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Les littératures

Longtemps, il ne me serait jamais venu à l'idée d'être littérateur (elle est pas bonne celle-là ?).

Littérature: mot étrange totalement dénué de signification, de valeur, de profondeur, voire d'existence. Que l'on puisse qualifier ainsi, par opposition à d'autres, certains écrits et qui plus est, des larmes dans la voix, me laissait sans la chose (la voix), incrédule et navré. 

Proust

Et puis, je lus Proust. Cela se terminait avec le temps retrouvé par une description de l'art, la seule chose qui compte au monde, absolument précise, détaillée et convaincante et achevée par, justement, le fait que tout ce qu'on avait raconté jusqu'alors, en était et voulait dire cela... 

Cela était exprimé avec grâce et élégance, tout en étant mystérieux et profond. Dés lors, il y avait une borne, et bien sur tout le monde s'y référait. 

On trouve de la part de M. Proust, (comme on dit), des considérations extra-littéraires assez précises: la distinction entre mémoire volontaire et involontaire, ou mémoire de ce qu'on avait oublié, garant de l'authentique. 

Il y a plus, il ajoute qu'il (ce souvenir là) "donne le contenu du beau style" qui est "la vérité" que seule la beauté du style traduit. Vérité exclusivement sensible qu'on essaye de traduire en intelligible avec autant de difficultés qu'un motif musical. 

Tout est dit, donc de la vérité, du style et de l'intelligible... 

Finkie

Alain Finkielkraut en vieux bretteur bavard, rappelle qu'il y a une vision littéraire du monde; ou plutôt qu'il y en avait une, avant. Citant Kundera, Soljenitsyne: ceux-ci ont vu dans le communisme, bien plus que les camps, une lutte contre la vérité que seul l'art, disons la littérature, pouvait combattre. Cette vérité-là serait donc littéraire plus que politique ou scientifique et se trouve donc bien telle, à moins que de ne pas exister du tout.

Le "progressisme" dont le woke est l'avant-garde est un Bien qui doit s'accomplir dans l'histoire et dont la volonté de faire "réel" dépasse toutes les utopies et tous les "réalismes" qu'ils soient ceux du passé, du présent ou du futur, car tout cela doit être transformé, les statues déboulonnées et l'avenir exclusivement invoqué de la bonne manière. Ce monde affreux, exclusivement militant vérole toutes les universités du nouveau monde et introduit en France, commençant à terroriser professeurs et anciens élèves. Il est pourtant radicalement contraire à la perception du monde faite par le vieux réac anticommuniste qui a souffert milles morts de l'horrible chape de plomb qui a recouvert sa vie passée "zum Ost" à subir la punition communiste... Car c'est bien le même enfer qui nous viens cette fois de l'Ouest: avoir à soutenir éternellement un combat gagné d'avance contre un absurde qui n'existe pas et à vivre une oppression dénonciatrice perpétuelle... 

Tous les rituels de 1984 sont présents, depuis le quart d'heure de la haine contre le sale sioniste (juif)  jusqu'à la dénonciation familiale (raciale) de l'oppression qu'on exerce de par sa seule hérédité... Une folie démente, que seule l'expression individuelle du littérateur angoissé, peut exprimer et rejeter ou décrire: la  LTI: Lingua Tertii Empirii, la nouvelle langue, le nouveau style qui recouvre tout, réexprime tout et vraiment, change le monde en changeant toutes les manières de s'y référer et donc d'y vivre. 

Réalisme ? Nous y sommes.

Au tournant des années 1660, une révolution se produisit: après la publication des dix volumes de "Artamène ou le Grand Cyrus" par Mademoiselle de Scudéry, le plus long roman de toute la langue française, en 1653, Madame de Lafayette publia en 1678 la Princesse de Clèves. L'histoire et la fiction engendrait le réalisme et le roman moderne, finalement théorisé par un certain Du Plaisir en 1683. Le fabuleux devient l'invraisemblable, et se trouve chassé pour toujours. 

On pourra alors gloser sur la lente décadence ou évolution du roman, qui se matérialisa donc par le réalisme des situations, qui s'agrémenta tout de même par la recherche du style, cette poésie du langage écrit, destinée à communiquer précisément ce réalisme, ce qui est à la fois contradictoire, mais comme tout ce qui l'est excitant et donc artistique au final. La première véritable fin de cette chose fut certainement Céline, pour moi l'abomination de la désolation, quand la volonté de réalisme du "style émotif parlé" transforme le texte en ordure illisible et désespérante, jusqu'au non sens complet. Si encore on y trouvait la verve de l'argot, les déconnades de San Antonio ! 

Bref, on retombe là dans l'horreur privée de sens et Robbe-Grillet, Sarraute,  Simon, et tout ceux là, exploitant le style pour être mieux chiants et illisibles, ont transformé, mieux et pire que Céline, la littérature en distraction de taré, en snobisme vulgaire, pour finir sous Sarkozy, qui rendit public ce que la génération juste d'après pensait du thème en évoquant la terreur du potache, la princesse de Clèves, justement... 

Ensuite, il y a le sentiment, qui peut se matérialiser de deux manières, suivant qu'on subit ou non, la chose pouvant elle même se modaliser de deux manières, suivant qu'on espère que ça change ou non. 

Subir, c'est décrire l'inéluctable qui s'abat sur nous depuis toujours, son contraire étant la description de l'action efficace et éperdue, de l'aventure et de la réussite. Les modalités sont de savoir si cela va durer toujours et si la révolte ou la faillite est nécessaire ou inéluctable elle aussi, conduisant à la nécessité de faire vraiment quelque chose quitte à poser la question ("Que faire ?") ou bien plus prosaïquement si cela signifie quelque chose d'autre et si une nécessité surnaturelle préside au désagrément ou au plaisir de vivre ce qu'on décrit, cette chose en plus s'appelant beauté, objet G, divinité d'une sorte ou d'une autre, bref, ce qui nous échappe, et qui pour certains, est la seule chose vraiment existante et digne d'être comprise, communiquée ou vécue. 

On remarquera que l'option "révolte", "roman social", "féminisme" et autre description activiste du réel, transformant l'œuvre d'art en utilité n'en est pas une et échappe par définition à toute espèce d'intérêt et cantonne l'information en question à un manifeste, ou une publicité, bref à un appel à quelque chose qui ne peut peu ou prou qu'être un appel à la haine ou au meurtre, susceptible sous certaines formes d'être interdit, tout simplement, à la hauteur de ce qu'il voudrait d'ailleurs "annuler" et qui n'est ainsi ni plus ni moins que la forme inversée de lui-même, ce genre de chose étant structurellement contradictoire, par ailleurs.

Les styles

On remarquera aussi que tout ceci concerne la langue et donc la manière dont on comprend les choses, le "style" étant plus que la manière, l'attitude avec laquelle, avant même de comprendre, on va recevoir ce qu'on va bien vous dire. Cette attitude, que certains donc vont identifier avec le réel lui-même, quand elle est considérée "relativement" à d'autres, et donc identifiée, peut être à l'origine de deux points de vue ou manières d'en déduire une généralité assez différente.

Tout d'abord, la différenciation entre compréhension "indulgente" ou "holistique" du monde, et la compréhension normative et utilitariste, voire politique de ce même monde. On en a parlé, c'est la grande tendance de l'heure intellectuelle aux prises avec le sinistre progressisme, avec comme conséquence de l'indulgence toutefois des conceptions "à principes" qui reconnaissent le droit à l'exception, à l'originalité, à la liberté inconséquente, mais aussi à l'innovation hippie et plus généralement à la liberté mise au-dessus de tout. Le personnage humain individuel et solitaire tel qu'il se manifeste dans le roman littéraire qu'il soit d'ailleurs "réaliste" ou "fabuleux" est forcément ambivalent et contradictoire, comme tout ce que l'on sait de l'humanité et que personne ne peut ignorer à moins de se transformer en "autre chose" qui ne peut être, bien sûr, que détestable. 

Mais il y a autre chose, et qui est sans doute plus important: au-delà de l'utilitarisme partagé par tous, il y a l'autoritarisme porté par les hiérarchies qui refusant de célébrer le symbolique et de s'appuyer dessus, tentent de vendre les ordres nécessaires sous la forme d'une vérité évidente et transparente à laquelle on doit plus que se soumettre puisqu'il s'agit de l'incorporer, le mal étant transformé en déficience. C'est la plaie du "management", méthode de contrôle des esprits qui doit d'abord s'appuyer sur une transformation du langage qui doit d'abord rendre impossible toute description de lui-même, le contenant ne pouvant être contenu. Là encore, le "littéraire" se distingue en étant par définition ce qui va s'opposer à cela au nom de la vérité, précisément, c'est-à-dire ce qui est irréfragable et extérieur à toute organisation, à toute autorité implacable revendiquée... Éveille au beau style par "les trois mousquetaires", je dirais comme bien des gens, je connais le cardinal, cette mystérieuse et implacable, justement, autorité qui en héros romantique (Richelieu l'est, en fait) impose le pouvoir total de l'État, devenu personnage à part entière. Et bien, on n'a pas là une nécessité mais une volonté, et cela n'est pas pareil... 

Et puis il y a la dissidence, la manière dont elle s'exprime et le combat mené pour s'approprier son expression ou plutôt ce qui la contredit, et cela se fait par la modalité de l'expression, précisément. Le mot, la figure, le jeu de mot a dans la langue un caractère réel qui va au-delà de ce qu'il représente: il s'associe à une habitude, à un pouvoir, à une évidence, et cela d'une manière plus puissante que l'ordre reçu. C'est par la parole qu'on est obéit, et cela autant directement qu'indirectement, car les troupes qu'on envoie torturer quand il le faut, il faut aussi qu'elles obéissent... 

On se finira avec Saint Simon, l'inspirateur et le modèle de Proust, mais sans l'intention quoique... Le Duc voulait que son lecteur soit comme vivant de l'intérieur l'intrigue, et le dissident de l'époque qui méprisa Voltaire de faire l'hagiographie de ce qu'il ne connaissait pas, a vu Louis XIV dans toute sa bassesse, a maudit l'absurde révocation et la sinistre bigote qui présida au roi, et aussi au nom de la hauteur de vue et de la grandeur, précisément décrit ce qu'est la bassesse humaine, la vraie, celle qu'on ne déteste pas assez, car on y a appartient trop. (pas mal non?). 

 

 

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