Irrationnel
Il y a de l'irrationnel dans l'air. Je veux dire que dans les communications entre les hommes, alors que la raison a pour raison de fluidifier les dires en rendant acceptable ce qui est dit, il apparait trop souvent, hélas, que ce qui soit dit soit inacceptable parce qu'absurde, et ceci avant même d'être à proprement parler faux.
Le fait est que des habitudes ont été prises. Une nouvelle philosophie Française, disponible pour cette génération sur Youtube et autres, sans parler des articles, compte rendus en ligne etc, me semble aller dans cette belle direction avec un enthousiasme et une naïveté confondante. Tout le monde n'est pas dupe, bien sur, mais tout de même: même moi, pauvre ignare lecteur d'internet, les bras m'en tombent.
D'abord Jean Luc Marion. Disert sur KTO, il est clair, un super bon prof, y compris de ses propres théories. Le problème c'est qu'elles sont totalement déraisonnables.
Au delà de la science traditionnelle, il y aurait ainsi les phénomènes saturés, ce qui se soustrait au principe de contradiction et qui établit donc le monde comme soumis au principe d'irraison cartésien, justification de l'existence de Dieu en gros, ou du moins de l'existence des choses irraisonnables dont fait partie Dieu. Le plus marrant, dans ce tissu d'absurdités est que le concept est explicitement exclu (ce qui fait l'originalité du système) dans une magnifique conceptualisation déguisée portant noeud papillon et pipe.
Au passage les phénomènes (la phénoménologie étant la pensée des nouveaux objets, ceux que l'on obtient en détruisant les concepts et qui donc ne sont plus des objets) sont "donnés". Le "es gibt" allemand, célèbre jeu de mot, faisant de la péri phrase "étant donné que", la justification des dons gratuits que l'on se doit de faire aux migrants en goguette.
La "donation" devient donc la source de tout. Une pensée contradictoire, par exemple, est un donné, tout comme Dieu d'ailleurs. Une splendide théorie de l'amour est alors produite et qui très justement substitue l'amour à la pensée, ce qui permet au passage de faire fi de la démocratie, l'égalité et la liberté étant forcément abolies par l'amour, on doit faire avec ce qu'on a.
Cette histoire de l'éthique comme abandon du rationnel ou de l'ontologie en général, est une veille idée de phénoménologiste. Heidegger apparait, l'immense génie qui réussit à force d'obscurités à persuader ses étudiants juifs et toute l'intelligentsia occidentale que l'on pouvait appeller "Etre", bien mieux que Dieu, car lui, non existant, le vieil esprit germanique pré historique, garant de la nécessaire extermination de la judenmacht.
Marion, élève de Derrida, mais catholique de l'Académie Française, est donc un grand philosophe Français.
Il y a plus jeune. Quentin Messailloux, adulé au delà du possible par le dinosaurien Badiou, proclame bien mieux et en fait dans la même veine de la proclamation cartésienne de l'irraison du monde (Dieu fait absolument ce qu'il veut avec les lois de la nature) affirme donc la nécessité de la contingence, c'est à dire qu'il n'y a qu'une seule nécessité, l'absolue irraison du monde, et donc son absolue contingence arbitraire.
Une fois cela posé, tout est possible, y compris la résurrection des morts, et la révolution, voire un Dieu à venir. Cette splendide ouverture vers le n'importe quoi, pourtant justification du principe de contradiction lui même, exposé en détails dans les cours que le petit Quentin a séché à normale est revendiquée, considérée comme géniale et vendue à l'export. Pas mal. C'est moins dur à comprendre que Derrida, mais l'effet est le même: une gauche pleine d'espérance est au travail.
Au passage je suis très reconnaissant à tous ces beaux esprit de m'avoir fait voyager au pays de l'Esprit: ce fut extrêmement distrayant.
On remarque tout de même que le penchant vers le religieux est particulièrement net, serait ce la mode?
La description de Messailloux de la genèse des poèmes de Mallarmé, à savoir l'ambition de Hugo et Lamartine de fonder une nouvelle religion basée sur les cérémonies théâtrales et poétiques illustre magnifiquement la genèse de cette gauche. Née pour le malheur du siècle dernier, dans les convulsions de la révolution française, elle fut d'abord une volonté irrationnelle religieuse, cette même cochonnerie qui nous ronge à nouveau.
A bas la calotte !
Comme référence à mes autres lectures, celles qui m'immunisent contre tout cela pour l'instant, on peut citer d'abord une certaine anthropologie, celle d'un Marcel Hénaff pour qui le don c'est d'abord une structure triple, où le symbolique joue un rôle essentiel, ce qui permet de faire justice aussi bien du mimétisme de Girard que de la donation aveugle de Marion.
Pour préciser au sujet de Messailloux, il maintient tout de même le principe de contradiction dans sa contingence généralisée, comme quoi il y a des limites à tout. Il démontre cependant son irraison à partir de la non nécessité de la physique qui nécessiterait sinon un créateur "intelligent" (pas mal l'argument déiste, on dirait saint anselme).
Alors qu'on pourrait au contraire imaginer une immanence de la nature sur la base d'une mathématique décidable (ou non, qu'elle importance) qui imposerait nécessairement le surgissement de la nature depuis le vide. Celle ci deviendrait alors purement spirituelle, c'est à dire constituée de la nécessité logique de se manifester telle qu'elle est, toutes les constantes étant démontrables et toutes les forces logiquement nécessaires. Voilà ma théorie, bien mieux que Descartes ! Quand au fameux indéterminisme, le hasard qui permet de prédire le réel avec 7 chiffres après la virgule, il est bien au contraire gage de la variabilité du monde, il ne faudrait tout de même pas que l'on puisse aussi décider de l'instant de la création.
Il ne faut oublier Philippe Murray: le "XIX siècle à travers les âges", description de l'irrationalisme mystique de la gauche depuis son origine pour faire justice de ce qu'il y a derrière tout cela: l'effroyable arriération de la moitié de l'humanité, poussée du col par sa folie malgré ce qui heureusement avance et invente vraiment et qui continue de faire de moi un incurable optimiste: les méchants ont tort !
Commentaires
Un commentaire serait de mentionner que Max Tegmark propose une solution similaire au monde purement mathématique décrit, avec une vision réaliste purement mathématique du monde bien séduisante... Ca existait déjà, donc.