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Les péchés originels

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On veut se pencher sur les conceptions du mal et aussi du péché originel, leur négations à tous les deux étant très mode, et leur intérêt en eux mêmes tout autant, autant savoir où en est. 

Mani (ou Manes)

Mais d'abord, le manichéisme (1), l'un des ancêtres de l'islam, une post gnose qui ne s'est éteinte que tardivement en Chine (les Ouïgours en furent), et qui fut ce qu'Augustin, ex manichéen lui même, combattit ensuite comme un forcené. 

On a donc les ténèbres et la lumière, et le prince des ténèbres. La création fut le fait d'un mélange des ténèbres et de la lumière, et sépare corps et âme. C'est en fait plus compliqué que ça. Dieu généra d'abord un homme essentiel ou primordial pour lutter contre le prince des ténèbres. Celui en fit une contrefaçon qui fut l'homme actuel, simplement porteur de la dernière trace de lumière laissée par l'esprit de vie, envoyé pour sauver l'homme primordial vaincu. Dans le combat, les démons répandent avec leur semence des grains de lumière partout. Un foutoir... La nature est une croix où est attaché "jesus patibilis" prisonnier du monde, lumière éloignée du royaume.

Et là ça part, c'est Jésus qui met Adam debout, et lui fait gouter à l'arbre de la connaissance, lui faisant percevoir la lumière. D'où le titre.  

Rudolf Steiner, un disciple de Madame Blavatski, réhabilita Mani (né en 216), un grand initié , selon lui. Tu parles. De fait, Mani post Jésus Christ se proclame le Paraclet, c'est à dire l'esprit, le sceau des prophétes. Il est mis à mort en Perse en 277 par des zoroastriens jaloux de son influence.

On a donc les deux principes (bien et mal) et les trois moments (antérieur, médian, postérieur), le dernier moment étant le retour à la séparation originelle entre ténèbres et lumière. 

Au fait, la rose des roses croix c'est la parcelle de lumière sur la croix: l'esprit de la gnose est là. 

Bon on cite le fameux prologue de l'évangile de Jean: 

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AU COMMENCEMENT était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence,
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
En lui était la vie,
et la vie était la lumière des hommes; 
la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.

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Ainsi donc, pour les manichéens, le "mal" n'est pas à proprement parler le sombre, MAIS le mélange entre lumière et ténèbres, et le combat violent entre Dieu et les démons. Le retour à l'équilibre noir/clair restaure la paix. On a ainsi une cause du mal dualiste, mais pas de "mal" absolu. Un chef d'oeuvre, avec une postérité ça comme. 

Au passage, la dissémination de la lumière dans la nature, en particulier dans les végétaux rend les manichéens très "matérialistes"; ils mangent de l'herbe, ce que moque Augustin. Car les manichéens croient en la métempsychose, et pour les chrétiens le végétarianisme est suspect, et pour cette raison là ! Le poisson (et les végétaux) sont autorisés, car l'âme ne s'y incarne pas, d'après un parfait cathare qui témoigna bien obligé. Et puis, pour les manichéens toute viande est issue de la copulation, impure par définition. Bonne raison pour ne pas manger de chair humaine...  

Car Augustin, comme platonicien, a réalisé que Dieu est esprit. Mieux pour lui, le mal lui même n'existe pas comme substance et n'a pas pu être crée par Dieu qui est infiniment bon. De plus, sa toute puissance le rend invincible contre tout mal et toute ténèbre par définition. 

Alors d'où vient le mal? Et bien c'est toute la question. 

On reprocha à Augustin de n'avoir été qu'un "auditeur" manichéen et non pas un "élu": ses critiques seraient superficielles... 

Augustin à propos des vandales qui détruisent l'Afrique du nord romaine: "Quelles horreurs! Quelles ténèbres!"

Pélage 

Un moine anglais du 4ème siècle (380), l'autre grand adversaire d'Augustin, lui super indulgent: pas de faute originelle et l'homme peut accéder à Dieu librement en faisant le bien. Une doctrine d'ascètes. A ce propos, on notera l'association entre les extrêmes, celui de l'indulgence (spirituelle) et de la sévérité (rituelle): tout ce que déteste le catholicisme, finalement religion du bon sens! 

Ainsi, c'est le principe, la chute n'a pas corrompu, la religion, assez stoïcienne d'esprit, est entièrement morale. 

La bonne volonté est donc humaine et non divine. Condamné par le concile de Carthage, et Augustin y fut pour quelque chose, tu parles, il s'est acharné à le poursuivre. 

Car Augustin a un fond de pessimisme. Disons qu'il juge inconciliable, c'est un peu l'échec du christianisme selon certains, les amours sexuels et spirituels et les vies conjugales et religieuses, une caractéristique du péché originel étant précisément d'avoir aboli l'harmonie originelle entre les deux. Entre constatation désolée (que beaucoup partagent par ailleurs) et espoir (ou regret) fou on a toute le merveilleux catholique là dedans. Par ailleurs la femme pour lui, ne serait pas à l'image de Dieu, clairement considéré comme masculin: d'où un espoir fou spécifiquement féminin, qui a tendance, ce qui est partagé par beaucoup, à prendre ses désirs pour des réalités, qu'est ce qu'on rigole.

On a aussi un "semi" pélagianisme, qui admet la grâce, mais laisse à l'homme beaucoup de libertés pour avoir le salut. Condamné par le concile de Trente, et Erasme (voir plus bas) le fut aussi pour cela. Il faut bien comprendre qu'il est en fait la règle actuelle, la notion traditionnelle de la grâce exclusive étant en fait globalement forcluse, et de fait complètement incompréhensible. Vatican 2 fut même considéré semi pélagien par Benoit XVI ! 

Le désormais dogme de l'immaculée conception, défendu par Duns Scot, est typique de l'affirmation de la notion de péché originel, seul un humain (qui est d'ailleurs une humaine) en étant exempt à part le Christ. Le caractère provocateur du dogme et son coté à la fois logique et dingo, qui le fit adopter à l'époque moderne (en 1854) en fait un caractère catholique typique, en fait. 

Augustin

La conception du mal d'Augustin d'Hippone a bien des caractéristiques intéressantes. Elle est la nôtre, plus ou moins, ou du moins celle dont nous héritons... 

D'abord, le mal n'est pas une substance, mais une action, une "praxis". Il est le fait de l'homme et n'est PAS crée par Dieu, qui n'a crée QUE des choses bonnes. C'est l'exercice de la liberté humaine qui a fait la désobéissance, à l'instigation (dit Eve, elle même dénoncée par Adam) du fameux serpent, lui même créature révoltée plus ancienne, MAIS, et c'est là la différence, absolument étranger à Dieu à ce moment. On verra après. 

Adam et toute sa descendance sont alors porteur du mal et seule la grâce, et Dieu et de Dieu, pourront faire quelque chose pour procéder à la réconciliation, car bien sur, il faut le répéter, la faute est envers Dieu et absolument pas envers les hommes. Le Mal n'est pas la souffrance ou le mal physique, simple conséquences, mais le crime contre Dieu, lié à l'existence des hommes après la chute et hérité par les enfants tout juste nés.  

Précisons la nature du crime: il est trahison de la vocation de l'homme, vocation divine certes, mais créé par Dieu et qui n'est PAS Dieu. Le péché consiste alors à se considérer Dieu et à s'adorer soi même, à s'aimer soi même comme universel au lieu du contraire. On a là une belle description "jésuite" de la chose, qui identifie les autres (à aimer comme soi même) à Dieu et donc clarifie le rapport entre crime contre Dieu et crime contre "les autres", ce qui est caractéristique du péché chrétien. 

On peut revenir en arrière au sujet de cette structure théorique augustinienne, car il faut bien voir qu'elle est contrainte. D'un coté on a le manichéisme, où le mal est naturel, existant de toute éternité, de l'autre on a le pélagisme ou le mal est causé par accident exclusivement de part l'action individualisée de l'homme. Le refus des deux directions, le ni ni naturel ni accidentel caractérise la conception augustinienne, qui doit être à la fois historique pour ne pas être naturelle, et transmise sans volonté pour ne pas être accidentelle. De la logique pure. 

On peut alors revenir en avant vers la transmission de la chose. C'est la fameuse concupiscence, le scandaleux acte sexuel, d'ailleurs bien sur source et cause directe de la transmission, mais aussi péché "en soi" et donc cause de la génération par des adultes pardonnés eux mêmes de bébés coupables et nécessitant de l'être (pardonné).

Il faut bien voir pourtant que le rapport avec le péché défini plus haut n'est pas évident (à part la transmission générative) du tout, voir obscure, et on peut creuser. 

D'abord il faut savoir qu'il y a une autre polémique, celle avec Julien d'Eclane, le pélagien. La question est aussi celle de la sexualité avant le péché: elle existait et permit à Adam et Eve d'avoir des enfants mais de manière intègre. C'est le péché qui rend le sexe concupiscent et esclave de la libido. A partir de là, on a deux interprétations d'Augustin, l'une dualiste qui oppose irréductiblement sexe et bien et l'autre celle de Thomas d'Aquin qui introduit une morale d'intention: il n'y a pas péché dans la "caritas conjugalis" pourvu que soit mené le "combat chrétien" dans la nature déchue, alors que nous avons perdu notre libre arbitre, et que nous sommes esclaves du péché. La morale conjugale devient alors proprement spirituelle, bel idéal... 

Dénoncée par Paul bien avant en tant que ce qui s'oppose à l'Esprit pour la conduite de soi, on peut pourtant effectivement l'identifier à l'adoration "de soi" et donc au péché au sens plein, mais cela n'est qu'une interprétation à moi (et dont j'insisterais pour qu'on s'en méfie). En tout cas, Augustin l'identifie dés le premier âge à la pulsion pour le sein du bébé, par exemple ! Belle intuition, en tout cas, et finalement assez convaincante tant l'absolue impérativité du désir sexuel global s'identifie à toutes les pulsions vitales humaines en fait. 

Augustin classifie alors la concupiscence en 3 branches: 

  • la chair (mais aussi le gout, l'odorat, et aussi l'ouïe) le sexuel jouissif global (concupiscentia carnis)
  • l'oeil, l'imaginaire, la tromperie, l'illusion et l'adoration des faux dieux (concupiscentia occulorum)
  • l'orgueil, l'identification de soi à Dieu, le péché par essence... 

Et puis il y a la classification entre "libidos" , tendances de l'homme à satisfaire les concupiscences : 

  • libido sentiendi (la chair)
  • libido sciendi (l'oeil)
  • libido dominandi (l'orgueil)

Le caractère non volontaire de cette concupiscence (y a t-il faute à rêver de sexe ? non) fait que le salut (le sujet qui vient juste après) consiste non pas à rejeter toute concupiscence (ce qui serait faire injure à la création, elle qui est bonne), mais à ne pas y accorder sa volonté. La femme violée n'est pas coupable... 

Voilà donc le mal tel que décrit de manière complexe, hautement subtile et intelligente, par le berbère d'Hippone. 

Erasme et Luther

Glosons sur les conceptions transmises d'Augustin du bien et du mal qui agitèrent la suite (mille ans après, tout de même). C'est la polémique Erasme Luther (3). 

Mais d'abord, l'humanisme, le "sans corps tu serais un dieu, sans âme tu serais une bête". Le corps et l'esprit étaient en harmonie avant la chute, et celle ci en a fait des ennemis, c'est le "je ne puis vivre ni sans toi ni avec toi" d'Ovide, une sorte d'image de l'amour humain... 

Ensuite il y a Luther. 

Pour lui, le péché originel est destruction complète de la sainteté humaine d'avant la chute et une déchéance complète pour l'humanité, absolument irratrappable qui plus est. Il est d'autre part un péché en soi, et le plus grave possible: il obère toute capacité à avoir confiance en Dieu et à résister vraiment au mal. Il est inclinaison au mal et exprime tout ce qui désobéit à la loi, par essence le "tu ne convoiteras pas". Le baptème ne le détruit ni ne le lave et l'action volontaire de l'homme libre ne peut évidemment pas le combler et d'ailleurs ce n'est pas le libre arbitre qui désigne le péché, mais la loi, exclusivement. 

Le désaccord avec Erasme est complet: le libre arbitre était pour Erasme une volonté capable de se tourner vers le bien et de se détourner du mal, ce qui est inacceptable selon Luther : il n'est qu'exclusivement tourné vers le mal et ne peut absolument pas se tourner vers le bien sans l'intervention divine. 

On se permettra de faire un commentaire sur la position de Luther, finalement assez convaincante, en fait, malgré son apparente dureté. Car la question est celle de Dieu lui même, finalement seule victime du péché. Dans la mesure où le dédain à son égard, à moins de mettre en cause son existence, est dédain de sa puissance, tellement absurde que ne pouvant être que complet, équivalent à un éloignement total, qui ne peut être compensé. Sauf si l'autre partie intervient. Implorer cette intervention est alors la seule attitude logique, et bien sur sans pouvoir en exiger le résultat.

Quand à l'universalité de ce péché là elle est aussi assez naturelle: qu'un déni de cette nature soit simplement possible chez une race impose que toute celle ci se trouve marquée: on a là la nature même de l'existence de l'homme crée donc soumis à l'histoire, et capable donc nécessairement capable du crime, la preuve.  

On pourrait parler aussi de l'islam dont la position est radicalement contraire, puisque l'obéissance y est la clé, c'est à dire que le comble du scandale des oeuvres y est la règle. 

 

(1) https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/regards_sur_le_manicheisme.asp

(2) défense des doctrines gnostiques : http://misraim3.free.fr/divers2/augustin_et_le_manicheisme.pdf

(3) Erasme Luther Calvin https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01282513/document

 

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