Les A prioris
On avait déjà défini le "transcendA/Ental", mais il faut nous le faire définir par Kant.
Définition
Le vieux branleur de Königsberg avait des idées précises sur la question. On a lu (1).
D'abord, ce n'est pas tout à fait ce qu'on croyait. Kant pose bien SA manière de voir: est transcendental
(le "a" vient de transcendAnt tandis que le "e" vient de transcendEntal, semble-t-il...)
est transcendental, donc, ce qui concerne les modes de connaissances (et non pas les objets de la connaissance) en tant qu'ils sont "a priori", c'est à dire qu'il ne sont pas issus de l'expérience, du transcendant ou de la spéculation métaphysique. Les intuitions pures, celles du temps, de l'espace ou du nombre sont transcendentales, mais y a pas que.
La philosophie dite transcendentale (la seule qui vaille) est donc celle de la recherche de la seule connaissance sure possible, celle des concepts a priori et des intuitions pures de toute expérience ou spéculation.
Pour préciser encore davantage, est transcendantal(e) la fonction, le processus, le concept dont l'origine n'est ni métaphysique, ni physique.
Contre Descartes
Il faut mentionner que Kant est contre, complètement contre Descartes. Le criticisme est d'abord un rejet et une critique de la métaphysique "traditionnelle" et Descartes, le sale fransoze en est porteur.
La critique du cogito est multiple. En gros, il y a:
- mélange indu entre pensée et existence.
- séparation indue entre sujet et objet.
D'abord, La déduction de l'existence à partir de la pensée, est une erreur logique: le concept n'existe pas comme objet et la pensée ne peut accéder à l'en soi, à l'être non représenté. Ensuite, le sujet ne peut s'abstraire de la représentation et donc de l'objet. Si une psychologie est possible, sujet et objet sont en interaction et l'ego, le sujet, devient transcendental, c'est à dire condition de l'objet.
Plus largement, Kant se veut au delà des deux métaphysiques possibles, le dogmatisme (Descartes, Wolf) et le scepticisme (Hume). Il décrit d'ailleurs lui même l'état des choses à son époque concernant l'attribution des sources de la connaissance dans l'expérience ou dans la raison. Aristote serait un empiriste, et Platon un noologiste, Locke et Leibnitz suivant leurs traces respectives.
Le synthétique a priori
On en vient à la grande question: quid du synthétique a priori ? C'est LA question Kantienne par excellence et toutes ses réflexions ont pour objet d'expliquer la possibilité de jugements synthétiques à priori.
On sait la différence entre analytique, qui se déduit naturellement du contexte: 2 + 2 = 4 et du synthétique qui vient de nulle part (un synthèse, quoi) par exemple "le bonheur existe". Tout l'analytique est a priori bien sur: (enfin bien sur, pas pour tout le monde). Il déduit, il analyse, il descend à partir du connu a priori. Le synthétique, lui apporte de l'information, il "monte", il synthétise...
Notons ici que l'exemple 2+2=4 est particulièrement débile car polémique. Kant prenait l'exemple 12=5+7 pour illustrer le synthétique en ce que faire la somme (par exemple en comptant sur ses doigts) suppose utiliser l'intuition. Cette conception est bien sur le contraire du logicisme, qui identifie les deux termes, je dirais par définition...
Plus précisément, le synthétique est typique de l'utilisation de l'expérience, alors que l'analytique est linguistique. Le synthétique est naturellement a posteriori, et l'analytique naturellement a priori. L'analytique n'est JAMAIS a posteriori. Alors, le synthétique?
Kant donne lui même des exemples:
"tous les corps sont étendus". Typique de l'intuition pure de l'espace a priori, qui permet d'affirmer la présence des objets dans l'espace. Nul besoin d'expérimenter quoique ce soit, cela est, on en est sur.
"tous les corps sont pesants". Typique du synthétique: il s'agit d'une affirmation théorique basée sur l'expérience, avec une généralisation.
La question est donc posée, mais pour y répondre, et c'est l'objet de la critique de la raison pure, on doit travailler. Allez Kador, chausse tes lunettes.
Le vocabulaire
Les données de départ sont la sensation et la pensée, dans lesquelles on trouve respectivement les intuitions et les concepts. On regarde le transcendantal, on a donc une "esthétique transcendentale" et une "logique transcendentale".
Naturellement et pour être bien sur que les points sont sur les "i", le caractère transcendantal (et non pas empirique ou intellectuel) de tout cela est réaffirmé en caractérisant l'intuition et la pensée en question comme "pures".
Par opposition, l'intuition empirique a pour objets les "phénomènes", tandis que les concepts à priori sont les "catégories". Les catégories sont quatre: qualité, quantité, relation et modalité.
Analytique et Synthétique
L'esthétique transcendantale consacre l'espace et le temps comme des supra réalités, formes de l'intuition pure, conditions de la perception des phénomènes. Ce sont eux qui sont responsables et origines des jugements synthétiques a priori, ceux qui sont d'autant plus importants qu'ils sont ceux que le positivisme logique a voulu faire disparaitre. Car pour Kant, les mathématiques sont synthétiques a priori, cela à rebours de la logique, purement analytique. Mieux: l'analytique se définit par l'application du logique: "tous les hommes sont mortels...".
Alors que le synthétique est créatif: 2 + 2 = 4 est une révélation, une création, une innovation! On est loin de l'absence de sens de l'égalité entre deux références et de l'affirmation logiciste que les seules vérités non démontrables de l'arithmétique sont les axiomes: on n'avait pas anticipé Gödel (3).
Pour Poincaré, le raisonnement par récurrence est synthétique a priori, par exemple: il était possible d'anticiper, justement. En gros, Gödel démarque maths et logique, analytique et synthétique, et donne raison à Kant.
Pour Kant, donc, l'arithmétique est basée sur l'intuition pure du temps, et la géométrie sur l'intuition pure de l'espace. Les mathématiques sont le synthétique a priori, conception que le programme logiciste de Frege veut réfuter en en démontrant l'analycité. Après l'échec de Frege, Brouwer se réclame de Kant et de sa succession temporelle des entiers, intuition pure.
Dans "Recherche sur l'évidence des principes de la théologie naturelle et de la morale" Kant dénonce l'identité construite par Wolf sur la base de l'indiscernable...
Les concepts
On lit (4). Kant opère la déduction transcendantale des catégories, concepts purs de l'entendement, trouvés à partir des fonctions de l'entendement. Qu'est ce que l'entendement ? Et bien ce qui met en oeuvre la faculté de juger urteilkraft, les actes de l'entendement sont les jugements urteil. Les fonctions sont à trouver et s'identifient à la mise en oeuvre des catégories.
C'est ainsi qu'on synthétise, en formant et combinant des concepts, et en subsumant des individus sous les concepts.
Alors se manifeste le tour de magie: l'intuition fondamentale de l'espace et du temps s'identifie à l'intuition pure de l'application des concepts. Ce qui explique le mystère de la correspondance entre des concepts à priori et des objets extérieurs: les fameux schémas d'application.
Quine
Oui mais il y a Quine...
Quine refuse, de manière notoire et célèbre, la différence analytique/synthétique, en la rendant équivalente à la distinction entre synonymes (non marié = célibataire)... C'est aussi la question du calcul: est il analytique ou synthétique? Quine considère la différence comme floue, et la démarcation douteuse. Néanmoins cela se situe dans le cadre de la dénonciation de l'empirisme logique, Girard s'y livrant aussi, il faut le dire, et on le redira.
Il ne faut pas trop se formaliser de la critique de Quine: elle a pour objet surtout de dézinguer l'analytique positiviste. Et puis Quine est aussi un naturaliste, un behaviouriste.
ET puis Schlick
Le positivisme logique et le cercle de Vienne et Schlick acharné contre la métaphysique refuse aussi le synthétique a priori, il n'y a que l'analytique d'a priori. Et c'est Carnap et l'identification entre énoncé significatif synthétique et réalité observable, état des choses concevable. Un énoncé a une signification si il a des conditions de "vérification", de capacité à être rendu vrai.
Même si elle fut amendée (en fait affaiblie, c'est la question de la réfutabilitéà par Popper, Quine et les autres cette position a pour objet de tuer la vieille métaphysique, c'était bien le programme.
Et puis les post kantiens
Le pont aux ânes de l'anti kantisme (on passera sur Onfray obsédé par cette histoire de dénonciation à la Gestapo) est bien sur que la relativité et le quantique on détruit les fameuses intuitions sur l'espace et le temps et sur tout le reste d'ailleurs, et que donc Kant n'est au mieux qu'un philosophe expliquant Newton du point de vue historique: un relativiste en quelque sorte, et de la science de son temps. Un prétentieux dépassé.
On fera remarquer pourtant que la structure de ses explications est remarquablement explicite et honnête. Son objet G (la chose en soi) est bien circonscrite, et surtout il a raison: quoiqu'on en dise, les intuitions relativistes ou quantiques n'existent aucunement et nous restons des singes dont le cerveau et les intuitions fondamentales, forgés dans un monde 3D euclidien et temporellement orienté normalement a bien les intuitions pures dont parle Kant.
Avec en plus la capacité de modéliser dans ce cadre là des entités "réelles" adaptées à d'autres contextes. Les graphes ce concepts utilisés restent dans l'espace et le temps traditionnel et c'est cela qui compte.
Cette position, très post kantienne, suppose bien qu'on peut continuer à considérer une métaphysique extérieure au monde comme on a toujours dit, et pleine d'objets très utiles. Vive la philosophie ! Vive Kant !
(1) http://www.danielmartin.eu/Philo/Transcendantal.pdf
(2) https://www.les-philosophes.fr/kant-critique-de-la-raison-pure/Page-10.html
(3) https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00014609/document
(4) https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2004-4-page-485.htm