Les De Gaulle
À l'occasion d'un biopic dont la dernière partie, je l'avoue, m'a ému(1) , j'ai envie de parler de De Gaulle.
D'abord, le rôle de Malraux, tenu par un Francis Huster grimaçant est sans doute la chose qui rendit le téléfilm vraisemblable, la nature des relations entre le faussaire délirant et le grand homme m'aillant toujours étonnée. C'était peut-être ça le vrai sujet d'une grande oeuvre. Ma théorie: la très mignonne et en fait séduisante Yvonne de Gaulle qui fut jouée là fut peut-être celle qui autorisa cette seule grande amitié, le personnage de comédie baroque étant une sorte d'amant symbolique... En tout cas, rendre ces choses théâtrales est le seul moyen à mon avis d'approcher l'impensable et mystérieuse chose nommée "grandeur" qui fut tutoyée en France pour la dernière fois à cette occasion.
Cet intermède artistique mis à part, on notera qu'à part via Malraux, et encore, c'était un voleur de statues, De Gaulle fut privé de toute vraie représentation de sa gloire, à l'exception de son écriture à lui, et encore, son grand style était daté comme il le devait à son personnage. Il ne construisit rien, à part la France, et on se sait s'il eut vraiment du gout pour le "te deum" de Charpentier qui n'était qu'un hymne européen...
Grand et maladroit, tout sauf un beau cavalier, une grande partie de sa dignité permanente est liée à son invraisemblable laideur, à la hauteur de celle de Malraux, d'ailleurs. Peu chaleureux, avec une poignée de main "gluante" à qui il doit tous ses nombreux ennemis, il ne fut vraiment révéré que par les gens simples, toute l'élite française sans exceptions éprouvant à son égard une répugnance absolue. Trahi autant de fois qu'il put faire honte à ces gens en sauvant le pays malgré eux, il est un personnage surnaturel, typique (j'ai bien le mot tel que je l'utilise ici) de ces invraisemblables envoyés divins incroyables qui agrémentent l'histoire de France.
Il est l'absolu exemple du chef militaire absolu à la limite de la sainteté, un personnage moyenâgeux (c'est mon point), que l'on doit comparer à Jeanne d'Arc, mais aussi, c'est aussi mon point, à Duguesclin qui 50 ans avant Jeanne d'Arc reconquiert entièrement la France pour le grand roi que fut Charles V, qui meurt avec lui en 1380, alors que s'initie l'un des plus affreux abaissements que la France ait connus et qui ne put être surmonté qu'avec Jeanne d'Arc en 1429...
La concordance des dates avec les nôtres illustre le fait qu'il est un niveau d'histoire entre la grande durée et le récit des batailles: le géopolitique séculaire qui doit décrire les guerres de cent ans, les croisades mais aussi les colonisations et les destructions de l'Europe. Duguesclin et De Gaulle furent des héros de ces périodes-là, vainqueurs infatigables de multiples batailles et de multiples trahisons pendant des années. Jeanne d'Arc, elle, ne fut là qu'une seule année, c'est dire la différence. Pour tout dire, on l'attend.
Un "Connétable de France" et la devise de Duguesclin, "Le courage donne ce que la beauté refuse" illustre tout mon jugement sur l'homme, qui ne s'est consacré qu'à la guerre, qu'il a mené partout et tout le temps. Un militaire, dans l'âme, et dans l'histoire, auteur de fabuleux coups d'épées, dans un monde qui de toute façon était appelé à disparaitre dans la honte et le désespoir, quitte à en sortir à nouveau plus tard, mais dans d'autres circonstances et avec d'autres personnages. Ce niveau-là de l'histoire, le seul vraiment philosophique car moral c'est-à-dire absolument cynique et désespérant, est à la hauteur de ce qu'est la mort à la guerre: lamentablement héroïque.
L'invraisemblable "fuite" à Baden Baden en plein désordre national est un chef-d'œuvre de film d'aventure: qu'un homme de 78 ans puisse se livrer à ce genre d'exploit montre bien l'incroyable capacité proprement "militaire" de l'homme, capable de semer le doute sur ces intentions, de méduser ses amis, ennemis et membres de sa famille (Yvonne exceptée), et de faire retraite à bon escient pour mieux revenir par l'arrière et en fin de compte, par vaincre. L'action fut-elle cependant vraiment décisive ? On peut se poser la question, la décision de dissoudre l'assemblée, qui elle termina l'affaire, fut en fait argumentée par Pompidou, par ailleurs trop arrangeant au début des désordres... Disons que cela fut héroïque encore une fois de sa part, le reste, Pompidou y compris d'ailleurs, n'étant que notre désespérant destin actuel, les sinistres magouilles effrayées organisées par le jeune Chirac avec la CGT n'étant que l'initiation de la grande corruption sociale qui pour finir ruina le pays. Tout se déroule au niveau dont je parle, donc.
Le vieux De Gaulle se suicida alors politiquement, les chimères de la participation (pourtant loin d'être bête, la chose l'était en tout cas infiniment moins que l'affreux socialisme corrompu qui finalement nous a affligé) et de la régionalisation (finalement reprise pour notre malheur territorial par la grande corruption féodale) ne pouvant fonctionner. Disons qu'il fut impressionné par le décalage qu'il sentit avec les petits jeunes.
Au passage, on notera que l'incroyable lâcheté des élites gaullistes de l'époque s'explique largement par le fait que leurs propres enfants étant sur les barricades, on ne pouvait leur tirer dessus comme il aurait fallu. Ces mauvaises éducations, trop bourgeoises et laxistes nous auront donc couté très cher au final. Quant à l'élitisme républicain que nous regrettons tous, ce n'est pas celui de cette époque pourtant d'avant les réformes: il avait produit le woke des années 60, l'échevelé marxisme gauchiste déconstructeur qui initia la grande décadence. Pas de quoi en être fier. Pour ce qui concerne l'école de guerre des années 30, vous repasserez aussi. etc etc.
La seule manifestation à laquelle j'ai participé est la procession sur les champs Élysées qui remonta en silence vers l'arc de triomphe un soir de novembre.
Puisqu'on en est à De Gaulle, on doit parler de sa timidité politique, en regard de ce que sa lucidité et son pessimisme de grand homme lui ont permis de percevoir du monde. Bien trop chrétien, il serait, et ce sera ma théorie.
Le point est celui que met en avant dans un livre récent l'auteur du film mentionné ici, Patrice Duhamel: la fameuse photo de Mitterand serrant la main à Pétain, photo connue qui aurait du pour le bien de la France être diffusée à un moment ou à un autre, en tout cas bien avant que ne se déploient les dramatiques destructions engagées par le sinistre "arsouille", que De Gaulle avait "vu" (au sens médiumnique du terme) qu'il lui succéderait, tant son pessimisme sur lui-même et sur la France était profond. Le drame historique des débuts de carrière de Mitterand, exécutés contre le propre neveu de De Gaulle, Michel Caillaud, reste ainsi mystérieux.
Pessimisme sur lui-même, d'abord: le chrétien est humble et le personnage qui n'eut jamais de contact avec aucune autre divinité ou messager de la divinité. Comme tous les grands jansénistes, il tremblait de ne pas être élu tout en entrevoyant qu'il l'était quand même, ce qui l'obligeait à agir pour mieux tromper l'angoisse. Ce faisant, il ne haïssait pas assez, et ne tuait pas assez. Que voulez-vous ! L'incroyable pari gagné qu'il engagea à l'été 40 et qui lui causa d'indicibles souffrances et d'indicibles efforts le rendit indulgent et aveugle.
Indulgent envers ceux qui ne le suivirent pas et aussi qui le suivirent mal, ou tard, que cela soit un peu ou beaucoup, il mit tout cela à égalité, la 11ème heure est très chrétienne et cela fut son drame, et le drame de la France toute entière.
Aveugle par nécessité: l'ampleur de la trahison envers soi-même du pays qu'il aimait par-dessus tout fut affreuse et il osa transformer cela en dignité retrouvée du fait de ses exploits personnels et de ceux de ses soutiens. Par générosité et aussi par admiration et respect pour ceux qui le rejoignirent avec plus ou moins d'efforts et aussi qui se firent tuer pour lui, il étendit à la France entière une participation à une "résistance" qui fut militairement limitée, et aussi une participation effective à une fin de guerre qui fut localement glorieuse: Paris, Strasbourg, Berchtesgaden furent des exploits magnifiques, mais d'une ampleur toute aussi limitée. Il le fallait bien, selon lui, pour un après sur lequel il se trompa, factuellement, lourdement car son départ inaugura l'impensable: la reconstitution par ceux qu'il avait épargné, de la république qu'il avait quitté, puis sauvé malgré elle. Forts de leurs "résistance", les traitres continuèrent donc de trahir...
De fait, cette erreur (il semble bien qu'il fut persuadé de reprendre la main rapidement) scella l'erreur de son indulgence à la libération, qu'il jugea nécessaire vu la difficulté de sa tâche: les nationalisations données aux communistes, l'absolution donnée à Mitterand et à ses amis firent partie des nécessités "politiques" qu'il dut assumer, espérant transformer ces accommodements en ce qu'il ne put faire finalement que douze ans après.
Surtout que ces accommodements commencèrent assez tôt, en pleine nuit des dernières années de la guerre, et il ne pouvait rien faire d'autre, le mystère Mitterand s'expliquerait donc comme cela... Pourtant, l'indulgence peut-elle entièrement se rattacher à une habileté ? Certainement pas. Car il y eut pendant la résistance une sorte de recherche mystique à laquelle De Gaulle prit part. Quelle que soit l'ampleur de la lâcheté et de la médiocrité initiale à laquelle bien trop s'étaient rattachés, y compris les plus grands (Juin et De Lattre, tout de même, rien que ça), l'ampleur des efforts menés par la suite furent pris en compte, sans parler et des "petites mains" et l'héroïsme de bien d'entre elles fut absolument admirable. Très clairement, sans le dire, le hautain De Gaulle prit en compte tout cela pour exonérer l'ensemble, il faut bien l'avouer peu glorieux. C'est bien pour cela, que par ailleurs il levait la tête sévèrement: ils ne firent que leur devoir, comme il fit le sien. On en revient donc à sa rigueur plus que chrétienne.
Inutile de dire que le côté démodé de cette mystique n'avait pas vocation à rester compatible longtemps avec le monde moderne hors les services qu'il rendait dans les tempêtes: une vraie image de malheur. Il fut moqué, critiqué et surtout oublié car insupportable dés que cela fut possible. Mais ce fut hélas pour se vautrer dans le pire de ce qui était disponible. Nous voilà donc reparti pour un tour.
(1) https://bullesdeculture.com/de-gaulle-leclat-et-le-secret-2020-tv-critique-avis-serie/