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Les Foucaldiens

Une pépite du net, un monument incontournable, est le débat Foucault Chomsky de 1971: 


 

La personne, le visage et le corps de Foucault, peu présents sur les médias (il est mort en 1984 bien avant l'internet) crève littéralement l'écran. Le débat, animé commence dans le théorique et se termine dans un apothéose de bistrot avec un Foucault totalement déchaîné qui menace Chomsky de l'étrangler avec ses tripes de bourgeois au nom du prolétariat dont la violence sans limites n'a pas à être motivée par une éthique ou quoique ce soit d'autre que la guerre nécessaire, inéluctable et victorieuse... J'exagère à peine, jugez sur pièces.

Nous sommes en 1971. Dans la fièvre de la discussion fut conçu sans doute ce soir là un ou deux des jeunes hommes de 18 ans qui allèrent danser sur le mur de Berlin récemment chu. Souvenirs souvenirs... 

On va y aller direct: Foucault, connu pour son homosexualité agressive (on trouva après sa mort un grand sac ou il avait rangé ses jouets d'avant Sida, cagoules, fouets etc), profita de bien des bienfaits de la société américaine lors de ses voyages au pays des hippies à la grande époque. Il n'en revint pas persuadé des libertés bourgeoises au demeurant, ou du moins de pas toutes. La complexité de ses pensées est difficile à sonder et a sans doute des mérites dans bien des secteurs, mais on aimerait se glisser dans ce à quoi il refuse explicitement de répondre pendant le débat: le rôle de la vie personnelle de l'auteur dans l'élaboration des idées... 

L'homme

Car la chose est d'importance il me semble, contrairement à ce qu'il dit (que ce n'est pas important): les passionnés du discours acharnés à détecter derrière les pouvoirs les intentions perverses se doivent de se soumettre, chacun son tour, à l'exposé de leur postérieur. La mort par ignorance de l'immuno-déficience acquise, à l'époque on n'en avait aucune idée, n'excuse rien: le monsieur a eu au moins un temps, une vie personnelle intense, en relation avec l'exceptionnel de vies particulières non fantasmées mais réalisées, que ce soit la sienne ou celle de ses amis proches. 

Bien sur on ne va accuser en plus son cher ami Hervé Guibert d'avoir VRAIMENT découpé des gamins en tranches, comme il l'a décrit, et puis nous avons tous lu Sade, et ce n'est pas Caroline de Haas (quel nom!) qui va dicter nos préférences esthétiques en les marquant par la pruderie #metoo de 2017, mais tout de même. Le siècle de Gödel n'avait pas encore procédé au massacre cambodgien, ni au rwandais, et on se masturbait encore de crimes tordus, au nom de la connaissance.

Pour un humble hétérosexuel semi impuissant, la ritualisation de la sexualité reste énigmatique. Absent lors du mariage de mes parents, navré de celui de mes soeurs et de mes amis, j'ai échappé à tous les déguisements et n'ai jamais baisé que nu, et sans accessoires autres que mon imagination. Imaginer les princes du savoir en costume, au nom d'une liberté un peu oxymorique, qui plus est alors qu'en public on proclame la guerre du prolétariat contre tous me fait me tordre de rire. 

Tout cela est bien dans le passé, et le passé adorait le costume, justement. A ce propos on notera l'ambiguité extrême du rôle de celui ci: est il la marque de l'autorité, l'uniforme ayant un pouvoir intrinsèque sur les spectateurs? Ou bien n'est il qu'une source d'excitation, un moteur indispensable pour procéder à la cérémonie ? 

Les deux aspects sont au coeur de la réflexion sur le sadisme et le masochisme, le cultissimo intellectuel texte de Deleuze sur la vénus à la fourrure (1967) revenant à la mémoire. 

En gros, le sadomasochisme est il: un sado content de son maso, un double sadisme (le maso n'existe pas), ou deux pratiques séparées sans rapport ? De quoi s'écharper longtemps. 

Pourtant, Deleuze semble moderne: il veut rompre avec l'emboitement des deux pulsions, qu'il juge daté, l'opposition mâle femelle, actif passif étant à dépasser, avec le freudisme, d'ailleurs, tout en gardant l'inconscient, bien sur, on ne tuera le père (le pré-père, l'objet G, quoi) que bien longtemps plus tard. 

Pour ce qui concerne les pratiques et ce qu'on peut en dire, on commence par l'interprétation pure "pouvoir": le rapport à la loi. Le sadique s'identifie à la Loi et en la rendant absolument mauvaise et injuste et prend en main donc la totalité du manche pour sa jouissance à lui, tandis que le masochiste joue à fond le rôle du coupable et se soumet complètement à sa punition qu'il accepte le plus totalement possible, à la Loi donc, pour sa jouissance à lui, délibérément moqueuse. 

Dissymétrique et sans rapport, c'est clair. Freud, lui, le vieux taré, voyait 3 masochismes, dont un féminin identifié apparemment à la sexualité féminine traditionnellement conceptualisée. Il conçoit même un masochisme moral, hors du sexuel. On peut naturellement continuer à explorer le thème, les perversions se classifient avec perversité, et la combinatoire, ah si j'avais le temps, assez volumineuse. 

Le terme d'algolagnie se doit d'être mentionné: algo c'est la douleur. On la décrit comme une "paraphilie", j'aime bien, les mots sont les choses, comme dirait Foucault. 

Le(s) mot(s) et la(es) chose(s)

Au fait "le mot et la chose" c'est d'abord un poème galant un peu tordu de l'abbé Lattaignant:

"Que, pour vous, la chose et le mot, doivent être la même chose...Et, vous n'avez pas dit le mot, qu'on est déjà prêt à la chose."

Mais c'est aussi le maitre livre de Willard van Orman Quine (publié en 1960), qui marque la philosophie analytique moderne. En gros, mais on y reviendra, c'est l'indétermination de la traduction: l'expérience (de pensée)  du linguiste face à un aborigène. On ne pourra pas décider entre "lapin", "gavagai" et "expression de la lapinité": la référence est toujours indéterminée ou du moins nécessite un contexte. 

En gros, on ne peut pas prouver l'existence d'un lien rigoureux entre un mot et une chose. A partir de là on rejette le vérificationnisme (on suivra Popper, d'ailleurs) du positivisme logique. 

Le best seller de Foucault "Les mots et les choses", parlait d'une chose similaire. Il décrivait "l'archéologie du savoir", des conditions de la connaissance à chaque époque, de l'"épistémé" de chacune d'entre elles. Une introduction perverse au relativisme, et qui se termine par la possible disparition de l'homme des sciences humaines, "comme à la limite de la mer un visage de sable"... 

Pourtant, il y a le coté sulfureux du nouveau dans tout cela, et surtout: "l’éventuelle récompense d’un certain plaisir, c’est-à-dire d’un accès à une autre figure de la vérité".

Les deux livres veulent dire la même chose en quelque sorte, même si Quine semble être d'un autre bord... En tout cas, Kuhn et Quine sont proches, et la notion de paradigme ressemble à celle d'épistémé, bien que celle ci soit bien sur totalement inconsciente et masquée de tous...

L'Iran

Foucault tout visionnaire des années soixante qu'il était, eut l'oeil tout de même un peu bouché par les voiles noirs de la connerie révolutionnaire. C'était il y a quarante ans, en Iran. 

Un monument que cet article qui nous rappelle la fin des années 70: 

https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20180216.OBS2318/foucault-en-iran-il-ne-voyait-pas-les-femmes.html

"le formidable espoir de refaire de l'islam une grande civilisation vivante"... On voyait donc ce qu'il voulait dire par "prolétariat", "guerre", "prise de pouvoir". En fait un gros con de bourgeois français communiste. 

Au fait, l'article, tout plein de la rancoeur indulgente typique du féminisme envers ses amants de gauche qu'on éreinte après coup mentionne hypocritement que Foucault "s'intéressait peu au désir féminin". Qu'est ce qu'on se marre.

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