Les passés
On a lu Legendre (1). On s'est baladé sur son site (2).
Prolifique et inconnu, le vieux philosophe français a pourtant bien des choses à dire.
D'abord, il théorise le coté obscur des origines, avec son "socle délirant de la raison" et sa volonté très années 60 de considérer l'homme occidental comme un primitif semblable aux autres. Tous les hommes "résonnent" avant de "raisonner" et cette prééminence de la musique me plait bien, voire m'enchante. Rien de moins français que ça.
Il est psychanalyste au demeurant et s'ancre donc aussi dans la grande mythologie de "Totem et Tabou", mais après tout, nous avons besoin de mythologie, donc.
Et bien c'est la question. Disons qu'en gros Legendre est bien un tenant de la grande histoire réactionnaire. Traité comme tel par les "libéraux" ultras qui ne rêvent que d'abolition du patriarcat et du reste, il est aussi le contempteur théorisant de la perte du sens des mots et de la corruption moderne du langage. Bref, un "moderne", on devrait dire un "hyper moderne", le post étant maintenant à abattre.
Il est cependant bien sur très intelligent et en fait assez subtil. D'abord il est "généalogiste" en ce qu'il décrit l'humain comme enchassé dans ses origines, et le langage, forme déstabilisante de l'être déchire l'humain autant qu'il le constitue. L'individuel et le social se constituent alors de la même façon, hors du biologique, mais se constituent. Point de grande force derrière, donc, mais la nature, tout simplement. Bien sur il lui faut l'explication que fournit l'inconscient, cette forme "auto-active" de pensée, qui lui semble être la seule solution possible au paradoxe de la raison.
Le paradoxe de la raison (là c'est moi qui me lance) ? Et bien c'est la nature contradictoire de l'activité du sujet raisonnable qui essaye de penser la déraison. Faut il renoncer au principe de contradiction pour penser l'être ? C'est la position de tous les heidegerriens et en fait de tous les philosophes de l'objet G, seul vrais représentants de l'inconscient, le vrai...
La solution psy est tentante: on met une grande force immanente, l'énergie sexuelle, et on subordonne le cerveau au kiki, l'un n'existant pas sans l'autre. Le tort de ce scientisme c'est le rôle excessif donné au gourou qui explique tout ça, Freud ou Lacan, des beaux pères drôles certes, mais qui ne méritent que ce qu'ils décrivent en jouissant comme impossible pour ce qui les concerne: leur meurtre.
La forme auto active de la pensée ? Et bien c'est l'idée assez bonne qui consiste à identifier pensée analysante et pensée décrite pour mieux justifier les tripatouillages logiques nécessaires à la résolution du paradoxe de la raison. Heidegger, par exemple, identifie sa philosophie à l'être cherché suivant le schéma bien connu qui lui avait permis d'identifier le national socialisme avec la fin (dans les deux sens, on est là pour rigoler) de l'histoire allemande.
Avant cela, il décrit cependant le mythe (ce que produit le théologien, d'après Platon) comme essentiel, et présent à l'origine du monde occidental: il est ce qui légitime. Legendre est le penseur du fiduciaire. Il se fait historien aussi, en décrivant le problème du christianisme, qui refuse la loi juive et se trouve donc dépourvu et condamné à reprendre la romaine, mais d'une manière particulière. C'est la "schize" chrétienne, qui depuis Gratien au XIème siècle fait tout le droit, le droit canon bien sur, la "concorde des canons discordants". L'alliance de la raison romaine et de la déraison chrétienne. Cette schize, à la fois soudure et cicatrice, là où le couteau se sent naturellement conduit est le grand truc de Legendre. Le "décret de Gratien", le Decretum: “Humanum
genus duobus regitur”, soit “Le genre humain est gouverné selon deux mesures”.
On préfèrera une conception plus raisonnable et moins pessimiste: que finalement la théorisation du primitif, de l'originel est tout à fait possible, et qu'il se trouve antérieur aux caractères simiesques de nos ancêtres. Rien de moins dégoutant que les instincts sexuels des bactéries évoluées qui précédèrent les abjectes et inconscientes partouzes de nos ancêtres les bonobos: le vivant tout simplement nous précède et cela est bien antérieur à toute psychologie, même sommaire. A partir de là, il n'y a pas de honte à élaborer ce qu'il faut comme "mythe": oui nous venons de tout petit et de pas vraiment conscient de soi, bref, le contraire du divin, seule solution, pour beaucoup pourtant, à la question de l'humanité qui n'arrive toujours pas à se penser comme venant de moins bien.
Le caractère de cette théorie toute microbienne est qu'elle permet de rompre avec le généalogique, le grand fantasme de Legendre and co, basé sur une conception de l'humain paradoxale: le généalogique qui représente et s'explique comme pouvoir du père, de l'avant de ce qu'on ne peut pas changer donc, se trouve aussi ce qui va disparaitre de gré ou de force par la mort inévitable et donc qui nécessite une transmission à assumer ou pas. Le généalogique est donc paradoxalement le lieu de ce qu'on PEUT changer, et c'est le drame du monde moderne: mort, sexe, pouvoir, on réformera tout.
Et bien ce généalogique là, tout nietzschéen qu'il soit devrait être remplacé, à son tour, voilà l'idée et par un généalogique qu'on ne peut -vraiment- pas changer. Serait il écologique et déshumanisant ? Alors que la loi humaine, précisément, et cela est (sans doute) la signification paradoxale de la psychanalyse, doit être assumée. On a alors cette conception des deux lois humaine et divine que la loi elle même "opère", au sens de représenter et de faire marcher et qui serait selon Legendre le moteur de l'occident. Moteur d'ailleurs lui inentamé, et parfaitement résistant. Le judiciaire est en effet, avec toutes ses absurdités, tout ce qui reste...
Bien sur on n'a pas encore compris ce que veulent vraiment dire Angamben, Butler, Musso, Supiot, mais on travaille.
On n'a pas encore compris ce que veut vraiment dire Legendre, disons qu'au moins il décrit le caractère religieux de l'Etat, son ancrage dans le symbolique etc, et qu'il se désole de voir tout ça détruit sous nos yeux par l'idéologie scientiste et managériale. Détruit ? Disons remplacé...
Au passage, la question du management généralisé, de la "seconde renaissance" et de leurs contraires bat son plein. On se réjouira donc de l'affaire Verdiglione puisqu'on parle des lacaniens (3). Pour faire pendant, lisons le difficile (4).
Legendre a plein d'idées, et dont il faut se souvenir.
D'abord bien sur la désymbolisation du monde occidental, il est un vieux réac ronchon. Par contre il situe au moment du nazisme la vraie rupture. C'est bien lui qui mélangea gouvernement et fantasme, et donc ce que nous vivons aujourd'hui, finalement. Heidegger le grand déconstructeur, pas mal ! Comme toutes les idées évidentes on n'y avait pas pensé.
Mais qu'est ce qui est ainsi déconstruit ? Et bien c'est le phallus, l'interdit, le père etc. Bref tout ce que Lacan avait théorisé avec bonheur en son temps et que tout le post modernisme moque. Pourtant Legendre pose la question et elle vaut le coup d'être considérée: "un monde dé-s-institué est il pensable ?" (5).
On en vient alors aux symboles, et au père, le pauvre papa qui n'en finit plus de se fait couper la bite, le monde libéral étant impitoyable sur ce plan. Ce mois ci, un coup de ciseau supplémentaire sera porté, au grand dam de Legendre, inutile de le dire. Le symbolique, ce qui permet de "transformer le réel en réalité" va donc faire défaut aux rejetons de la main éponge, à défaut d'être des résidus de fond de capote, "bio-éthique" oblige. Au passage, que cette abomination de langue de bois hypocrite "loi" donc, d'un monde dégénéré, puisse présider à l'infâme fécondation de la pelouse par ce que je croyais simplement assourdissant est tout simplement méprisable et triste.
Au passage, on remarquera le noeud du débat (...) qui consiste à ne donner le titre de père qu'au symbole, qui peut donc être désexualisé, se trouve donc à rebours du réactionnaire qui s'évertue pourtant à ne pas vouloir associer le titre au purement naturel, et donc au traficable par l'omniprésente et invasive technique moderne de la main éponge... Bien pris qui croyait prendre.
Comme si le père, c'était aussi, et c'est ma théorie à moi, ce qui rattache quelque soit le symbole, à ce qui plus qu'un symbole, un réel scientifique et historial (le beau mot): le sexuel différencié préside à nos origines que nous le voulions ou non et je conchierais officiellement ici les tenant(e)s dévoyé(e)s du "symbolique" qui déduisent de Lacan que la pelouse puisse se passer de bite et l'assumer.
Bien sur ce père est d'abord le fascinant Jupiter "progenitor genitrixque" qui est plus que n'importe lequel des pères, et qui LES rend possibles, les malheureux (et non pas l'inverse, comme le croient les contempteurs d'un patriarcat qui n'en finit plus de disparaitre). Il est n'est ainsi même pas métaphorique de la bite, mais "parentalement" autorisé à régner, source différenciée totale de la différence humaine qui nous constitue.
Ainsi le symbolique se trouve conforté par le bon sens, et par le réel de la nécessité uber alles, bien au delà des palinodies ampoulées sur un "père" qui apparait surtout comme un objet "G" de plus. Et oui, Carmignola est parricide, c'est son coté athée. Car l'image du père n'est elle même qu'une image et les tenants du symbolique doivent le considérer. De quoi ? Bien qu'autonome, le sens n'a pas de référent ni de supposé savoir, nous le savons bien: il est collectif, factuel et c'est bien à l'eau qui coula autrefois que je dois l'audition qui me fait sentir les perles délicieuses de la musique de Schubert. C'est bien le relativisme du post spirituel qui mène à la folie de la pelouse auto suffisante (peu écologique d'ailleurs, sauf pour la variante végane du mouvement qui croit vraiment pouvoir vivre en bouffant sa propre merde).
Contre l'école néo heideggerienne, je pense pouvoir me construire moi même, mais avec les tenants de la prudence, avec raison et avec le savoir logique et humble de mes origines, qui ne sont pas sacrées du tout, mais glaireuses et vaillantes comme ce bébé poitrinaire qui luttait contre la mort avec succès sans se rendre compte de rien.
Pourtant Legendre est un proche, finalement (en réactionnariat sans doute, au fait, il parle des anglais "actionnaires", des allemands "factionnaires", et des français "fonctionnaires"). Avec (6) il évoque le management mais là encore sans doute un peu piégé: qu'est ce qui fait que le management comme domination universelle viole le nom du père alors qu'il devrait en être en fait, le succédané le plus up to date ? De fait, il est lui aussi rituel et masque et domination hypocrite. Lui AUSSI? Je croyais que c'était bien, moi... Legendre se trouve donc soixante huitard décalé, un post punk, un frère en doute...
Legendre en (7) enfonce tout de même quelques clous.
D'abord il définit une acception du "symbolique", qui en donnant force à la représentation, se trouve donc capable de distinguer parole et acte et c'est tout l'enjeu. L'identification explicite n'a pas "toujours" lieu, et donc fonde une sorte de liberté. C'est l'immense mérite du rituel explicite: il concentre l'identification et évite la sanctification fanatique de la vie. En décrivant le montage juridique du XII ème siècle comme explicitement conçu contre la Torah et le Coran, avec le collage du droit romain comme technique au dessus du religieux chrétien, et avec le juge comme interprète, ancêtre de tous les scientifiques.
(1) http://www.actu-philosophia.com/Pierre-Legendre-Lecons-X-Dogma-Le-visage-de-la
(3) https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2012/05/12/1805/
(4) http://www.transfinito.eu/spip.php?article2206
(5) https://baptisterappin.files.wordpress.com/2015/09/rips1_048_0347.pdf
(6) http://squiggle.be/la-democratie-cet-ersatz-de-religion-entretien-avec-pierre-legendre/
(7) https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1995_num_8_32_2088