces années dans le genre "sérieux": des gens considérés comme des réacs insupportables et absolument rejetés comme tels, mais en fait tout à fait profonds, tout en restant vraiment critiquables. Des vrais hommes, quoi.
Les sujets abordés par le monsieur donnent lieu à des exemples en nombre infini: tous les cas et occasions de délires variés qu'offrent la vie pour qu'on la déteste mieux. Une sorte de description inversée du monde qui ne se ferait connaitre que par son absurdité, son injustice et son évidente malfaçon, à la fois évidente et inévitable. Que fais je d'autres dans mes macérations, avec simplement moins de style?
L'évidence est celle de la nocivité de ses manifestations tordues, l'inévitable est celui de l'absolue impossibilité de faire quoique ce soit contre. Et là on passe au métaphysique.
Le monsieur n'est ni croyant, ni religieux ni spirituel, ni absolument pas amoureux des anguilles ou de l'eau qui coule... Il fait pourtant la propagande d'un monde ancien, qu'il ne semble pas pourtant regretter particulièrement, où un certain type de rapport régnait entre les gens et le reste du monde. Et là, sans le dire explicitement, il n'est qu'un littérateur en fait, et certainement pas ni un sociologue, ni un philosophe, on passe à la découverte de l'indicible.
Sa religion est littérature, la vraie et c'est cela qu'il fait découvrir, en plus du fond.
D'ailleurs comme Girard, autre découvreur du même genre de chose, il apparait comme sujet d'un type de discours écrit particulier, qui d'une certaine manière d'ailleurs EST ce qui caractérise la littérature: un point de vue étrange sur le monde décrit comme étrange et donc absolument transformé, comme s'il était transformable, alors qu'on le décrit comme ne l'étant pas: tout simplement recrée entièrement, et en fait tout simplement créé.
Cette alternance contradictoire entre l'inévitable qui n'apparait et existe que par ce qu'on le décrit, et l'arbitraire et le bien trop personnel délire de celui qui se risque à parler de la sorte est une sorte de va et vient jouissif qui fait de tout ceci une sorte d'art, ou de révérence technique pour l'artistique, en tout cas tout sauf une affirmation, et donc quelque chose qui ressort du littéraire, l'illusion faite réalité et inversement. Belle définition non?
Je ne pense pas avoir réussi à transmettre ce sentiment, qui exprimé comme cela est rien moins que banal et qui pourtant est ce que l'on charge le littéraire d'exprimer. Qui y arrive ?
Le discours de révélation, essence, motivation, et intérêt de tout discours, constitue LE discours. Pour Muray, il est forcément chrétien et catholique. Pour bien d'autres il est LE discours occidental, disons le grec, posé là "avant", et dont le christianisme, parfaitement grec, s'en est d'ailleurs nourri "à la mamelle" comme on dit.
Sa dénonciation aussi. Ce que nous vivons, qui pourrait être la fin de la chose est il autre chose que la répétition "devenue folle" de la chose, incluant la révélation de son artifice, qui se veut répétition d'y celle, en une boucle splendide renouvelée une fois encore ? C'est ça qui fait chier chez Muray, et ses épigones: on ne peut pas être exclusivement négatif, sauf à l'être vraiment, et dans ce cas...
Ce piège, de fait le piège post-moderne, peut être moqué, il n'en est pas moins puissant, et fracturant. Peut-il être dépassé ?
Le 19
Tout d'abord, il convient de solder les comptes du passé. Ceux ci ne le sont pas et donc, cela est sur, le monsieur est indispensable. Avec d'autres, mais cela devra être fait. En gros la thèse est que la "modernité" telle que vécue après Bach (il en était déjà, comme Luther, d'ailleurs) a un problème non évoqué, non traité et toujours actif qui s'est manifesté au ... 19ème siècle et dont il fait l'histoire. Pour faire court, la destruction de la religion catholique entamée explicitement à ce moment s'est traduite par la fondation d'une autre religion, collective, hypocrite et sentencieuse que l'on pourrait appeler le "progressisme". En apparence émancipation de la religion, elle en est une, caractérisée par le déni de sa religiosité foncière, magique et occultiste. Cela peut être prouvé par les traces laissées, et révélées par le "19ème siècle à travers les âges", sans aucun doute le grand livre du monsieur.
Ce progressisme est toujours actif et l'échec sanglant (peut on dire mieux) de ses formes les plus anciennement rêvées n'a en rien changé sont principe actif, et qui est religieux, mais encore plus puissant, et qui marque l'indispensable à l'humain: le rapport intime de l'homme avec le monde, maintenant totalement réformé.
Après une longue guerre dont l'échec fut consommé cette année en France (d'après moi) avec l'accord délibéré du gouvernement et des syndicats avec qui il ne négocie rien pour ne PAS célébrer Noël (pas de "joyeux Noël aux français cette année de la part de Macron), plus l'injonction aux Etats d'Europe du responsable hiérarchique en poste de la pédophilie sacrée, d'accueillir sans limite les migrants injustement chassés de chez eux sans que rien ne puisse leur être imputé, après donc 4 siècles de ressentiments contre Galilée, le définitif abandon du catholique, ou universel, est consommé. Nous sommes seuls enfin, ou plutôt seuls face au monstre qui a remplacé le petit jésus désormais mort né. Au passage, Muray célèbre magnifiquement les 3 derniers actes de résistance, dont il fait l'éloge en étant parfaitement convainquant: immaculée conception, infaillibilité, syllabus tombèrent pile dans les prétentions injustifiées de ses adversaires et vainqueurs: statut de femme, généralisation de l'opinion, multiplicité des sectarismes.
Toutes les cantates de Noël ne sont que les échos magnifiques et d'autant plus précieux de l'espoir que cela ne se produise pas. Qui sommes nous ceux que tout cela ne séduit pas ? La nouvelle majorité ?
En tout cas, Muray pense avoir mis la main sur un grand non dit (à la Girard, vous dis-je) la collusion entre occultisme et socialisme qui serait la grande scène du coït de ses parents, le grand refoulé donc, que toute la culture moderne rejette absolument.
Revenons au constat, marqué par l'abandon de la religion chrétienne, certes, mais surtout d'un de ses sous bassements anthropologiques fondamentaux: et là Muray est formel, c'est le péché originel dont il s'agit, c'est à dire de la culpabilité originelle, implicite et inévitable de l'être humain, marque de la conception du monde ancienne, celle qui maintenant révolue, est remplacée par son contraire.
Dans l'extraordinaire critique littéraire signée Muray, qui vaut largement "mensonges romantique et vérités littéraires", on trouve Hugo, qui ne fut pas baptisé, en grand prêtre druidique de la nouvelle religion: il est toujours révéré d'ailleurs, et Baudelaire, en dernier baroque, et qui trouvait "les misérables" répugnant, comme le seul vrai poète maudit, et il l'est encore, car misogyne, c'est bien connu.
C'est cette histoire d'occultisme qui est grandiose. Entre la première table tournante d'Hugo (1853) et la révélation de la supercherie des soeurs Fox (1888), de beaux efforts furent faits par bien des gens. Et puis le déménagement des cadavres, la veille de la révolution, et le Panthéon consacré, déconsacré, reconsacré (ce qui provoqua le départ de Hugo de France) puis enfin redéconsacré pour finir au service du mari de Simone Veil, justement repantaléonisé, le souffle est grandiose. Mais nous étions en 1981, l'occulte au service du socialisme enfin au pouvoir en tant que tel, et pour longtemps. Muray a vraiment détesté l'arrivée au pouvoir de Mitterand, et il eut bien raison.
Pour en revenir à Hugo, la charge et l'assassinat est féroce, acharné impitoyable, et puis les intuitions dénoncées: la métempsychose, l'une des théories du progrès, le criminel qui deviendra juste. Et puis le coup du "sosialisme", le revenant, le spectre, le double: voilà qui est tout à fait génial.
Une autre intuition assez puissante et bien gênante: le culte des morts spirites c'est la conscience (...) que les vivants doivent tout aux morts qui les précèdent. Ils ne sont qu'eux, en quelque sorte: belle définition du racisme qui allait submerger l'autre 19ème, le 20ème. Et aussi belle matérialisation de la guerre entre les deux inconscients celui de Freud et celui de Jung, contre lequel Muray a un tropisme.
Et puis, tous ces rapprochements méconnus: par exemple Thiers, l'homme aux deux femmes, réprime les canuts en 34, les communards en 71, et commande à Sue avec le juif errant la dénonciation des jésuites.
Il faut mentionner aussi le cul, ou plutôt la réalité affirmée de l'incommunicabilité sexuelle effective (le "il n'y a pas de rapport sexuel" de Lacan, pendant du "il n'y a pas d'Amour" de Choderlos de Laclos). Sa négation fait partie intégrante et essentielle du déni progressiste bien sur, mais cela vient de loin: la mythologisation est entièrement dévouée à lui (au déni) et il n'y a guère (on voit venir le réac) que le catholicisme qui l'assume, et qui donc doit être tué etc etc. Et puis il y a la misogynie, celle de Baudelaire, qui s'en déduit immédiatement. Ce qu'il y a de marrant là dedans est que la détestation quand elle s'adresse AUSSI à la quasi totalité des hommes remet largement la balle au centre. Il n'y a que les tenants de la femme éternelle, la putride Gaia ou Kali aux milles clitoris qui ne supportent pas la profanation. Car la femme n'existe pas non plus, bien sur...
Au sujet du Diable, tant qu'on y est, l'histoire de ce saint esprit, le mal connu, en fait le diable est au coeur du millénarisme de Flore et de tous les Jeans. Et puis, la folie de Nietzsche à Turin, pas loin du suaire dont une photo révéla (...) plus tard l'inversion, qu'est ce qu'on se marre. Et puis Ganymède, le giton de Jupiter, associé au Verseau, bien sur et toujours portraitisé avec un aigle...
Beaudelaire
C'est le seul homme du 19 qui n'en est pas et qui n'arrête pas le dire en déguoisant sur toutes les passions des ses contemporains. Le héros de Muray (5).
La personne
Muray est aussi un personnage de la galaxie littéraire française, en conflit avec tout le monde et ennemi mortel d'icelle dans son ensemble (2). Il est de plus un raté patent, et qui en a apparemment horriblement souffert, mais cela reste à confirmer, le ton étrange des gens qui prétendent l'avoir connu et apprécié étant rien moins que bizarre, et légèrement suspect. Soit le type était vraiment invivable, soit on ne comprends rien à ce qu'il dit, alors qu'il me semble qu'il dit certaines choses (voir plus haut).
Céline
Par contre, il fut célinien (il a écrit dessus(3), comme on dit, et semble avoir voulu imiter son "style" et d'ailleurs la détestation furieuse suppose un style dans le genre qu'il adopte d'ailleurs), même si les allusions à céline dans le 19 sont claires: il en fut, comme les nazis et les cocos, je veux dire héritiers des dingos. De plus littérairement, il fut controversé en théorisant que le Céline du voyage est bien celui de bagatelle. Et oui. Et puis il y a cette histoire du style, qu'il décrit aussi comme recherche de l'origine, du signifié non déjà produit, donc du rejet du père etc. Il parle d'ailleurs de Balzac comme le descripteur de l'état du "père" dans le 19, et cela contre le reste, représenté par l'art d'être grand père... Par ailleurs, et là on rigole, ça fait longtemps que je tourne autour du sujet, Céline est aussi le contempteur de la ruine technicisée du monde moderne, un sentiment très "années vingt" et donc, et donc, on se finit dans l'antisémitisme, comme H. Est ce inéluctable pour un réac ? Et bien par pour Muray, qui comme moi sait bien que l'antisémitisme du 19 fut le socialisme, justement !
D'ailleurs il en parle, l'occultisme est une volonté de guérison de la mort, si l'on oppose le "vouloir guérir" à la description de son abandon, et bien le médecin c'est Céline, qui soigne en voulant tuer les poux juifs...
Le fait est que, pour moi personnellement, cette recherche célinienne du style (comme celle de Sollers, dont Muray fut proche au début, d'ailleurs) ne peut être qu'une plaisanterie: toutes les méthodes de lecture rapide sont radicalement opposées à ces simagrées et l'absence de sens des circonvolutions d'un crachat se lit très bien, et très vite, merci ciao. Qu'on pense "éditer" de telles abberations, même avec un "appareil critique" me semble vraiment complètement con. Appeler "style" les barbouillements imprimés d'un coprophage délirant qui par ailleurs ne destine la merde dont il s'enduit qu'à la haine des juifs est plus qu'insensé: coupable.
Ah pouvoir foutre une balle dans la tête du grand écrivain Céline ! Quel plaisir vraiment nazi ! Peut être devrais je déterrer son cadavre et le sacrifier mort, puis cela serait très 19 et surtout très "stylé".
Le plus navrant là dedans est apparemment la rivalité vécue comme telle du grand écrivain avec Proust, le modèle non seulement du vrai style, mais surtout de la gentillesse, avec comme Balzac un vrai projet de grand oeuvre et surtout, lui une réussite totale.
Et puis, il (Muray) n'aime pas la musique.
(1) http://www.pileface.com/sollers/spip.php?article1713
(2) http://www.pileface.com/sollers/pdf/muray_ecrivain_radicalise.pdf
(3) https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/1985-v18-n2-etudlitt2228/500714ar.pdf
(4) http://edouardetmariechantal.unblog.fr/2014/04/21/celine-philippe-muray-eee/
(5) https://www.cairn.info/revue-litterature-2015-1-page-73.htm
(6) Sur le Céline avec même un interview http://www.pileface.com/sollers/spip.php?article942
(7) Le texte sur Céline, félicité par Muray, de Zagdansky http://www.pileface.com/sollers/pdf/celinealone.pdf
(8) Recension détaillée: https://www.cairn.info/revue-romantisme-2016-3-page-138.htm#re4no4