L'islam en général, plus qu'une religion est une chorégraphie voir plusieurs chorégraphies apparentées toutes consacrées à tourner autour du pot.
Le trou noir
Le centre du pot, le trou noir super massif est bien évidement le néant super concentré de l'inanité totale du religieux islamique essentiel, la prédication du fondateur d'empire Mahomet, qui réussit à fasciner et à unifier l'impensable: le foutoir bédouin de la péninsule arabique à la fin de son antiquité tardive.
On ne s'attardera pas sur les qualités humaines du conquérant : sa prédication est d'abord la magnification de l'autorité absolue reportée sur un Dieu inexistant à force d'être unique, l'affirmation perpétuellement inquiète du un faisant apparaitre l'inévitable zéro, source d'énergie du trou noir. Religion hyper rationnelle, sa seule vraie superstition étant réduite à rien comme on vient de le dire, l'islam se réduit donc à un système orthopraxique pur, à une recherche et une affirmation du licite et de l'illicite dans toutes les dimensions, le mouvement circulaire du "croyant" étant ce mouvement infini de référence à ce qu'il faut faire, bouger un tout petit peu plus sur la droite, puis sur la gauche, et cela à l'infini.
Le moteur et son mécanisme perpétuel décrit, reste à comprendre que son infini est aussi celui de ses applications, intéressantes à observer, après avoir décrit l'efficacité du mouvement de sa première roue dentée.
La Sunnah
Conçue et développée pendant la terrible guerre civile de 3 siècles qui suivit immédiatement la prédication et qui fonda et instaura le premier empire musulman, l'Arabe, le plus brillant de tous, la religion musulmane fixa dans l'encre des parchemins le mode de vie et de pensée des conquérants nomades de la moitié du monde: peine de mort pour les apostats (le minimum), esclavage ordinaire plus l'esclavage sexuel des captives de razzias, polygamie et domination des femmes et pour finir, pratique de la sexualité avec des mineures non pubères, expression suprême de la virilité indomptable d'adorateurs de la virginité. J'oublie évidemment la suite tout aussi nécessaire et incontournable: formes et nombre journalier des prières, pélerinage, interdits alimentaires, circoncision, morale commune, hygiène. Admis et organisé, toutes ces pratiques furent codifiées, acceptées et révérées (elles furent toutes menées ostensiblement par le prophète, le meilleur des hommes) puis scellées définitivement après clôture de la période où on pouvait "interpréter", et inauguration de la période où l'on devait obéir.
Cette histoire de la fermeture des portes de l'ijtihad est bien évidemment grossière et démentie; elle parsème pourtant tous les textes et la notion d'innovation (bida) reste bien une caractéristique négative de toute proposition, source de condamnation permanente pendant les mille ans qui nous séparent de la fermeture de la fameuse porte, par Al Qadir en 1029, ce qui, selon Mohammed Arkoun, scella la fin de toute philosophie en islam.
L'alternance entre acceptation soumise de cette fermeture et refus hautain et progressiste d'icelui est l'une des danses communes subtiles et difficilement contrôlables des musulmans et de leurs experts. Alors, cet ijtihad ? On peut donc réformer la Sunnah, réécrire et supprimer les hadiths invalides ?
Disons qu'en gros, il (l'ijtihad) est absolument interdit par les 4 écoles qui basent leur autorité résiduelle sur cette fermeture, tout en étant revendiqué par tous les intellectuels possibles, au non de toutes les arguties possibles leur permettant un peu de liberté. Dire qu'il est permis ET qu'il est autorisé sont deux affirmations sujettes à contradiction: état métastable d'une danse le pied est à la fois sur et hors sol, l'important est dans la grâce du geste...
Le premier épicycle
Voilà donc la roue dentée qui s'est mise en mouvement. Celle du déni gêné de l'inacceptable et de l'impossible constamment rappelé élastiquement par ce qui est plus qu'un dogme, un système hiérarchisé d'obligations toutes rattachées à une parole de Dieu directe, révélée en son temps et qu'on ne peut non pas changer ni même contester.
Car l'absence de superstition réduite au néant de l'unicité divine s'est exprimé dans la religion musulmane, très au-delà de toute foi: Dieu parle par l'intermédiaire du religieux, et en permanence. La plus puissante des forces magiques est ainsi à l'oeuvre dans cette permanence, et la superstition réduite au minimum se trouve en fait maximale, d'où l'éternelle danse, à la fois tentative de vivre en humain qui pense et révérence au divin absent dont la présence est en fait permanente, il a inspiré tout ce dont il y a à parler et qu'on ne peut donc que respecter et adorer.
Cette parole certaine qu'est-elle ? Un écrit qu'on peut "interpréter" ? Qui peut interpréter une parole divine donc univoque? On a là tout de suite un ressort essentiel du mouvement: pour comprendre avec respect une parole divine, il faut la considérer prudemment et ne pas en admettre des sens absurdes ou faux par défaut d'intelligence ou de culture. Il faut donc interpréter, en fait s'en remettre à l'interprétation de plus doué que soi, ce qui ne fait que transférer le mouvement à un épicycle supplémentaire. Cette interprétation est en plus communautaire, et soumise aux interprétations réciproques des autorités qui tirent leurs autorités de leurs citations réciproques, tout un milieu, des milieux en fait, il y en a plusieurs.
Ainsi, les interprétations sont en concurrence et discutées: un système de régulation se met alors à l'oeuvre, construit sur 1000 ans de traditions emboitées qui s'étudient successivement: les fameuses "sciences islamiques", outils de validation du licite tel qu'il se manifeste dans les textes successifs tous orientés vers et par la parole manifestée par l'être suprême. L'ensemble a donc deux ressorts: la prudence devant la parole divine, la prudence devant la communauté établie qui assoit son autorité sur le respect de la première prudence.
De quoi s'en remettre entièrement à cette communauté. La chose va jusqu'à rendre en fait obligatoire l'appartenance ou le suivi d'une école sunnite parmi les 4, les mélanges d'interprétations perturbants étant déconseillés: on ne doit pas s'écarter de la voie qu'on a choisie. En tout cas le principe de l'interprétation et du suivi de la foi musulmane passe par le respect des traditions, qui seules assurent qu'on ne s'est pas égaré. Par contre ce principe (l'obligation d'appartenance à une école) est discuté: établi par un fatwa d'un savant, il est réfuté par d'autres. Occasion supplémentaire de se trémousser, comme de juste.
De plus, les différentes écoles, se faisant concurrence, se séparent là dessus, sans parler des fidèles dont bien sûr beaucoup sont assurés, partisans de leur liberté, de pouvoir faire leur marché où ils veulent. Là encore et de plus, la danse s'accélère, chaque assurance s'affirmant en solitaire, les négociations entre puissances faisant qu'on ne polémique sur ces questions qu'en cas de besoin, voire jamais, chaque bassin d'influence étant maitre chez lui. Un caractère important de l'apparent unanimisme sunnite se trouve là, dans des différences tues ou exprimées chorégraphiquement à la fois niées pour tout extérieur ou tout consensus nécessaire, et soigneusement affirmé aux frontières, là où on ne peut plus mettre en balance les autorités. Une sorte de tango.
En tout cas, l'essentiel reste là et la Sunnah du prophète toujours présente, on attendra encore son Vatican 2 pour l'abolition de l'arabe dans le culte...
La métadanse
Il y a bien sûr une métadanse: cette conception-là de l'islam (sunnite) est rejetée avec hauteur par ceux qui s'y soumettent, et cela de 3 manières.
D'abord par les "coranistes". Musulmans qui rejettent les hadiths et qui prétendent lire le coran seuls, ils n'ont de cesse de se proclamer "sunnites intelligents", se contentant de faire leur marché parmi les traditions qui les intéressent ou pas, étant sûr en tout cas d'une chose : on ne peut les coincer la main dans la culotte d'Aicha, ils ne croient pas aux hadiths qui en parlent en mal. Paradoxalement, on a ici le lieu du n'importequoi possiblement extrémiste: le Coran n'est pas tellement légaliste en fait, et ses recommandations ou obligations un peu à l'emporte pièce. Le littéralisme coraniste peut faire des ravages, et le mysticisme à tout crins a ses emportements...
Ensuite par "libéraux ignorants". Persuadés (c'est leur foi qui les guide) de l'innocence sunnite et la dynamicité de la science islamique qui a réglé tous les problèmes aux marges de la Sunnah, ignorant du caractère absolu des traditions, ils vivent dans un monde d'amour et de paix, protégé par une interprétation rose bonbon de l'islam absolument à l'écart de toute lecture détaillée de ce à quoi ils font semblant de croire et surtout par l'absolue certitude que la cruauté, le cynisme sauvage totalitaire et la barbarie pure ont été abrogés depuis longtemps et ne sont donc plus que le fait des monstres chrétiens.
Puis au final par les "légalistes". Issus plus ou moins directement du monde musulman, ils ont noté qu'aucun pays musulman aujourd'hui ne pratique esclavage, mort des apostats, ou pédophilie et qu'il y a bien une différence entre loi divine et loi des états, la chose leur paraissant établie par l'islam, les défaillances dans l'application de la Charia n'étant dues qu'à l'injustice du monde qu'ils souhaitent tout de même réduire, par exemple, en votant pour des partis islamistes qu'ils jugent progressistes. Au passage, on admet par contre sans barguigner ramadan, voile, hallal et circoncision, établis par la même autorité par les mêmes moyens et donc incontournables à jamais. Mais l'essentiel de l'argument est là: parce que les pays musulmans ne coupent pas la main des voleurs (sauf l'Arabie Saoudite et Daech mais ce sont des hérétiques), la Charia est possible. Le paradoxe est une figure. Et hop.
On comptera pas ici le soufistes porteurs d'autres traditions, les littératures mystiques, qui en mille volumes enluminés retracent les expériences spirituelles de toutes les époques et qui ayant vocation à unifier le monde dans la vision béatifique du Dieu unique, se permettent de vouloir, l'islam est un progressisme, établir le seul un et unique Dieu perceptible, ça tombe bien c'est la prétention mahométane (sunnite, bien sûr), au passage, donc très présente. Car le soufi est souvent très réactionnaire, pour mieux se faire pardonner ce que l'islam sunnite orthodoxe ne supporte pas et qu'il a toujours en fait rejeté: l'accès direct à la divinité. La danse soufie est alors effective, et les derviches tournent, pour mieux s'abrutir et ainsi accéder au suprême.
Les débats contemporains
À l'occasion de livres publiés récemment(1), quelques exemples des danses musulmanes variées.
Prenons les recensions.
a) "La charia, voie divine construite par les hommes", pp. 21-32, propose d’explorer la relation entre le Coran et les musulmans et démontre que ce sont les hommes qui construisent l’herméneutique coranique, une pratique vivante d’où découle l’interaction entre le texte et l’expérience de l’herméneute.
On se demande ce qui pourrait s'opposer au constat, à part la croyance en une injonction divine directement inscrite dans le Coran, par ailleurs article de la foi musulmane. La figure du déniaisage instruit comme "contribution" à la foi.
b)La contribution de D. Gril traite des interprétations mystiques (La Mystique au-delà de la lettre) et celle de M. Terrier (Les imams qui font parler le Livre) qui s’intéresse aux commentateurs chiites du Coran, témoignent de la pluralité des interprétations au sein de l’islam. Ces deux contributions font références à des interprétations ésotériques.
Le passage obligé par le Chiisme illustre l'aspect "multiple" de l'islam ici élargi au chiisme donc. Connaissant l'ampleur de la différence, on se contentera d'approuver. Le mot "islam" une fois débarrassé du qualificatif de "sunniste" s'élargit bien.
La figure ici est celle des jambes écartées.
c) L’article de M. Cuypers intitulé "Le Coran se contredit-il lui-même ?" montre que l’un des plus grands obstacles pour une nouvelle interprétation contemporaine est la théorie de l’abrogation.
Seul moyen pour certains de traiter les fameuses contradictions, l'abrogation (qui hélas mène traditionnellement vers toujours plus de sévérité, de cruauté et de violence) est une figure pratiquée depuis l'origine pour traiter, effectivement les contradictions manifestes présentes à l'intérieur des textes musulmans. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques du corpus islamique avec sa violence: son incohérence globale. Un pas en avant, un pas en arrière.
d) La contribution de R. Tottoli, Les dits du Prophètes et les fortunes du salafisme, s’attache à analyser le rôle particulier des paroles et actes prophétiques (hadiths) compilés dans des recueils ou dans l’imaginaire religieux musulman. Ils vont progressivement prévaloir sur le Coran et devenir très vite, non seulement des clés pour interpréter le monde, mais également pour façonner la vision du monde des musulmans.
Ben oui, cela s'appelle l'islam sunnite. On repart donc de zéro, c'est ça? On a là la figure de la croix de fer dans le vide.
e) L’avant-dernier article de R. al-Sayyid, Ce n’est pas la foi qui impose le califat, traite pour sa part de la relation entre le politique et la philosophie politique dans l’histoire politique des sociétés arabo-musulmanes. Il montre que la théorie qui incite à obéir au calife est une idéologie nouvelle, qui date de l'Empire Ottoman...
800 ans d'histoire, ce n'est pas rien... Bref, la relativisation est nécessaire, pour avancer dans la vie. A plat ventre pour faire des pompes.
Dans tous les cas cité, une caractéristique quasiment essentielle de l'islam sunnite en général, fardeau historique, moral et politique lié à l'absurde et invivable totalitarisme qui accable une partie de l'humanité est considérée relative non indispensable, voire réformable pour faire de l'islam ce qu'il devrait être. A moins que non, finalement, on ne puisse s'en passer. Quelle serait alors la conséquence ? Mon Dieu ! Faudrait-il quitter l'islam ? L'interdire ?
Les chorégraphes
Et puis, il y a les chorégraphes, ceux qui décident encouragent et initient toutes ces simagrées, qui sont partiellement organisées et recommandées, autant le dire. Que l'on soit tartuffe ou machiavel, on a souvent des agendas cachés.
La première des contraintes du grand art est la grande variété des publics à qui on s'adresse. Entre le mécréant naïf, de gauche ou pas, qu'on doit convaincre que l'islam est une religion à respecter car éthique et pacifique, voire parce que dans l'état dominé d'une population fragile, avec des égards que ne mérite pas un catholicisme impérial, déjà démontré, lui, nocif et réactionnaire, voire raciste; le catholique ignorant qu'on doit persuader qu'on n'apporte à sa foi que de variétés sympathiques et compatibles et qu'on se charge de protéger contre des fanatiques qui n'ont rien à voir avec l'islam; le musulman abruti du tiers monde, dans l'état zéro de la théologie et des traditions et qui se soumet à l'imam par peur de l'enfer, à qui on dit n'importe quoi et dont on règles les ablutions nécessaires à ses marques de soumission à qui reçoit son impôt; etc etc. Que de danses et discours différents !
Car il y a des projets. Le projet principal, multiforme mais effectif et vital pour la poursuite historique de l'islam comme aventure historique est la question de sa puissance passée et de la restauration de celle-ci. Car l'islam ne fut dissout d'importance qu'avec la suppression du califat en 1924. La catastrophe est historique, et datée. Quelles qu'en soit les raisons, l'objectif et le projet est sa restauration, spirituelle et historique. Ce projet transnational et inspirant est le rêve fou de ceux qui ont la vraie foi en l'islam. Non pas un rêve apocalyptique, mais un rêve politique, un projet, c'est celui là, celui des frères musulmans, organisé en strates successives du point de vue effectif, mais pilotant (avec d'autres) un ensemble de mesures organisant la fameuse restauration et ce que cela implique.
(1) https://www.academia.edu/38406516/Rapport_des_musulmans_contemporains_au_Coran?email_work_card=view-paper