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Les bienveillantes

Le livre qui fit scandale en son temps est décrit en détail de l'extérieur tant cela semble nécessaire (1)... Fascinant et justifiant, il "marche" dans tous les domaines, historiques, moraux, et bien sûr littéraire.

Écrit en français, il exprime d'abord le gout bizarre des français pour l'écrit, au détriment de la musique, le culte pour la "littérature" que je n'ai jamais vraiment bien compris (au point de ne pouvoir le décrire) étant une manie nationale, dans la bouche de toute l'élite, et facteur essentiel, apparemment, de sa compréhension du monde. 

Little a d'ailleurs clairement un objectif littéraire, son projet allant jusqu'à vouloir décrire l'humanité, bonne ou mauvaise mais unifiée (il n'y a pas d'inhumanité dans cette description) et donc connaissable, bien devant faire appel pour cela à une magie, l'expression "littéraire" au-delà de la simple raison. Un "Qu'est ce que l'homme?" auquel seul l'Art, finalement, peut répondre. Pourquoi pas, et cela est louable en principe. 

D'abord qu'il n'y a pas d'"inhumain". J'en suis tout à fait persuadé aussi... 

En effet vouloir l'inhumain que l'on soit du côté du manche en déniant l'humanité aux cafards humains (par un absurde paradoxe), ou pire en déshumanisant ceux qu'on méprise (autre contradiction), ou que l'on soit sensible à l'inhumanité des criminels ou pire qu'on croie que leurs victimes ont effectivement été privées d'humanité, bref dans tous les cas, on assume et intériorise ce qu'on appelle la perversion et qui est le manque d'empathie propre à cette forme de handicap humain qui justifie la peine de mort, hélas abandonnée du fait de la perte de conscience de ce qu'est l'homme vraiment inutile, le criminel sans pitié, à qui il ne faut pas l'accorder (la pitié) sauf à épouser et vouloir revivre sa vilénie: c'est bien respecter son humanité que de le faire mourir, personne ne veut vivre avec de pareils humains. Fasciste je suis, car je veux pendre les nazis et non pas les rééduquer. 

Au sujet du fantasme littéraire qui est d'exprimer, de décrire et de comprendre cette humanité-là, et bien, on peut être plus sceptique. Pour tout dire, le roman m'a semblé long, décousu et son apocalypse finale dans l'invraisemblable, le scatao/porno/incesto/enculo (dis donc, si tu mettais un peu de cul, cela salerait pas les 500 pages ?) m'a déplu. Sans vouloir censurer, le livre est lisible et discutable, il m'a paru un échec. Il n'y a ni porno idéal, ni nazi idéal et le projet littéraire de vouloir l'écrire est enfantin. Le détail des grades se terminant par "fuhrer" est risible: de la culture pour déguisement gay, le unter schar etc étant dessus, sans doute. 

Mais la vraie problématique est triple et il faut en parler. 

D'abord, elle est quantitative et historique: la deuxième guerre mondiale fut un immense désastre et les 30 millions de victimes chinoises de cette guerre en font un massacre d'une ampleur qui va très au-delà du génocide juif, détail de l'histoire donc car dix fois inférieur au nombre total de victimes, et cela sans en négliger par ailleurs l'importance réelle et symbolique. Le "body count" est un exercice difficile et un mort est un mort.

Ainsi les souffrances furent infinies et concernèrent tout le monde, depuis les victimes fusillées au bord des fosses, jusqu'à celles des chambres à gaz, mais aussi des bombardements anticités et des victimes du froid, de la faim et des maladies. Les populations civiles souffrirent partout abominablement y compris les femmes allemandes violées des villes allemandes libérées des nazis et les 12 millions d'Allemands expulsés de leurs habitations partout en Europe de l'Est. On rappellera que les violences continuèrent après la capitulation allemande, et qu'une résistance anti soviétique à l'Est dura dix ans encore. Cette présence de la guerre comme évènement constitutif englobant est essentielle et marque la totalité de tout jugement sur ces questions. La violence extrême fut possible à cause de la guerre, et c'est la guerre qui l'exprime.

Ensuite, que la chose est immense, donc, et donc impossible à représenter quantitativement dans une seule conscience, la seule approche par un paradoxe cognitif essentiel, étant précisément quantitative: seule la mesure des choses, en nombre de victimes et analyses des circonstances de leurs morts, bref la compréhension historique et sociologique de la catastrophe historique peut seule permettre d'approcher la chose. La prétention littéraire qui serait de l'appréhender en conscience est pour moi vaine et c'est toute l'affaire: car percevoir simultanément la totalité des abominables scènes de violence qui constituent ces horreurs n'est tout simplement pas accessible à un seul individu, une masturbation ou plusieurs d'ailleurs, ne pouvant en venir à bout. Et puis il y a derrière, aussi, l'essence de la guerre, c'est-à-dire le combat, la violence déchainée contre les civils n'en étant qu'une modalité, à peine horrifiée. Un combat au corps à corps dans la boue, ou la perception de soi démembré par une mine d'abord bien cachée et qui explose par surprise ou bien la terreur universelle ressentie sous les bombardements quand chaque explosion assourdissante représente la mort possible ou bien tout ce qu'on peut imaginer d'autre concerne l'humanité civile ou militaire, mâle ou femelle, adulte ou enfant. 

Car, et c'est le troisième point, la guerre c'est aussi le militaire, personne armée pour tuer et être tuée. Armée de toutes les manières possibles, depuis le poignard jusqu'à la bombe atomique, en passant par les canons, les grenades et les "pièges à cons" formes infâmes de la méchanceté meurtrière entre humains. Ces militaires meurent dans des circonstances infâmes, les brulés vifs dans les chars valant bien les résistants torturés et l'un justifie l'autre, sans justifier bien sûr les viols ou les enfants brûlés vifs eux-mêmes. Ces soldats ont la légitimité et la capacité de tuer qui ils veulent, sous ordres ou pas suivant l'épaisseur du brouillard qui habille tout cela et le nombre illimité de circonstances hors contrôle ou tout cela peut se passer... 

L'individu militaire, soumis à sa morale et aux ordres qu'il reçoit agit ou subit, c'est selon et ses crimes sont variés.

Pour ce qui concerne le IIIème reich en campagne, personne ne peut ignorer que le génocide juif fut accompagné des ordres donnés aux armées en campagne d'employer une violence sans limites à l'égard des populations civiles envahies. De ce point de vue, les dirigeants suprêmes des armées allemandes furent des criminels de guerre patentés et l'armée régulière ne le céda en rien par rapport aux troupes exterminatrices, les einsatz gruppe décrits par Little, ou les affreux SS. C'est bien tout le camp de l'axe qui décida d'employer tous les moyens possibles contre l'ennemi bolchevique, polonais ou juif, tout comme ce le fut des alliés d'employer des moyens au moins comparables (les bombardements anticités furent coupables, pour le moins), l'utilisation de la bombe atomique au Japon parachevant une cruauté gagnante caractérisée et caractéristique de la Guerre, la chose dont nous parlons et qui n'a pas de limites. 

Tout cela donne une clé de compréhension du nazisme, par ailleurs lieu de réflexion actuel (on pense à tous les écrits de Johann Chapoutot et de Christian Ingrao) : le nazisme (je résume, mais c'est ma compréhension) c'est deux choses: 1) la militarisation d'un pays qui se perçoit  invaincu et qui veut refaire le match de 14-18  2) les prestations sociales illimitées matérielles et spirituelles accordées à un peuple identifié racialement. À partir de là, le guerrier porteur de l'inégalité engagé dans une guerre totale devient cause et explication de tout. 

Il faut donc parler de la banalité du mal, et donc de la thèse d'Anna Arendt. Contredite par Blumenberg, voir ce qu'on en dit ici même (2), la thèse contraire fait fi des moralismes simplistes et explique l'antisémtisme forcené par une logique dérivée directement du nazisme: ennemis des 2 principes, le juif est l'ennemi de l'intérieur à distinguer et à tuer, et cela nécessairement. Cette nécessité n'est ni perversion satanique ni obéissance au totalitarisme mais une opinion, voire un idéal logique et on peut (si l'on peut dire) en être persuadé. À partir de là, il devient courageux et volontaire de tuer ses ennemis qu'ils soient ou non des civils, des femmes ou des enfants, des paysans russes ou juifs ou même des prisonniers américains. C'est la guerre, "krieg groBe maleur". 

Une fois l'idéal épuisé, car le Führer, condition sine qua non pour entrainer l'ensemble, est mort, tout s'arrête. Le diable allemand rentre dans sa coquille, le sortilège est dissipé.

On s'interrogera longtemps sur les 3 derniers mois de la folie, les plus meurtriers de tous, à tous les étages de la maison en feu, quand tout se passait comme si l'on allait tout de même gagner.

Il y en eut qui crurent que malgré tout, Hitler croyait pouvoir disposer de la "machine infernale" et espérait vraiment mettre le feu au monde avec une bombe atomique qu'il avait presque, son suicide actant l'impossibilité de la chose faute de temps: en fait, les recherches allemandes étaient trop peu avancées, c'est du moins ce que dit wikipedia. Par contre, cela est sûr et explique bien des choses de la suite de l'histoire de l'Europe, si la guerre nazie avait malgré tout continué malgré les offensives russes (qui furent jusqu'au bout incroyablement meurtrières pour eux), l'Allemagne "y aurait eu droit". Cela aurait sans doute évité la présence russe trop prolongée en Europe de l'Est, bref, une uchronie hors sujet tente de percer...

Tout ça pour dire que les fantasmes sexuels dans le désert brulant des radiations, cela évoque la sexualité des cancéreux arrosés de rayons ou de chimies: cela les stimule ou non ? Non, en fait. Par contre, la proximité de la mort, surtout pour les organismes jeunes et pleins d'adrénaline des militaires au combat est parait il aphrodisiaque. D'où les viols sans doute, mais on eut aimé que les combats se terminent en sodomies plutôt qu'en meurtres abominables variés (voir plus haut). L'hétérosexualité groBe malheur. 

Bien sûr, il y eut les camps, et le "lager" qui fut l'horizon et la ceinture des reichs nazis et communistes, source d'horreur et de motivation, extrême du rejet social de l'anormal et de la police des moeurs et des motivations joua le rôle qu'il joua. Prisonnier de guerre français, russe puis allemand, résistant ou juif affamé, enfant et vieillard jeté dans les chambres à gaz à leur arrivée au camp tout cela ne se vaut pas, même si le décor est le même et que l'horreur, courte ou prolongée conduisit à la mort pour beaucoup, les survivants n'étant que des traces, à la fois exemples et exceptions. Il représentait sans doute la peur permanente qui servait de cohésion sociale, alimentée généreusement par le pillage coté manche, affamée par les tickets de rationnement de l'autre. 

Livrer des peuples entiers à la guerre est une infamie. Little a vécu les guerres de Yougoslavie et a tiré sans doute d'expériences personnelles le gout de la réflexion et de la réprésentation de la chose, nous vivons à distance l'horreur ukrainienne et les salopards qui poussent à la boucherie depuis trois ans ne sont formés que de ceux qui ne savent pas lire et qui veulent nous apprendre, quoi ? 

(1) le documentaire sur Little https://www.youtube.com/watch?v=Vp8R7ZifANU

(2) Blumenberg par Carmignola : http://francoiscarmignola.hautetfort.com/archive/2023/03/31/les-6436105.html

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