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Les natures et les idées

Ayant mis un pied dans l'ontologie, il convient de regarder ce qui sépare les deux origines de notre cher occident, en l'occurrence Platon et Aristote, rien que ça. 

On connait d'Aristote sa métaphysique, presque toute entière consacrée à flinguer le vieux Platon. 

Nature et Art

Un point particulièrement intéressant concerne le statut des idées vis à vis des objets artificiels, et donc de la différence entre physis (la nature) et tekhne (l'art). Et bien pour Platon, il n'y en a pas, dieu ou l'homme fabriquent les choses, cela revient au même, tandis que pour Aristote, il n'y a que le glaireux (l'organique) qui soit naturel et que donc, Platon ne peut pas, décemment, attribuer de "nature" aux objets artificiels. 

Cette critique Aristotélicienne de la théorie des Idées de Platon (il assimile "idée" et "nature", par un jeu de mot plaisant) est un enchantement, et une marque de mauvaise foi dialectique absolument splendide. 

 Les dialectiques

Au fait, il y a aussi deux dialectiques, celle de Platon, qui est une méthode toute Poppérienne de s'élever à l'idée en rejetant progressivement les illusions, et celle d'Aristote, faite de syllogismes à partir des opinions admises. On portera au crédit d'Aristote qu'il considère aussi la dialectique comme une méthode d'"examen" des principes, et donc comme quelque chose en rapport avec la recherche de la vérité. Notons toutefois, et c'est l'essentiel qu'elle ne détermine pas les principes, mais les justifie. 

Le 3ème homme

On en vient alors à ce parangon de la sophistique qui est ce qu'on appelait à l'époque "le 3ème homme" tant il était archi classique et connu. Comme le prédicat "homme" s'applique aussi bien à l'idée de l'homme qu'à n'importe quel homme, il y a donc une troisième idée, différente, de la notion d'homme qui s'applique cette fois à l'idée de l'idée de l'homme. Cette troisième chose, bien que féminine et à la fois absurde et aussi LE troisième homme. Une sorte de régression féministe à l'infini... 

Bien sur Platon connaissait l'objection et la balayait en expliquant que l'idée n'étant pas une chose ne faisait pas nombre avec celles-ci. Cela faisait d'ailleurs justice d'une autre critique d'Aristote, pour une fois bien incapable d'abstraction mais qui n'avait pas pu résister à faire la célèbre vanne:  "Pour mieux compter les choses, les idées les multiplient".  

L'argument pourtant a d'autres acceptions. Dire de l'"homme" qu'il "marche"ne peut s'appliquer ni à l'idée, qui est immobile, ni à un homme particulier, qui peut être assis. On doit donc introduire le fameux troisième etc. Néanmoins, l'argument a sa faiblesse et qui est que le fait que l'homme particulier NE PUISSE PAS être pris comme sujet invalide DONC le choix d'un troisième... Bref, choucroute. 

(Ne croyez pas que j'invente ces critiques: elles sont en fait archi connues et utilisée par bien cultivé que moi...)

Les dieux sont dans la cuisine

Aristote rapporte plaisamment, pour illustrer sa science, qu'Héraclite lui même faisait visiter ses fourneaux en disant que les dieux étaient aussi dans la cuisine. Une autre acception de la signification profonde de la chose est aussi qu'il ne s'agisssait pas de fourneaux mais de latrines et là on rigole franchement... 

 http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1965_num_1_1_4897

La cause motrice

Mais une grande critique d'Aristote est bien sur le caractère immobile de  l'idée, cette cause là n'étant pas du tout motrice. J'ai toujours détestée cette idée de la motricité principielle, mon athéisme concevant le religieux comme ce qui pense être utile à Dieu en l'aidant à faire se lever le soleil. Cette idée fondamentale, assez logique, mais complètement idiote a de multiples avatars dont celui là. C'est ici Aristote qui mange (tient, prend ça), et aussi Averroes... Je déteste l'intellect agent, et voue ma vie à sa perte. 

Platon distingue pourtant kinesis et genesis, et tout en détestant le devenir sordide, ce qui se mange et qui se défèque, il conçoit clairement la vitesse absolue et tous les mouvements de l'âme, je dirais bien sur. Au passage, il interdit certaines musiques et il a raison: tous les rythmes ne se valent pas, et il y en a de sublimes. 

La tripartition

L'inégalitaire Platon voit TROIS états (c'est cela le signe de l'incomparable), le savoir, le courage, la survie. Aristote lui ne voit que riches et pauvres et attribue la rationalité même aux barbares. Il pense donc l'égalité... 

Cette histoire du courage comme vertu à part entière, celle des guerriers a un coté fondamental, l'oublier c'est se priver d'une part importante de l'occident, précisément. 

Faut il rappeler aussi ce cocher en charge de maitriser deux chevaux, l'un généreux, l'autre rétif: la métaphore de l'âme.

eidos et idea 

Les deux termes (ne) sont (pas) synonymes: quel délice ! 

Disons que eidos c'est le caractère générique de la nature, tandis que l'idea est la chose unique commune aux choses. Platon, le vieux salopard, emploie l'un et l'autre des termes, à sa convenance.

Et pourquoi donc n'utilise-t-il jamais eidos pour parler du Bien ? On ne trouve jamais que "idea ton agaton"... 

Et puis il y a "ousia", l'essence, encore autre chose. Il faut mentionner que l'âme n'est ni une essence ni une forme, avec forme=eidos. Héhé... 

Pour en revenir au Bien, on a quelque chose dont la transcendance est particulière. Cela est bien sur à creuser. On notera le clivage entre le démiurge et le Bien, origine de bien des spéculations... 

 La khora

La chora est la la friche, le lieu imparfait et informe que le démiurge du Timée manipule pour faire les choses en appliquant sa techne aux formes. Le lieu qui n'a pas de forme, par conséquent, et aussi l'ancêtre de la substance aristotélicienne. 

Derrida a beaucoup manipulé ce concept là aussi: c'est celui d'espace pré existant, qui comme concept, (ah ce Derrida), joue pour le philosophe le "même" rôle, on commence comme ça mais est aussi une sorte de tamis, un procédé de sélection: paradoxal, pour une chose amorphe... Bref, du difficile à penser et que Derrida ramène quelque part à la notion de genre, de race, de nation... 

 Vrai Beau Bien 

Le Beau c'est le Banquet, le Bien c'est la République et le démiurge c'est le Timée.

Le Bien est supérieur à tout: il est aux formes ce que le démiurge est aux choses... Le Beau, c'est la représentation, forcément dégradée, du Bien. Platon est impayable, très au dessus de ce qu'on en dit. 

La séparation 

L'ousia serait dans un topos au delà du ciel... Les idées sont séparées. Ca c'est Platon. La question de ce lieu demeure discutée cependant.

On doit parler aussi de l'essentiel de Platon: la distinction, séparation, entre sensible et intelligible, tout est là. C'est la différence entre ses deux ousia. Simplement, elle ne peut être totale sans absurdité, ce qui relative la critique aristotélicienne et c'est l'enjeu du débat. Le démiurge est bien un pont entre les deux mondes, et la séparation n'est pas totale, il y a imitation par "metesis", et non pas par mimesis. Participation et non imitation.

La substance pour Aristote

Les idées sont elles des choses ? Non ! C'est cela la grande critique d'Aristote, pour qui l'universel ne peut être une substance, mais seulement une qualité. 

Car une substance ne peut avoir de contraire, ou d'amplitude. Alors qu'est ce que la substance ? 

Au coeur de ce qu'on appelle l'aristotélisme, donc, la substance. Il y en a DEUX, la seconde qui est la quiddité, l'essence à proprement parler et la première, qui est la vraie, la composition de matière et de forme, l'individu, la chose. 

La deutera ousia est espèce et genre de la prote ousia: on en est là à ce qui faut appeler la bizarrerie d'Aristote: à rebours de toute ses critiques, notre grand philosophe considère donc la substance, sous sa forme seconde, comme universelle !  

Et là le paradoxe, que dis je le choc: pour être séparé des choses, l'universel se doit d'en être une ce qui est absurde par définition. Ce jeu là est d'une parfaite mauvaise foi, donc: la critique se trouve donc paralogisée, et les ontologies se mélangent et s'opposent, mais au détriment du stagirite. 

Bien sur, Aristote veut sans doute nier que ce soit la substance première qui soit universelle... Cela clarifie-t-il les choses ? 

L'idée de la non existence

Aristote et ses amis refusent aussi cette histoire d'idées multiples d'un même être, en refusant l'idée de la négation, qui serait absurde.

Platon avait pourtant prévu le coup est assume l'existence d'une forme pour le non être ! Par contre, il refuse le non-beau, le non-être-beau. Car le non être c'est le différent et le beau n'a pas de contraire: on aurait alors véritablement la négation absurde, le véritable non être. 

Aristote escroc ! 

Après tous ces siècles, on doit donc en convenir, et la mauvaise foi (doublée de forfanterie, je vous l'accorde) n'est pas en cause (...): Aristote a injustement dénigré son maitre. Vive Platon ! 

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