Les volontés
On a lu (1), qui confirme, (Boulnois est un fana Scot) que Duns Scot est le premier philosophe du monde avant Kant.
La modernité de Scot
Au passage, on rappelle donc quelques lieux communs de nos cultures communes (je est plusieurs), qu'il convient de rappeler.
La volonté, ou la liberté (c'est proche) a deux sens antiques, celui d'Aristote, qui est délibération rationnelle pour le juste choix, et celui des Stoïciens et aussi d'Augustin, qui est de donner son consentement au déterminisme du monde (ou de Dieu).
Au Moyen Âge, les franciscains (Oeu et Scot) fusionnent les deux modes et rompent avec Aristote, mais aussi avec Augustin.
La volonté devient principale, au détriment de l'intellect, favorisé par le toujours aristotélicien Aquin. C'est l'invention de la liberté au sens moderne.
Au passage, la critique de Nietzsche fils de pasteur luthérien (Luther est un moine augustin) s'adresse donc au contraire de ce qu'affirme Scot et qui est l'absolue liberté de la volonté humaine, qui devient non pas celle de faire le bien, mais une liberté essentielle, indifférente. La théologie chrétienne devient bifide...
Toujours au passage, l'homme "à l'image de Dieu" acquiert une âme infinie et une volonté infinie. L'infini devient positif, c'est la grande thèse.
Et puis le possible n'est plus le "en puissance" aristotélicien mais simplement le non contradictoire et donc peut être soumis au choix de la volonté infinie... Celle-ci devient alors "métaphysique", essentielle et donc soustraite à l'éthique entièrement. On est loin d'Augustin. Le juste devient alors ce qui est soumis à la norme, et Kant devient possible.
C'est l'attitude "moderne": l'homme antique était soumis au cosmos, à l'ordre du monde il est maintenant soumis au "devoir-être". Cela arrive avec Scot.
Bien sûr la Renaissance c'est la "dignité de l'homme" décrite par Pic de la Mirandole, mais la volonté infinie date de Scot, Pic n'ajoutant que le politique de cette volonté: l'homme pouvant être "ce qu'il veut". Nicolas de Cues: "homme, soit ce que tu veux".
Pour finir, Scot c'est aussi l'univocité de l'être, la grande révolution métaphysique qui unifie Dieu et le monde: tous leurs attributs respectifs sont associés au même "être" sans distinction. Dieu devient ainsi métaphysique et non plus "physique", toute référence au cosmos étant abandonnée... Le premier moteur d'Aristote s'évanouit.
Ainsi, la "modernité" (c'est la thèse de Boulnois) ne date pas de la renaissance mais bien du moyen âge, avec Scot. Boulnois décrit donc le Moyen Âge comme divers et multiple et donc met à bas toutes les prétentions historico ontologiques de Heidegger, basées sur des conceptions fausses et dépassées de l'histoire de la philosophie !
En gros, H. , parce qu'Aristote voit la métaphysique comme science de l'être et aussi du divin, donne cette structure à toute la métaphysique. Or cela est faux ! On trouve au Moyen Age des conceptions de la métaphysique comme exclusivement science du divin et théologie. L'ontothéologie, ne commence que tardivement, avec Scot.
Boulnois décrit ainsi la métaphysique comme un ensemble de problèmes et de structures manipulées et décrites par de multiples personnes. C'est tout le monde "scotiste" qui succéda à Scot et réexprima ses thèses.
Théorie de l'humain
Pourquoi ne pas se lancer et théoriser l'humain ? On pourra y revenir plus tard, de toute façon.
On va donc diviser l'humain en trois parties: la raison, la psychologie, la conscience.
La raison est philosophique et caractérise tous les discours raisonnables qu'on peut produire.
La psychologie est le lieu des émotions et du sexe et de tout ce qui concerne l'état du sujet en action ou pas. C'est un lieu descriptible par le discours, mais composés d'états qui ont une autre existence que leur description: ils sont éprouvés.
La conscience est ce qui correspond à la spiritualité c'est-à-dire au fonctionnement réflexif de son propre esprit, soumis de manière pure (non émotive) à ce qui n'est pas raisonnable : l'autre esprit.
Ma ptite théorie est que l'humanisation se caractérise par l'apparition de la conscience et donc d'une auto réflexion construite sur la perception et la considération d'un autre esprit, l'autre "transcendantal". Cet autre esprit n'est pas humain (il est au-delà du "soi") et se trouve être dans les choses. Il est l'objet type de la focalisation de la conscience, l'objet "g", origine de l'humain et aussi du "surnaturel" assimilé au spirituel des choses, à la fois visible (il est objectivé ) et invisible (il est purement spirituel, dans l'esprit). L'homme est ainsi crée par Dieu, pour faire court.
Le religieux est l'accaparement politique du spirituel, mené raisonnablement afin d'organiser rationnellement le social c'est-à-dire partager les ressources physiques parmi les humains dans et entre les communautés. Il est le fondement du politique transmissible, c'est-à-dire du pouvoir social "durable" justifiable rationnellement et capable d'être accepté hors du simple rapport de force. La référence à l' "autre" effectif, attribut essentiel du spirituel est par contre indispensable à son fonctionnement et se trouver matérialisé (si l'on peut dire) par un "divin" d'une manière ou d'une autre.
On remarquera la faiblesse freudienne, réduite à la notion d'"inconscient", pendant métaphysique et donc "raisonnable" du conscient pour expliciter le mystère de l'"humain inconnu". Différencier conscience et psychologie et fournir un domaine focalisé et exclusif de la pensée pour les choses qui nous concernent au-delà du psychique biologique et aussi bien sûr de la raison raisonnable, résoud le problème.
Car l'inconscient de Freud est bien sûr celui de Shopenhauer, d'ailleurs Freud le reconnait. Comme Augustin, Freud nous rend esclave d'un inconscient révolté par l'orgueil du moi, croyant tout maitriser, ce qui produit nos névroses. Cet orgueil est donc le "péché" freudien, qui nous offre le salut par la cure, par ailleurs payante.
Bien sûr il n'y a pas d'inconscient "conscient" (par définition) ni de révolte symbolique cachée (ce que voulut nous vendre Lacan). Il y a une biologie viscérale qui influence le logiciel cervical en activité et qui le perturbe après l'avoir suscité mais scrictement rien d'équivalent au mental, sinon, on n'en aurait pas eu besoin (non mais, dis donc, c'est logique ça).
Ainsi le secret du moi n'est pas animal, égoïste et renfermé dans je ne sais quelle glande localisée autour des organes génitaux, il est bien sûr mental, allumé telle une flamme par les mystérieux évènements qui présidèrent à l'hominisation (qui est le véritable problème) et sans aucun doute (en tout cas c'est ma thèse ) liée à une relation à un autre, esprit cela est sûr. Esprit du démon, du dieu ou de la nature, mais esprit: comment vivre seul sinon ?
A ce point, je crois qu'on peut balancer toutes les littératures mystiques, mythologiques et poétiques, plus la littérature et la musique et tout ce qu'on appelle l'art, en incluant bien sur les masques africains, voire même soyons généreux, les tableaux blancs des foutraques modernistes: ils signifient tous cet "autre esprit" qu'on se doit de représenter, en mettant en cause les spectateurs futurs. Tout cela s'appelle le spirituel, est le propre de l'homme et picétou.
Un point important, ce domaine de l'esprit et de la personne fait toujours référence au passé, à l'origine, au souvenir, forme perdue d'un avant qui nous a fait émerger et dont on se souvient qu'on s'en est souvenu. L'art c'est la mémoire du souvenir, perpétuellement ressassé, transcrit pour ne pas l'oublier.
On arrive là alors au sentiment religieux, à proprement parler, qui comme décrit plus haut, introduit le sentiment spirituel dans le politique organisé tout en en gardant les caractéristiques fondamentales: répétition, transmission, transcription.
Bien entendu il y a entre spiritualité et religion ce qui est propre à chaque culture ou ensemble culturel et qui est le "mythologique", ou "théologique", c'est à dire le discours rationnel produit pour expliciter le sentiment de la relation avec l'autre imaginal du spirituel. Cet autre apparait nécessairement comme personnage vivant ou supposé avoir vécu la relation à l'autre de manière particulière ou même comme autre pur, humain, animal ou purement abstrait, ce que l'on s'entend être comme un ou le "Dieu". Ce discours est évidement particulier, et marqué par une relation particulière au réel, l'autre imaginal comme indiqué n'étant pas "existant" mais "advenant", et cela de part la transmission du récit stable ou stabilisé qui accompagne sa description, ou ses "enseignements", supposés avoir une origine dans le passé etc etc.
On remarquera que ces récits, au delà de leur coté identitaire (c'est papa qui l'a dit), sont proprement réels, eux (même si certaines mythologies tentent d'en faire des produits du surnaturel, ce qui est habile) et donc suceptibles d'être comparés et critiqués pour leurs caractères logiques, esthétiques ou adaptés aux préocuppations humaines d'un moment ou d'une culture.
Et voilà donc les cultures humaines expliquées, il n'en faut pas plus. On peut bien sur ajouter que parmi les religions, il y en a de plus élaborées que d'autres, et la transmission à travers les cultures des représentations volontaires du divin après bien des variations est arrivé à de bien belles complexités.
Christianisme
La complexité chrétienne mérite le détour, à la hauteur de la sophistication des culturels qu'elle a alimenté et inspiré.
On notera l'inspiration trinitaire de ma description de l'humain: raison/père, amour/fils, esprit/esprit... Belle représentation de soi, appelé à devenir Dieu en plus, l'homme chrétien est affreusement ambitieux et se trouve aujourd'hui en position de rêver à voix haute à son destin métaphysique en se livrant aux pires débilités.
La forme de ces horreurs métaphysiques fut inventée juste après les lumières par le concept de "percement du plafond de l'histoire" inventé (disons par Hegel) lorsqu'on chercha à se libérer de l'ignoble chose en soi inventée par Kant. Concept limitatif sommet de l'humanité pensante, il fut utilisé en fait comme un mur pour y faire rebondir les balles élastiques les plus énergétiques possibles. On nia la chose, tua Dieu, puis chercha à instaurer grâce à un nouveau chancelier allemand le contact direct entre un nouveau dieu inconnu et le peuple rassemblé dans une clairière...
Après un petit stop and go mené par un culte prolétarien violeur de vaincues, la machine fut relancée, mais cette fois dans la folie suicidaire explicite: on se coupe la bite, on fait venir ses remplaçants. Point besoin de détruire tout cela, il suffit d'attendre, avec en plus l'extrême plaisir à venir de voir disparaitre en même temps (...) tout ce qui a pu causer ou être à l'origine de ces horreurs.
Hélas la belle religion chrétienne devra disparaitre aussi, la chose d'ailleurs étant pratiquement déjà faite, franchement c'est dommage. Forme supérieure de l'élaboration sociétale et culturelle construite sur le spirituel humain, la voilà bien menacée, voire capturée, à moins que défendue par une forme schismatique, elle ne soit remplacée elle aussi par une forme orthodoxe à l'apparence barbue, passionnée par le sentiment spirituel qu'on éprouve à des beaux chants graves et à des icones entourées de papier doré, marque de lumières intérieures. Tout n'est pas perdu, et Bakhmut va bientôt tomber.
(1) Entretiens Philosophoire avec Olivier Boulnois https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2002-3-page-11.htm