Emily
Poursuivi par les femmes, leurs matriarcats, leurs plafonds de verre et leurs théorèmes, me voilà obligé de traiter Emily Noether, auteur (non je ne dirais pas "auteure", elle mérite mieux que ça) du théorème le plus profond et le plus admirable du monde moderne, celui à qui elle a donné son nom en 1915, mais ne fut publié qu'en 18.
Accueillie à Göettingen par Hilbert qui ne voyait pas de problèmes à ce qu'elle soit une femme, l'université selon lui n'étant pas "des bains publics", virée d'Allemagne par les nazis pour d'autres raisons, la dame mourra aux US en 35.
Elle est porteuse de la preuve mathématique que toute symétrie d'un comportement exprimé par rapport à un axe privilégié, par exemple le temps, implique l'existence de quelque chose qui ne varie pas rapport à lui (au temps), ce qui équivaut à la conservation tout court de la chose, voire de sa définition. Un objet ça bouge pas. Voir émerger des objets du simple exercice de la raison étant une de mes sources de fascination, je m'en veut d'avoir passé tant d'années à ignorer le beau théorème et la dame en question.
Une symétrie s'exprime par une invariance et cela parait naturel, mais le piquant de la chose est que le quelque chose est physique par exemple l'énergie, conservée de part la symétrie le long de l'axe du temps, ou plus exactement du fait qu'on se fout de l'origine du temps, l'indifférence valant équivalence entre les points de départ pour tout ce qui peut se passer. Que cela soit relié à l'énergie est fabuleux: comme si le temps "était" l'énergie, ou le travail tout simplement...
Tout cela s'applique à tout! On a donc translation/impulsion, rotation/moment cinétique, temps/énergie, mais aussi, tout le reste dont le changement de phase de la fonction d'onde qui "définit" la charge électrique, et aussi l'indifférence ou non au permutations, qui définissent la différence entre bosons et fermions.
On fera le malin au passage en rappelant que les fameuses relations d'incertitudes qui obligent le produit entre deux infinitésimaux à rester supérieur à la constante de Planck s'expriment naturellement entre la zone de symétrie et la fameuse grandeur invariante: D x * D p > h, D t * D E > h , etc. La nature a de la suite dans les idées.
Pour ce qui concerne l'indifférence par rotation, la vidéo du tabouret reste fondamentale: les incroyants ne peuvent que se rallier, et ce sont bien les maths et donc madame Noether qui font tourner le monsieur:
La démonstration part de la grandeur dont on exige la symétrie pour pouvoir en déduire quelque chose. Il s'agit d'un truc qui s'exprime en fonction d'une quantité "q" et de sa dérivée par rapport à qqchose "q prime".
Ce truc, si il reste égal quand on applique aux autres coordonnées des transformations groupées dans un ensemble assez grand de fonctions de transformations (les fameuses invariances) et bien une fonction G de "q" et "q prime", qui s'exprime avec le truc comme une sorte d'intégrale sur les transformations en question est de dérivée par rapport au qqchose qu'est nulle.
Le théorème purement mathématique, Noether est une fait une algébriste qui créera la discipline, s'applique à la physique de manière étrange, mais somme toute normale, car dans le formalisme dit "lagrangien" de la mécanique.
En gros, le Lagrangien c'est une fonction (un truc au sens de plus haut) de "q", "q prime" et du temps (qui joue le rôle, difficile, du qqchose) . Cela pour tout système mécanique. Foin de forces et de "m gamma", Newton c'est ringard, on se doit de passer à l'Action, intégrale du Lagrangien, qui se trouve stationnaire (de dérivée nulle) quand le Lagrangien décrit le système. Plus exactement l'intégrale du Lagrangien sur le chemin suivi est stationnaire, c'est à ça qu'on reconnait le chemin, celui qui est suivi, chemin du fainéant donc. Car "q" c'est bien sur la position, et "q prime" la vitesse, ça suffit pour décrire tout ce qui se passe, nous sommes dans la mécanique.
L'équivalent optique et le "chemin optique", qui lui aussi minimise un effort, c'est Fermat (enfin un génie avec des couilles, en 1661) qui le dit, la nature a horreur de l'effort:
« Il n’y a rien de si probable ni de si apparent que cette supposition, que la nature agit toujours par les moyens les plus aisés, c’est-à-dire ou par les lignes les plus courtes, lorsqu’elles n’emportent pas plus de temps, ou en tout cas par le temps le plus court, afin d’accourcir son travail et de venir plus tôt à bout de son opération ».
C'est Maupertuis qui introduisit l'Action, la fameuse quantité qui se minimise et Lagrange lui même qui le formula, l'action étant l'intégrale du Lagrangien, comme de juste. Au fait le Lagrangien c'est l'énergie cinétique MOINS l'énergie potentielle, et il nous faut définir tout ça.
D'abord, on partira du travail de la force, elle même dérivée de l'impulsion, qui on l'a vu se conserve... Le long de la vitesse de l'objet en mouvement, on a de l'énergie, la preuve, ça bouge. C'est l'énergie cinétique, intégrale de la force sur la distance parcourue. L'énergie potentielle, c'est autre chose. C'est l'énergie qu'on ne dépense pas quand on est posé sur un tabouret. Elle se transforme en énergie cinétique quand se laisse aller et la somme des deux, et bien c'est ce qui reste constante. Notons que le Lagrangien, c'est l'énergie "pure", celle qui ne dépend pas de l'énergie potentielle (celle qu'on a enlevé) et qui n'est due qu'à soi, la vraie action, en quelque sorte.
Noether resta bien sur ignorée jusque dans les années cinquante !!! En fait en 1956 commence l'élaboration du modèle standard, entièrement construit sur le théorème (j'exagère à peine).
Car entre temps, il y eut Hamilton. En fait celui ci introduit une AUTRE représentation de la mécanique, basée sur un cousin du Lagrangien, le ... Hamiltonien. En gros, on remplace les "q prime" par les "moments" et on transforme. Le Hamiltonien est alors la SOMME de l'énergie cinétique et de l'énergie potentielle, se conserve (on ne se demande pas pourquoi) et permet d'avoir des équations différentielles plus simples à résoudre pour trouver effectivement les déplacements.
Il se trouve que c'est le Hamiltonien qui est utilisé dans l'équation de Schrödinger, sous la forme d'un opérateur de la fonction d'onde. Le formalisme de Lagrange, et donc Noether furent donc les grands oubliés des années 30.
Entre temps, on introduisit la notion de "jauge", mot introduit par Hermann Weyl dans une tentative ratée d'unifier electromagnétisme et grativation. Une jauge c'est n'importe quoi qui permet d'étalonner un système de mesure. Quand quelque chose possède une invariance de jauge, et bien on a un symétrie particulière. Par exemple le potentiel électrique a une valeur indifférente, pourvu qu'on la change partout. De telles transformations n'ont strictement rien à voir avec l'espace, le temps ou n'importe quoi d'autre en relation avec l'objet décrit. On a une fonction quelconque de la position qui symétrise et ça fait des trucs.
Mais il y a des invariances de jauge quelconque, par exemple les phameuses phases des observables (on multiplie par e^iPi). Cela fait des rotations, et on a les fameux groupes de symétrie alambiqués. En gros, U(1) pour l'électromagnétisme, SU(2) pour l'interaction faible et SU(3) pour les interactions fortes et les quarks.