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  • Le ventre de la méditerranée

    Au sujet de l'intervention à "ce soir ou jamais" de Fatou Diome. 

    https://youtu.be/xgZ0LcMUghA

    Fatou Diome est un écrivain Français auteur d'un livre à succès remarquable : "le ventre de l'atlantique". 

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Fatou_Diome

    Je me permettrais de le commenter en détails. 

    D'abord elle s'oppose avec véhémence à un néerlandais, auteur d'un livre sur la nécessité des frontières. Très prolixe, avec un ton accusateur elle semble (ce n'est pas très clair, car elle ne propose pas vraiment) affirmer la nécessité de l'immigration en général (elle semble l'assimiler à l'immigration Africaine). 

    Le ton peut paraitre insupportable, ou entraînant, bref un véritable (et intéressant) spectacle à double interprétation. Un pur concentré d'incitation à la haine, entre ceux qui écoutent. Plutôt que de m'étendre sur cet aspect, on verra après, regardons le discours, il a un contenu. Je me permettrais de le contrer systématiquement. 

    1) D'abord le passage a un cout: 1500/ 7000 euros. Cet effort serait à la hauteur d'une nécessité vitale que tout le monde manifesterait, par solidarité envers ceux qui peuvent faire cet effort. Une accusation alors est portée vers le "monsieur" , qui lui ferait pareil, ce qui justifie le comportement globalement.

    En réalité, une infime partie du tiers monde (l'immigration transcontinentale ne concerne que des petits groupes de personnes, minoritaires partout) considère normal de se ruiner eux et leur familles (les sommes représentent des années de revenu) pour tenter de faire passer un de leur représentant en lui faisant prendre des risques qu'ils ne mesurent absolument pas. 

    Ces groupes familiaux (des villages saisis par des rumeurs, on l'a vu au Sénégal par exemple) sont ainsi plutôt fortunés et mettent en oeuvre avec ces migrations des stratégies, non pas de survie (ils disposent de l'argent du passage, qu'il pourraient utiliser pour investir ou consommer sur place), mais d'expansion familiale, l'envoyé se devant de se montrer solidaire après. C'est le sens du mot "solidarité" utilisé par Fatou Diome: le devoir du à la famille étendue dont on est l'envoyé, le soldat. 

    La croyance au succès de l'entreprise est issu de superstitions et de légendes colportées dans des milieux à l'écart des circuits normaux d'information. La force de la rumeur auprès des décideurs du voyage (des autorités familiales diverses, à la fois incultes, autoritaires et calculatrices fait tout: le contraire exact de la trop célébrée sagesse rurale africaine).

    L'argent du passage enrichit des organisation criminelles qui les escroquent, qui les mettent en danger, qui les exploitent de toutes les manières possibles. Battus, violés, noyés, ils continuent avec une constance qui ne peut qu'apparaitre pathologique. La vérité est que l'injonction familiale à réussir le passage est très forte, et dépend des cultures et des volontés locales. 

    Cela a été fait, et se trouve recommandé par bien des associations internationales, et cela a réussit avec l'Espagne pour ce qui concerne les voyages suicidaires vers les Canaries: il faut absolument convaincre ces familles, sur les lieux de départ de l'inanité et de la dangerosité du passage. Ce principe général (convaincre de ne pas) est à l'origine d'actions et de discours tenus par des africains, ex migrants ou non; leur message est "NE VENEZ PAS" ! 

    Le discours de Fatou Diome, qui quoiqu'elle en pense, justifie et encourage la revendication à venir se trouve donc irresponsable et, on peut le dire, criminel. Le fait que ce discours soit tenu avec véhémence ? On verra après. 

    2) Les cerveaux blancs et noirs sont identiques et elle le proclame, l'allusion au fait qu'on pourrait trier les noirs suivant leur utilité la révolte. Enfin pas tout à fait, car il n'y a pas de travaux inutiles : elle est demandée dans les congrès tandis que son frère "par exemple" dans le bâtiment, lui, sera utile, quoiqu'on en dise. Bref une charge contre les quotas au nom de l'égalité.

    La thèse est intéressante, et sa justification aussi. Elle fait fi de la liberté des nations à édicter des principes d'organisation de leur économie et condamne en un seul geste les politiques d'accès à leur territoire de pratiquement tous les pays occidentaux, dont la France.  La proposition d'abandonner ces politiques semble au bord de ses lèvres, mais elle se contente de condamner moralement leur mise en oeuvre, avec véhémence mais on verra après. 

    3) Ensuite le droit humain, la revendication au nom de l'égalité des hommes à voyager ou bon leur semble. 

    La dame dit beaucoup voyager et rencontre partout des européens qui ont "le bon passeport", et qui donc auraient tort de vouloir empêcher des Africains de faire de même. 

    L'ignorance de l'usage qu'un passeport s'obtient, ainsi qu'un visa, et se trouve devoir être visé par des représentant de l'Etat qu'on visite (des douaniers) semble avérée. Pourtant la dame voyage: serait dans les avions privés, peut être mal acquis, de représentants diplomatiques qui lui ont fait ces formalités à l'avance ? Le terme "bon passeport" qui s'applique donc au fait de ne pas en avoir du tout semble la ravir. La véhémence de l'utilisation du terme ? On verra après. 

    4) Quelques chiffres. La dame, lettrée est aussi chiffrée. Elle fournit à notre intelligence 2 chiffres faux. Gravement faux. 

    D'abord que l'Afrique croit à 10% par an et se trouve être dominée par "vous" (nous les blancs sans doute). La chose est fausse: ravagée par les guerres et la corruption, l'Afrique ne se développe pas, au contraire : elle perd pied dans la mondialisation. Même sa croissance démographique est suspecte ! 

    Ensuite qu'en Europe, 40% de la natalité est due à l'immigration. La thèse est plaisante, mais fausse. La population de l'Europe continue de globalement vieillir est sa population à terme va diminuer. L'immigration Africaine comme solution au problème, qui revient à la théorie du grand remplacement, merci madame de nous la proposer, n'est pas encore officiellement acceptée; il se pourrait au contraire qu'elle soit combattue... 

    5) Bref la véhémence chiffrée, tout comme les autres, tombe à plat, c'est le moment d'en parler. De deux manières: 

    a) Toute la stupidité gluante d'un termite revendicateur hystérique est visible à l'oeil nu. De quoi enthousiasmer certains, c'est vrai, car la véhémence convainc quand l'antiracisme veille en silence; de quoi révulser d'autres, d'autres discours très dangereux et violents se nourrissent de cette véhémence. En bref : un véritable appel au meurtre des noirs ! 

    b) La véhémence est similaire et de même nature que celle de Christiane Taubira (le tract ambulant du front national) et de Calixte Beyala (l'ex maitresse de Drucker). 3 femmes noires éduquées hystériques dont la simple présence noue une audience, avec plaisir et révulsion. Un spectacle, un concept, un monde, que dis je un océan, un univers.

    Que faire sinon n'en penser pas moins et arborer un sourire peiné ? 

  • Duns Scot Docteur Subtil

     

    Docteur Subtil

    Le docteur Subtil est le philosophe objet de mes désirs. De mes interrogations aussi. Comment une pareille tête brulée a-t-il pu rester vivant pendant tous ces siècles, sans jamais être le responsable de l'officielle doctrine, sans être canonisé, sans être même vraiment connu? Le "docteur irréfragable" est vraiment un lion ! Protégé et vénéré par l'ordre des franciscains (on dit "ofm", pour ordre des frères mineurs, les dominicains étant "op", ordre des prêcheurs), il se vit donner vraiment raison sur le tard, en 1854 (instauration de l'immaculée conception) et en 1993 (Jean Paul II le fait bienheureux...) et n'a jamais cessé d'avoir l'admiration totale des plus pauvres, des plus naïfs, les "pauvres en esprit", les franciscains. C'est mon patron. 

    Sa qualification de "subtil" est sans doute pour beaucoup dans ce statut hors norme de réprouvé toujours présent: il est inattrappable, toujours orthodoxe, et aussi toujours ailleurs. Un ni ni permanent, malaisé à comprendre et tout simplement génial.     

    L'individuation

    La question est l'individuation, question centrale s'il en est. Pour faire court, on est là au coeur de la dénonciation du "maudit Averroes" pour qui l'intellect est commun à tous les hommes. 

    Au fait, Scot écrit après la grande condamnation : celle de l'évêque de Paris, Etienne Tempier, en 1277, contre les partisans d'Averroes, rue du Fouarre. Et d'ailleurs à ce sujet, la fameuse interdiction, selon Alan de Libera aurait joué le rôle d'un puissant stimulant, et dans deux directions. D'une part en créant l'Averroisme, jusque là mal défini, et ensuite en instaurant une nécessité d'innover qui fonde la modernité deux siècle avant la renaissance... 

    Le salut étant individuel, le  bienheureux Scot se doit de prouver absolument l'individuation absolue,  l'ultima solitudo de l'homme. Il prend la question comme il se doit, du point de vue "ontologique". 

    L'Haccéité (terme que Scot lul même ne mentionne pas, ce sont ses disciples) est la chose merveilleuse qui fait l'individu, l'essence singulière.

    D'abord, il y a bien des solutions au problème de l'individuation: par la négation (l'apophatisme d'Henri de Gand), par l'existence, par la quantité, par la matière (Thomas d'Aquin), par les accidents (Avicenne).

    Quand on dit par la matière, on pourrait dire par son union avec la forme, la composition des deux étant le candidat aristotélicien principal (l'hylémorphisme) à l'explication de l'individuation.

    Aucune ne convient à Scot. Il n'y a que l'essence singulière. 

    Un point intéressant: Dieu, singularité absolue n'a pas besoin de cette chose là, car infini en acte, c'est à dire infini, en ce qu'on ne peut rien lui ajouter. 

    Bon, arrive la notion de distinction formelle, entre les formes (à la différence de celle entre les choses, on dira "a parte rei", du coté des choses). Il y a une distinction du troisième ordre entre formalités (réalités), et qui distingue, tout en restant formelle, la nature "commune" et l'"essence singulière" celle ci n'étant commune à rien car strictement individuelle. Cette distinction là la rend possible. On notera aussi la distinction entre une forme et son mode, (entre la blancheur et son intensité), l'essence singulière n'étant ni un mode, ni une nature et se distinguant du reste d'une manière spéciale.

    Cette histoire de distinction "formelle" est un fondement scotiste. Entre distinction réelle (celle entre les choses) et la distinction logique (entre les idées) elle permet bien sur de penser la différence des individus dans la trinité. Elle est définie comme non adéquation d'une identité (ou adéquation avec non identité) telle que "ma raison ne la fait pas, mais la constate"...  

    Il y a donc une plénitude frontale divine et 3 personnes qui ne s'en distinguent que "formellement". Dieu reste indivisible.

    La chose s'applique aussi à un nombre infini de concepts. Ame et facultés de l'âme se distinguent de la sorte, par exemple, et les êtres humains et divins se ressemblent en cela... Et puis il y a la distinction entre vouloir et connaitre, elle aussi formelle et qui résoud tout. Scot est ainsi le champion de l'union conceptuelle des distincts formels. 

    Le "a parte" se dit aussi pour ce qui concerne l'éternité dont on distingue "a parte ante" et "a parte post".

    L'Ontologie

    Scot décrit une ontologie: il explique ce qu'il y a et comme c'est. Plus qu'une vision du monde, une vision de ce qu'est le monde. 

    Ainsi, entre la physique qui s'occupe des choses, la logique qui s'occupe des concepts, il y a la métaphysique qui s'occupe des natures. 

    L'être (ens) est ainsi une nature commune à toutes les choses y compris à Dieu; mais absolument simple, il n'est pas un genre (cela voudrait dire qu'il a des espèces), il est  univoque et s'applique, de la même manière à Dieu et aux créatures. Pour Aristote, au contraire, l'être se dit "de multiples façons", les étants étant similaires par analogie uniquement. Pour Scot, il se dit de la même manière dans tous les cas, il est univoque.

    Comme pour Avicenne, "l'être se dit en un seul sens de tout ce dont il se dit". Le concept d'être se prédique de tout, il renvoie toujours à la même réalité, et l'être est présent dans toutes les essences. 
    Le concept d'être est le premier objet de l'intellect.

    Dans ce cadre, Dieu est "ens infinitum", l'étant infini au sens de infini en acte (et pas en puissance) dépassant déjà toute grandeur concevable au lieu d'être infiniment extensible ce qui est une marque insultante d'imperfection.

    Car Scot est un théologien, et se distingue des philosophes en ce qu'il décrit AUSSI l'intellect des hommes avant la chute, ou après le salut futur, la situation actuelle étant qualifiée de "pro statu isto".  

    Scot appelle les les "passions de l'être", ses déterminations (fini/infini, crée/incrée, nécessaire/possible). L'être de ces transcendantaux n'est pas univoque, ils sont distincts mais formellement. 

    Il distingue ainsi définition de Dieu (Dieu est Simple) et description (Dieu est composé d'essences formellement distinctes).

    Il semble pourtant bien que pour Scot, la notion d'Etant est antérieure à celle de Dieu: il y a bien une métaphysique indépendante de Dieu, hors de l'onto-théologique à quoi s'en prend Heidegger.

    Scot et Aquin

    Thomas d'Aquin est le philosophe de l'Eglise Catholique, le "docteur angélique", le grand moyenâgeux. Et bien il faut savoir que Scot le contredit en pratiquement tout. Les différences sont innombrables.

    Par exemple la relation entre la faute originelle et l'incarnation: pour Aquin, sans faute, pas d'incarnation, alors que Scot soutient le contraire: l'incarnation est le but de la création, et se trouve indépendante de la chute des anges et des hommes. 

    Au sujet de  l'individuation par la matière, défendue par Aquin, elle implique que l'âme (ou du moins certaines de ses parties) après la mort n'a pas d'individualité ! 

    Une autre est l'équivocité de l'être:  Aquin suit Aristote et Scot proclame que l'être est univoque: Dieu et l'homme sont identiques de ce point de vue.  En résumé il n'y a qu'un seul Etre, celui de Dieu et celui de la pierre.

    Une autre encore est que Dieu pour Scot n'est pas un moteur (primum movens), mais un être premier (primum ens). Encore une critique d'Averroes. 

    Encore une autre: la liberté (et la volonté) sont supérieure à la raison. La volonté impose la contingence et de ce point de vue Dieu et l'homme partagent volonté et liberté. L'argument, limpide, est qu'il ne peut y avoir de contingence du tout s'il y en avait pas à l'origine, or il y en a... 

    Encore plus: les anges; pour ce qui concerne la matière (ici une forme d'être) Scot considère qu'il y en a dans toute création, à rebours d'Aquin. Par exemple, les anges pour Aquin, n'étant pas matériels, ne seraient pas individués (il soutient que les anges sont des espèces). Ils le sont pour Scot.

    La matière par ailleurs est en acte (et non pas seulement en puissance pour Aquin). Scot, nie donc l'hylémorphisme: la matière est indépendante de la forme, elle est crée séparée, immédiatement par Dieu. C'est un argument, car Dieu ne peut créer des choses imparfaites.

    Encore: pour Scot Dieu est d'abord Juste, puis ensuite Bon, de par sa volonté. Pour Aquin c'est l'inverse, la Bonté est prédominante. 

    Encore: Scot pense possible la pluralité des mondes alors que pour Aquin il n'y a qu'un seul monde. 

    Encore: le mariage pour Scot a d'abord pour rôle d'assurer la filiation puis de lutter contre la concupiscence. Mieux: cette question de la filiation prioritaire permet à Dieu de déroger (car il fait ce qu'il veut) à la règle de la monogamie et aussi de l'interdiction du divorce ! D'autre part, l'accouplement charnel, pas plus que le sommeil ne peut être rejeté comme une perte momentanée de la raison. Mieux, contrairement à Augustin, Scot affirme que le péché originel, propre à la nature humaine n'est pas transmis par l'engendrement copulatoire. 

    La question du baptême des enfants juifs. Aquin était contre, au nom du droit naturel. Scot lui argumente pour, la seule chose en sa faveur étant de recommander aussi le baptême forcé des parents (minis et terroribus).  Il reste ainsi un défenseur de la liberté absolue du prince, intermédiaire hiérarchique entre Dieu et les hommes. 

    Aquin et à sa suite les thomistes sont bien sur contre l'immaculée conception, promue et démontrée par Scot. 

    A sa décharge, Scot refuse l'esclavage alors que Aquin l'accepte dans le droit des gens, pour Scot il est contraire au droit naturel. Note en passant: Scot est contre l'esclavage et aussi contre l'hylémorphisme, dont la forme est précisément celle de la marque sur le corps de l'esclave; belle cohérence.

    La preuve de l'existence de Dieu, selon Scot elle ne peut se faire de manière inductive, au contraire d'Aquin.

    Scot fait de la théologie une voie de connaissance particulière, fonction de la révélation et distincte de la philosophie, ce qui est le contraire de la thèse d'Aquin. 

    De plus, la théorie de la vérité comme illumination par Dieu est refusée par Scot: la vérité de Dieu lui même ne pourrait pas être obtenue de cette façon, donc...  

    Au passage le débat entre Avicenne et Averroes. Alors que tout le monde s'accorde pour hiérarchiser les sciences (physique, métaphysique,théologie), Averroes prouve Dieu dans la physique et en fait un moteur, ce que rejettent évidemment Avicenne et Scot. Ainsi, une science ne peut étudier une réalité et sa cause, et la science de l'être se doit de démontrer Dieu et donc de le localiser dans la théologie. 

    Pour Aquin et Aristote, "liber est causa sui". Cela est rejeté par Scot, rien ne peut causer l'acte volontaire. Les deux s'opposent ainsi sur intellect et volonté, la plus grande noblesse étant attribuée à l'un par Aquin, à l'autre (la volonté) par Scot. 

    Le droit naturel est celui d'avant la chute, quand les biens étaient d'usage commun. Après la chute, il faut un contrat social et le droit de propriété. On a ainsi la volonté du juge et aussi l'adaptation aux cas particuliers, c'est l'éthique franciscaine. 

    Il y a ainsi historiquement un conflit séculaire dans l'Eglise entre Aquin et Scot, le vainqueur historique étant Aquin, et cela fut rappelé récemment (1879), ce jusqu'à la pseudo béatification tardive de Scot (1993) et malgré l'immaculée conception de 1854. Les "thomistes" en charge du dogme ont dominé jusqu'à maintenant dans l'Eglise. 

    Comme tous les franciscains (Olivi, Bonaventure) Scot est conventionaliste pour les sacrements et pour la puissance royale, et la volonté absolue des souverains, Dieu, l'homme, le prince prime comme convention. On a donc simultanément, et pour ces raisons, absolutisme et droit individuel subjectif.

    La nature commune

    On a dit que Scot fit la synthèse Augustin/Avicenne, mais aussi que c'était plutôt Henri de Gand, le conseiller de Tempier en 1277. Par contre, Scot reprend la notion d'essence d'Avicenne: equinitas est tantum equinitas.

    Par contre, Scot en fait une réalité: la fameuse "nature commune", différente formellement de l'essence singulière, qui décrit aussi la nature divine trinitaire des 3 hypostases unies dans une seule singularité ! 

    Cela donne ainsi une solution originale au problème des universaux, Scot étant un réaliste de l'essence commune et un conceptualiste des universaux, ceux-ci restant dans l'intellect. 

    En gros: la nature commune est individuable et non prédicable tandis que l'universel est non individuable et prédicable. Entre la chose et le concept, la nature, l'essence antérieure à l'existence. 

    Les autres: ce qu'on en a dit

    Les ennemis scolastiques de Descartes, c'est Scot. Il prétendait qu'il y a des vérités éternelles indépendantes de Dieu, alors que Descartes attribuait la vérité des mathématiques à Dieu! 

    Au fait, Heidegger fit sa thèse CONTRE lui, en fait contre un écrit a lui faussement attribué: il n'empêche, il dénonce Scot comme le créateur même de la fameuse onto-théologie. Les aquinates (sans parler des post aquinates) trop contents, soumis à l'injonction de H. l'en chargent donc. Le point est la distinction essence/existence, rejetée par Avicenne et Scot (pour eux l'essence précède l'existence, bien sur) et assumée par tous ceux avant, ce qui innocenterait les grecs de la fausse (et infâme) accusation de H. 

    En réalité, l'histoire romancée de la métaphysique fait par H. est largement caduque... 

    Simondon avec sa pré-individualité très "nature commune" est clairement un scotiste anti hylémorphiste. Il va même jusqu'à individuer les objets techniques.

    Pour finir, Scot est sans doute le plus extraordinaire philosophe qui soit. Célébré par Harendt, par exemple, il est sans doute un inventeur de la Liberté, la plus belle chose qui soit au monde, partagée par Dieu et les hommes, et c'est un théologien qui nous le dit !

    La preuve de l'Existence de Dieu

    On reste dans le moyen âgeux, là (en fait non). Disons, qu'il faut une cause première pour mettre fin à l'enchainement illimité des causes. A partir de là, cette cause première est aussi fin dernière car comme la fin précède la cause, et que la fin est causée, il y a identité entre les deux, bien joué. On notera toutefois l'abstraction de la chose, la question des causes étant abstraite et non pas réelle, il n'y a pas de moteur là dedans. C'est pour cela que la thèse est en fait l'une des premières grandes ruptures: Dieu n'est PLUS cosmologique, mais formel. Copernic commence à spéculer à partir des scolastiques !

    Pour finir

    Il passa son baccalauréat en 1304 à Paris. La légende dit qu'il aurait été enterré vivant à Cologne en 1308.

    Le 8 décembre 1304, il y eut le "tournoi" en Sorbonne où il convainquit tout le monde de l'immaculée conception, preuves indubitables à l'appui dont le magnifique argument que comme le christ serait venu même sans le péché, il ne pouvait éviter d'assurer spécialement la rédemption à sa propre mère, qui plus est "préventivement". Mais il y a aussi le fameux: "Dieu pouvait préserver sa Mère du péché de la race, il convenait qu'il le fît et il l'a fait" (Deus potuit, hoc decuit, autem fecit). Il étend d'ailleurs la chose à tous les justes du passé, ce qui est une partie de la preuve, Dieu n'ayant pu faire moins pour la vierge que pour les saints bibliques. 

    Cette journée a été déclarée fête chômée. Ce fut le jour d'un miracle à la sainte chapelle, une statue de la Vierge baissa la tête en signe d'approbation devant Duns Scot qui passait... La Statue abimée pendant la révolution serait la "notre dame du salut" de la rue François 1er (au 10, chez des assomptionnistes) ou bien suivant mon enquête, au musée de Cluny. Une réplique en fut faite à la Chapelle. 

    On évoquera aussi les arguments magnifiques de la notion de grâce "préventive" supérieure en qualité à la grâce "curative", ce qui résout le problème de la rédemption universelle dont aurait été privée une vierge immaculée selon les maculistes. Marie est donc "pleine de grâce" (et au combien donc, disons "pleinement gratifiée") et se trouve donc la première sauvée! Une nouvelle Eve, témoin de l'innocence originelle, ce qui justifie et explique la dévotion à son endroit. 

    Et puis l'argument d'un Christ fils bien aimé projet de Dieu indépendant du péché de l'homme, et humain lui même: sa mère fait partie de la prédestination et il était tout à fait exclu à l'avance, ça c'est génial, de la faire pécheresse non mais dis donc. 

    Saint Bernard, le docteur marial était absolument maculiste, et ce sont les anglais qui à Oxford s'étaient mis à immaculer. On citera Robert Grossetête, l'anglais bien connu. 

    Le premier pape Franciscain, Sixte IV (il y eut aussi un Sixte Quint), constructeur de la chapelle sixtine, consacrée à l'immaculée conception, l'imposa bien sur. 

    Un point intéressant est que Jean de Gerson fut immaculiste. Il fut l'un des auteurs supposés de l'imitation de Jésus Christ, à l'origine de la "Devotio moderna" origine de l'individualisation de la foi, et donc des grandes évolutions modernistes; on pourrait y compter in fine, (Duns Scot appréciera) la sortie de la religion, grande libération de la bigoterie. On fera la remarque que ce coin enfoncé dans la malédiction du péché, qui plus est associé à la libération de l'acte sexuel est en fait un grand progrès occidental. Et puis Duns Scot l'affirma, pas plus que le sommeil, l'acte sexuel n'est une raison particulière de pécher. 

    Bref, ce type est le théologien anarchiste le plus déconnant et le plus libérateur qui soit. Vive les franciscains ! 

     

    La Volonté (add.)

    La question de la volonté chez Scot. D'abord Aristote:  La volonté est désir rationalisé, telle est la conception de la volonté d'avant la modernité, celle qu'inaugure Duns Scot et aussi Pierre de Jean Olivi (d'après Merleau Ponty) Voir (4).

    Revenons à Aristote: il y a la puissance et l'acte, et rien n'est mû sans moteur, le passage de la puissance à l'acte supposant un être déjà en acte. Scot, comme Henri de Gand font une exception à cela: la volonté. Cependant, la volonté de Scot reste volonté de quelque chose, ce qui la différencie de celle de Gand. La Volonté est libre et aussi Désir (l'"appetitus rationalis" d'Aquin), telle est la subtilité et la complexité du problème, qui est celui de l'Amour et aussi de la Liberté, y a de quoi faire. On posera donc in fine, que l'essence de l'homme est précisément la liberté.  

    D'abord la liberté a deux aspects: ce qui n'est nécessaire ou naturel d'une part, et d'autre part ce qui justifie la responsabilité morale de l'homme. On a d'une part la possible considération simultanée des contraires, d'autre part la puissance d'agir libérée du désir, et donc globalement la volonté. Les deux points sont magnifiques et exhaltent et pensent la liberté dans ce qu'elle a de plus puissant: le choix du pour et du contre sans préférences d'une part et l'indépendance vis à vis de tous les atavismes et instincts de l'autre. Voilà qui balaye d'un seul coup les deux plaies de la modernité mal comprise: les scientismes sociologiques et biologiques, hontes du XXème siècle ! 

    Cette Volonté est  supérieure au connaitre, cela est absolument affirmé et même essentiel: une volonté soumise à l'intellect détruirait son autonomie absolue, ce qui serait inacceptable; tout en reconnaissant honnêtement, et cela en est la preuve, que pour vouloir il faut savoir: préparant l'acte volontaire, l'acte de connaitre lui est inférieur et subordonné mais en reste la cause partielle d'une part tandis que d'autre part la volonté ne doit pas influer sur l'intellect. Là encore la séparation et la distinction des contraires manipulés par toutes les démagogies est magnifique, fondatrice et libératrice. Duns EST le penseur de la liberté. 

    Cette idée là de la liberté est évidemment à l'exact opposé de la conception luthérienne ou augusto-janséniste de la prédestination, celle que dénonçait Nietzsche et que l'on identifie au christianisme. La liberté et la volonté de Scot est très supérieure à celle du demi cinglé. 

    On est très au delà de la volonté comme simple "appétit raisonnable libre". Faisons remarquer au passage, et Scot ne se prive pas de le dire que Dieu comme cause première n'agit pas par la nature (comme le répètent les philosophes grecs et arabes, prenez ça,  Aristote et Averroes) mais bien par la volonté, et telle que décrite.  

    Mais il y a plus, et là on part dans le mystique, ce qui est légitime pour un franciscain, même le plus intelligent et le plus formaliste des hommes. 

    D'abord volonté humaine et divine sont semblables. Porteur de l'affirmation de la fin divinisée de l'homme, c'est le vrai sens de la rédemption au delà du péché, et du vrai christianisme, Scot identifie donc et sa théorie de l'univocité s'y applique bien sur, êtres humain et divin avec d'abord leur faculté principale, la Liberté.

    On continue: comme est meilleur ou plus pur, ce dont la corruption est pire ou davantage impure, la volonté domine l'intelligence et seule la volonté pêche, et pas l'intelligence. Bref arrêt sur ce qui justifie l'abolition de toute censure et la liberté totale de toutes les expressions et compréhension. Mieux, la volonté jouit de la chose en soi, alors que la connaissance n'a que l'objet. On peut alors passer à l'amour et il y en a deux. Celui de Dieu et celui de soi, celui qu'on chercher à compléter par le manque que représente les autres qui nous attirent. "Affectio commodis" ou "Affectio justiciae", celui pour les choses en elle mêmes, celui de Dieu... 

     

    Mais c'est aussi de plus, le sens de la béatitude future qui est la fin ultime de l'humanité, le passage de l'"homo viator" dans l'état "in patria": elle sera le fait de la volonté, la faculté supérieure, unie à toutes les autres. Individualité, Liberté, et Amour  on a la totale de ce que l'occident représente et ne finira jamais de représenter, ah la belle théologie, ah la belle philosophie. 

     

    P.S. Contrairement à ce qu'affirme François Loiret, le remède à la concupiscence est une fin seconde du mariage catholique dans le canon de 1917. Scot était en fait en accord avec Aquin sur cette question, sa position sur l'aspect contractuel du mariage étant simplement plus affirmée que celle d'Aquin.  

    P.S. Une biographie enthousiaste de Scot: 

    (1) http://www.biblisem.net/etudes/sainscot.htm#_ednref79 

    (2) Un malicieux franciscain nous explique l'immaculée conception 

    https://www.youtube.com/watch?v=oJrLHT2clZE

    (3) La liberté pour Scot https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2002-1-page-195.html#re1no1

    (4) https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2002-3-page-11.htm

  • Irrationnel

    Il y a de l'irrationnel dans l'air. Je veux dire que dans les communications entre les hommes, alors que la raison a pour raison de fluidifier les dires en rendant acceptable ce qui est dit, il apparait trop souvent, hélas, que ce qui soit dit soit inacceptable parce qu'absurde, et ceci avant même d'être à proprement parler faux. 

    Le fait est que des habitudes ont été prises. Une nouvelle philosophie Française, disponible pour cette génération sur Youtube et autres, sans parler des articles, compte rendus en ligne etc, me semble aller dans cette belle direction avec un enthousiasme et une naïveté confondante. Tout le monde n'est pas dupe, bien sur, mais tout de même: même moi, pauvre ignare lecteur d'internet, les bras m'en tombent. 

    D'abord Jean Luc Marion. Disert sur KTO, il est clair, un super bon prof, y compris de ses propres théories. Le problème c'est qu'elles sont totalement déraisonnables.

    Au delà de la science traditionnelle, il y aurait ainsi les phénomènes saturés, ce qui se soustrait au principe de contradiction et qui établit donc le monde comme soumis au principe d'irraison cartésien, justification de l'existence de Dieu en gros, ou du moins de l'existence des choses irraisonnables dont fait partie Dieu. Le plus marrant, dans ce tissu d'absurdités est que le concept est explicitement exclu (ce qui fait l'originalité du système) dans une magnifique conceptualisation déguisée portant noeud papillon et pipe. 

    Au passage les phénomènes (la phénoménologie étant la pensée des nouveaux objets, ceux que l'on obtient en détruisant les concepts et qui donc ne sont plus des objets) sont "donnés". Le "es gibt" allemand, célèbre jeu de mot, faisant de la péri phrase "étant donné que", la justification des dons gratuits que l'on se doit de faire aux migrants en goguette. 

    La "donation" devient donc la source de tout. Une pensée contradictoire, par exemple, est un donné, tout comme Dieu d'ailleurs. Une splendide théorie de l'amour est alors produite et qui très justement substitue l'amour à la pensée, ce qui permet au passage de faire fi de la démocratie, l'égalité et la liberté étant forcément abolies par l'amour, on doit faire avec ce qu'on a. 

    Cette histoire de l'éthique comme abandon du rationnel ou de l'ontologie en général, est une veille idée de phénoménologiste. Heidegger apparait, l'immense génie qui réussit à force d'obscurités à persuader ses étudiants juifs et toute l'intelligentsia occidentale que l'on pouvait appeller "Etre", bien mieux que Dieu, car lui, non existant, le vieil esprit germanique pré historique, garant de la nécessaire extermination de la judenmacht. 

    Marion, élève de Derrida, mais catholique de l'Académie Française, est donc un grand philosophe Français. 

    Il y a plus jeune. Quentin Messailloux, adulé au delà du possible par le dinosaurien Badiou, proclame bien mieux et en fait dans la même veine de la proclamation cartésienne de l'irraison du monde (Dieu fait absolument ce qu'il veut avec les lois de la nature) affirme donc la nécessité de la contingence, c'est à dire qu'il n'y a qu'une seule nécessité, l'absolue irraison du monde, et donc son absolue contingence arbitraire.

    Une fois cela posé, tout est possible, y compris la résurrection des morts, et la révolution, voire un Dieu à venir. Cette splendide ouverture vers le n'importe quoi, pourtant justification du principe de contradiction lui même, exposé en détails dans les cours que le petit Quentin a séché à normale est revendiquée, considérée comme géniale et vendue à l'export. Pas mal. C'est moins dur à comprendre que Derrida, mais l'effet est le même: une gauche pleine d'espérance est au travail. 

    Au passage je suis très reconnaissant à tous ces beaux esprit de m'avoir fait voyager au pays de l'Esprit: ce fut extrêmement distrayant.

    On remarque tout de même que le penchant vers le religieux est particulièrement net, serait ce la mode? 

    La description de Messailloux de la genèse des poèmes de Mallarmé, à savoir l'ambition de Hugo et Lamartine de fonder une nouvelle religion basée sur les cérémonies théâtrales et poétiques illustre magnifiquement la genèse de cette gauche.  Née pour le malheur du siècle dernier, dans les convulsions de la révolution française, elle fut d'abord une volonté irrationnelle religieuse, cette même cochonnerie qui  nous ronge à nouveau.

    A bas la calotte ! 

     

    Comme référence à mes autres lectures, celles qui m'immunisent contre tout cela pour l'instant, on peut citer d'abord une certaine anthropologie, celle d'un Marcel Hénaff pour qui le don c'est d'abord une structure triple, où le symbolique joue un rôle essentiel, ce qui permet de faire justice aussi bien du mimétisme de Girard que de la donation aveugle de Marion.

    Pour préciser au sujet de Messailloux, il maintient tout de même le principe de contradiction dans sa contingence généralisée, comme quoi il y a des limites à tout. Il démontre cependant son irraison à partir de la non nécessité de la physique qui nécessiterait sinon un créateur "intelligent" (pas mal l'argument déiste, on dirait saint anselme).

    Alors qu'on pourrait au contraire imaginer une immanence  de la nature sur la base d'une mathématique décidable (ou non, qu'elle importance) qui imposerait nécessairement le surgissement de la nature depuis le vide. Celle ci deviendrait alors purement spirituelle, c'est à dire constituée de la nécessité logique de se manifester telle qu'elle est, toutes les constantes étant démontrables et toutes les forces logiquement nécessaires. Voilà ma théorie, bien mieux que Descartes ! Quand au fameux indéterminisme, le hasard qui permet de prédire le réel avec 7 chiffres après la virgule, il est bien au contraire gage de la variabilité du monde, il ne faudrait tout de même pas que l'on puisse aussi décider de l'instant de la création. 

    Il ne faut oublier Philippe Murray: le "XIX siècle à travers les âges", description de l'irrationalisme mystique de la gauche depuis son origine pour faire justice de ce qu'il y a derrière tout cela: l'effroyable arriération de la moitié de l'humanité, poussée du col par sa folie malgré ce qui heureusement avance et invente vraiment et qui continue de faire de moi un incurable optimiste: les méchants ont tort !