Les oeuvres
La question de l'oeuvre d'Art (1) est bien sur un délice à explorer et H. a commis sur la question.
On commencera par cette bête hors du monde, qui est l'Être, oublié par la science et la métaphysique occidentale depuis Platon. Comme quoi le vieux facho dézingue le fondateur de sa discipline au profit donc d'une nouvelle manière, non onto-théologique, de penser. On passera sur la fréquentation, dès lors, de la négation du principe de contradiction, source énergétique première des déblatérations du monsieur et de ses disciples, mais on ne se refait pas: si on veut "pécho", il faut "chécou".
Cet Être n'est pas conceptualisable, c'est toute l'affaire, on ne peut donc que l'évoquer, en parler sans le dire, et tester sa présence, car il n'est pas un étant et le supposer c'est plonger dans son oubli.
"Présence" est donc ce qu'il faut rejeter et adorer, charge à toute phrase énigmatique construire avec de se débrouiller... Présence indicible de l'être, présence de l'étant qui le masque et que l'on suppose à tort.
L'œuvre d'Art est d'abord une "chose". Hylémorphisme oblige c'est de la matière informée, d'après la métaphysique qu'on dénonce, et aussi un "outil" utile, et hop on a l'infâme technique, comble du calculant oublieux.
Mais il y a aussi l'irréductible étrangeté de la chose, le rappel de la présence, le véritable qui se montre et c'est l'essence de l'art que de montrer la vérité de l'étant. L'oeuvre d'art nous montre l'objet, nous le révèle tel qu'il est "en vrai". Ce rapport à la vérité n'est pas celui de la conformité (réelle ou conceptuelle) avec un canon ou une réalité (pas de beau ou de mimésis qui tienne), mais autre chose, une reconstitution, un dévoilement de ce qui ne se décrit pas, une restitution de la présence...
Tout le reste brode là-dessus, avec la distinction fondamentale entre les deux objets, l'un qui n'en est pas un, l'autre qui est une marchandise, une utilité. Cette différence est bien sur celle qui oppose science et philosophie, la "pensée" se devant d'être une pensée de l'être (wannabe) se dissolvant dans la poésie. Pas tout à fait cependant; la poésie "dit", la pensée "garde" la présence mystérieuse de la chose invisible etc. Le penseur est donc le gardien, et le poète l'histrion.
Philosophe le penseur se doit d'être "pré-philosophique", situé avant la catastrophe platonicienne... C'est toute la différence entre aléthéia (la vérité dévoilée) et la vérité instrumentale, d'adéquation. À ce propos la "chose" artistique, l'objet, est un support, il "fait advenir" la chose invisible. D'où le célèbre et typique: "la vérité est en essence une non-vérité".
On notera ainsi l'opposition Terre/Monde, la terre étant l'être, c'est le sens "nazi" volkisch de l'être de H. , et le monde le dasein, l'étant historial en devenir. L'Art est ainsi historial, il suit les étapes de la compréhension de l'Être (à la hauteur d'ailleurs de son oubli ...).
Continuons avec les poncifs Heideggeriens: la science et sa métastase, la technique (pas mal, je trouve) considèrent l'homme comme ressource et l'introduisent dans un dispositif (le fameux Gestell), c'est la raison "calculante" dont l'ampleur est proportionnelle à l'oubli de l'Être.
H. explique alors l'art contemporain explicable par la monstration du mystère, l'urinoir, seule représentation possible de l'ailleurs.
On pourrait dire que là H. s'égare en ce que l'urinoir est conçu justement, et prétendu être le contraire de ce que H. exprime, c’est-à-dire comme la renonciation provocante à l'attribution d'une ressemblance quelconque avec quoique ce soit, y compris, donc la monstration d'autre chose, comme si Dieu pouvait être un urinoir... Ce jeu avec la représentation avec le veau d'or, donc, est bien le débat mais il n'est pas sûr que l'on puisse s'aventurer sur ce chemin, à moins que l'on soit un tout petit peu utilitariste, et il est sûr que H. a dû se battre avec ce point: l'urinoir "sert" il ?
L'autre aspect est bien sur cet au-delà dont H. nous rebat les oreilles. Alors qu'il est sûr qu'un mystère de la signification cachée hante la philosophie, et Platon fut bien célébré comme un maitre du mystère, faut-il que l'objet G soit là montré dans sa niche pour que l'on ne fasse qu'en parler ?
Il faut mentionner le très éclairant Mallarmé (pour une fois): "'une fleur': l'absente de tous les bouquets"
L'absence que l'on dit à tous les points de vue...
Le Schematisme
Il nous faut cependant plonger à nouveau dans ce qu'est l'image et donc dans le schématisme, cœur de la philosophie (2).
On ne finira jamais de réexpliquer le projet kantien, ça finira par rentrer. Il veut expliquer la relation entre objet et représentation, cette explication étant transcendantale car étant non pas ce qu'"est" cette chose, mais ce qui la rend possible.
La thèse de la correspondance mystérieuse garantie par Dieu, voire preuve d'icelui est bien tentante. Mais avant l'explication, la structure, en se situant dans le transcendantal précisément: avant de dire ce qui se passe, le penser tout simplement.
On commence par l'objet sous ses trois formes: 1) de chose en soi; 2) de chose perçue; 3) de chose connue.
Et puis il y a les représentations, avec les concepts qui viennent de l'entendement, du sensible ou des deux. Et il faut bien l'admettre, pour que l'expérience soit possible, il faut que ses objets le soient aussi.
Mieux et cela est l'apport de Kant, les concepts sont homogènes aux intuitions et participent à la synthèse, rassemblement du divers qui nécessite les concepts purs. Ceux-ci imaginent le possible sont donc constitutifs de l'expérience possible.
Le commun aux deux est le temps, élément essentiel du principe de contradiction (celui qui refuse le "en même temps" du oui et du non) et qui préside au processus de construction de l'image, c’est-à-dire au schématisme. Le schématisme résout le problème de l'un et du multiple par un processus temporel. Les règles de construction sont les schèmes, et la connaissance est donc praxis et action, construction: pour Bachelard, rien n'est donné, tout est construit.
Ainsi le possible n'est plus le non contradictoire mais le phénomène possible, qui suppose l'accord entre entendement et la sensibilité. C'est l'assertion fondamentale du Kantisme. La fin de la preuve ontologique, la révolution copernicienne de la philosophie.
Révolution ? Et oui, pas d'idées innées à la Descartes, pas d'expérience mesure de tout à la Hume. C'est le projet Kantien.
La réalité objective est donc donnée par la possibilité de l'expérience, elle est transcendantale. On se trouve donc avec une réfutation de l'idéalisme, le "je suis" n'est concevable qu'à la condition d'une expérience extérieure. Le noumène est alors une figure du "rien", pensable, mais inconnaissable.
Kantisme et Art
Entre tous les extrêmes des fausses évidences, le Kantisme est central en Art car pensant l'invisible nouménal enfin accessible sans l'être vraiment, tout en justifiant par le concept toute possibilité d'expérience artistique.
On a donc à la fois les approches esthétiques historiales herméneutiques (la folie iconologique de Warburg) et la phénoménologie de la contemplation muette de l'indicible. On a aussi le culte de la cohérence formelle de la représentation, ce qu'on appelle le "style", et le symbolisme qui consiste à associer à une sensation ce qu'on peut penser sans pouvoir le connaitre.
On distinguera l'allégorie qui montre un particulier pour signifier l'universel, du schème qui est un universel qui se présente comme un particulier.
En parlant d'allégorie, on y ajoutera, en plus du littéral, le moral et l'anagogique, pour avoir les 4 sens des choses et les 4 manières d'interpréter...
Pour finir avec le sublime, on définira le beau comme le sans finalité, sans intention, sans signification, ce qui justifie à mon sens, l'absolue supériorité de la musique, l'Art suprême.
(1) Le Rijksmuseum est ouvert : https://www.rijksmuseum.nl/en
(2) Le schematisme comme description de l'image : https://www.cairn.info/revue-poesie-2013-3-page-199.htm
(3) https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2013-4-page-557.htm
(4) sur l'interprétation de l'oeuvre d'Art : http://www.jdarriulat.net/Essais/InterpretOeuvre.html