Christen, ätzet diesen Tag BWV 63
1ère en ancienneté sur ce thème, la cantate de Noël "Christen, ätzet diesen Tag", BWV 63, fut jouée en 1713 pour la fête éponyme.
Je lui suis attaché d'une manière particulière, car elle initia ma (toute récente) passion pour les cantates de jiessebé, et fut un de mes points d'entrée dans ce qui constitue le plus gigantesque océan musical multiforme de l'histoire de l'humanité (on y ira carrément, sur ce sujet là, point de demi mesures), les 200 fameuses.
Elle se récite ici: http://www.bach-cantatas.com/Texts/BWV63-Fre6.htm
Elle fit l'objet d'un documentaire montrant Gardiner la répétant:
https://www.youtube.com/watch?v=ere8CYfFq74
Cela donne l'occasion de voir des musiciens et personnes respectables et habiles se féliciter de partager mes gouts, et aussi d'approcher le type de passion que peut susciter la chose en question. Quand je considère les ravages qu'elle provoque chez mon humble personne, je n'ose imaginer ce que ça doit être chez les vrais fanatiques...
Gardiner en parle aussi en:
http://www.bach-cantatas.com/Pic-Rec-BIG/Gardiner-P18c%5Bsdg174_gb%5D.pdf
et évoque le bicentenaire de la réforme de 1717 (mon fétichisme annuel aurait du reporter cette chronique à l'année prochaine, mais n'étant pas encore complètement Luthérien, je me permet de devancer l'appel).
On se doit d'évoquer Gardiner évoquant la musique de Bach comme matérialisation de la grâce divine, le concept en question, magnifique second degré particulièrement habile, aussi bien de la part des théologies chrétiennes que du magnifique musicien qui parle ici de Bach comme personne.
L'extrait de Bachstiftung, qui me séduisit horriblement voilà déjà quelques années est celui ci:
https://www.youtube.com/watch?v=C4jsRQf8J4M
On pourra écouter le concert d'Arte à partir de 51:35
http://concert.arte.tv/fr/les-cantates-de-noel-de-bach-par-philippe-herrewegh-et-le-collegium-vocale-gent
Mais, comme tout ce que fait Herreweghe, (du moins à mon minable avis), il y a là manque de ferveur...
On va en reparler.
La chose commence par un choeur endiablé poussant à considérer ce jour là (Noël) comme exceptionnel, car un "rayon" (Strahl), la grâce (Gnaden), justement, fait irruption dans l'histoire. Ca commence bien.
La gravure dans le métal et le marbre est magnifique, et la danse frénétique doit être d'une grande puissance comme des vagues qui claquent en faisant le tour. Je trouve que Harnoncourt l'a.
Puis le récitatif de l'alto et le Schilo. Le Schilo ? Le mojo de Bach ? Il est synonyme de Paraclet, de Jésus bien sur, et aussi de ce qui fut annoncé (par la Genèse, en plus): le Messie Roi. Le mot est traduit par "celui qui doit être envoyé", bref celui dont la venue est prédie par Jacob lui même.
En plus, cela se manifeste finalement par l'"inconcevable":
O unbegreifliches, doch seliges Verfügen!
O inconcevable, mais béni aboutissement !
Le duetto soprano basse a alors lieu et une grande magie se déroule majestueusement, pure réjouissance entre les deux voix majuscules, toute allusion à la sexualité serait hors de propos, qui ferait l'amour comme ça?
Was uns ewig nun vergnüget.
Ce qui maintenant nous réjouira pour toujours.
Surtout que le couple hautbois violoncelle (continuo) reste triste et grave, comme c'est étrange.
Il est suivi par un récitatif étrange, le lion de David tout armé avec arc et épée, "rétablit la liberté":
"Womit er uns in vor'ge Freiheit setzt" (restaure la liberté d'avant).
Et puis l'incroyable duo alto tenor, l'appel dansant à danser et à se réjouir de ce qu'il faut remercier ! Il peut être joué de bien des manières, mais l'énergie est de mise, entre les deux autres voix, alto et ténor.
Kommt, ihr Christen, kommt zum Reihen,
Venez, chrétiens, venez danser,
Reihahahahahahah-en.
Après une brève injonction de basse, qui se permet tout de même d'évoquer des flammes qui montent jusqu'au ciel et les prie de remercier Dieu (ah baroque, tu nous tiens).
Et le choeur à étages, à trompette et roulements de tambour et voix de dessus, digne des plus grandes assemblées de choristes avec une montée océanique, puis la répétition modeste de la répétition mutine.
Quand je dis "à étages", la chose est incroyablement complexe, en fait on dirait un diamant qui tourne et toutes les couleurs se manifestent.
Pour finir le bigrement mystérieux, complètement dissonant bien sur et tant commenté par Gardiner:
Dass uns der Satan möge quälen.
Que Satan puisse nous harceler.
qui succède à un immense soupir:
Aber niemals nicht geschehn,
Mais qu'il n'arrive jamais
Mais cela repart, un coup d'océan (tu parles) et la quadruple pirouette rigolote termine modestement et dignement le voyage.
Comme toujours, cette musique est intrinsèquement porteuse d'une énergie interne très forte que les musiciens doivent assumer ou pas. Rien ne peut être négligé ou ignoré et ainsi, la montée océanique monumentale du choeur final est inqualifiable et semble ne jamais finir de se raffiner. Sa dernière occurrence apparait chez Herreweghe comme "enfin c'est fini, on peut partir", alors que Gardiner en fait une montée interminable, la pirouette étant un regret, un clin d'oeil un coup de pied de lapin qui s'éloigne, bien sur en dansant.
ET l'approche de Harnoncourt, avec les voix d'enfants, très lente c'est encore autre chose...