Il faut tenter de comprendre ce qu'est la Trinité, qui reste l'invention géniale qui façonna l'Occident. Occident avec un grand O, l'ensemble culturel géographique né des prédications chrétiennes sur les ruines, qu'il provoqua d'ailleurs, de l'empire Romain.
Il ne s'agit pas bien sur de prêcher une signification profonde quelconque qui serait issue de quelque chose qui est intrinsèquement et structurellement contradictoire et largement absurde, voire totalement incompréhensible, voire impensable. Pourtant ça l'est, car ce le fut, et il faut bien en rendre compte, au moins par un petit esprit comme le mien.
Le dogme en question est bien sur primordial, il tente (et y réussit au moins pendant une période de temps assez longue) de définir et Dieu et la religion dite chrétienne, car construite sur un personnage historique divinisé de manière extraordinairement particulière, c'est l'enjeu du truc que de le décrire en détails.
La première chose à dire toutefois est que la description en question ne peut être faite qu'après coup, sur la base de l'une de celles disponibles au préalable et il y en a, c'est bien le problème, plusieurs.
Plusieurs avant, et après l'élaboration du dogme unitaire, d'ailleurs partagé par les protestants... Car bien sur il y a LES fois, celles dont le théologien pourrait ou devrait rendre compte, à moins qu'il ne s'adapte à d'autres plus anciennes qu'il souhaiterait remettre en vigueur, ou à de nouvelles qu'il voudrait imposer pour faire avancer le schmilblick. Car il faut bien le dire, la façade est complexe et les guides qui la font visiter improvisent un peu devant des touristes qui ne jouissent en fait que du simple bonheur d'être là: ce qui la fait tenir n'est pas apparent, c'est le moins qu'on puisse dire.
Naturellement, la notion de "mystère" est la clé du dogme, qui se contente de verrouiller avec un ramassis de conceptions subtiles issu de toutes les synthèses possible de centaines d'années de controverses. Toutes les issues ont été identifiées, les pièges et les voies dangereuses explorées, les solutions trop faciles écartées etc.
Le résultat est bien sur, aujourd'hui comme hier, le "hier" datant du siècle d'avant le précédent, un grand contentement de soi de la part de l'apôtre qui vous rit au nez: comment? Ce beau mystère ne vous convient pas ? C'est pourtant simple : 1 = 3. Capito ?
Il faut bien comprendre que cette manière de voir là a été pensée en tant que telle: la trinité comme incohérence logique a pour vocation a être une non-pensée explicite pour la foi chrétienne. C'est comme ça que s'en sortent les horribles faux culs ultimes que l'on essaye de coincer. Ils n'en continuent pas moins à philosopher la chose et à la polir dans toute sa complexité "signifiante", la foi étant entretenue dans ce qu'elle est, antérieure à la parole, mais pensée et vécue dans la parole et donc porteuse intérieurement et extérieurement de paroles diverses.
C'est cet équilibre là qui fait vivre la trinité, mais il faut aussi comprendre qu'il est sous contraintes, la description de celles ci étant bien passionnante.
Pour en terminer, il faut savoir que le mystère n'est pas "biblique" mais construit par l'église et se trouve, bien subtilement considéré comme "expression" plutôt que comme "objet" de la foi, du moins pour les protestants. Tout ça pour dire qu'il y a bien cet aspect là de la chose, les églises et la logique étant en quelque sorte "dépassées" par ces formulations: comme si le peuple dans ses croyances bizarres s'imposait aux églises, à elle de trouver une formulation pour les bizarreries de ce qui "monte".
Bien sur le concept s'est construit dans le temps. Ainsi, on doit bien distinguer 3 périodes: les premiers temps, dont l'élaboration paulinienne, les grandes réflexions du deuxième et troisième siècle, et la stabilisation finale, encore en vigueur.
Les débuts
Au début, il n'y a de traces que d'après les premiers écrits, évangiles dit "synoptiques" (les 3 premiers) le quatrième (Jean) étant assez différent.
On ne trouve pas trace du concept en tant que tel, mais bien sur tout tourne déjà autour, on a tout le monde, "mon père", le fils "de l'homme", et le paraclet qui va prendre le relais après le départ. C'est sur cette base de concept toujours présent, toujours répété mais jamais explicité que va croitre cette foi non exprimée en un Dieu multiple qui néanmoins reste un. Cela jusqu'à la formalisation, la mise au clair si on peut dire.
En tout cas, dés l'origine, la question est posée: comment expliquer, concevoir, accepter, annoncer la relation qu'entretient l'homme Jésus dont on se réclame et la divinité ? Comment y clarifier la notion de "saint esprit", entité juive bien connue issue de Dieu. Bref, que l'on élabore là dessus est essentiel: comment parler de cette foi, tout à fait intense par ailleurs à l'époque, sinon?
Un aspect important, au sujet de l''Esprit Saint'. D'abord c'est un concept juif, la chose (...) agissant au nom de Dieu est la "rouah", le vent divin, ce qui souffle, qui inspire, qui fait bouger.
C'est le fameux Paraclet dont Jésus parle comme devant le remplacer après son départ. De fait, à cause de sa prétention à la divinité, il est AUSSI l'esprit du fils, l'esprit de Jésus lui même, donc.
L'élaboration
Au deuxième siècle tout explose: non seulement il y a les gnostiques et leurs élaborations plutôt olé olé, mais aussi des explorations de toutes les possibilités de combinaison entre les termes existants de la trinité, suivant les ontologies réalistes ou non des théoriciens variés. On finit par lancer le mot: "trinitas": c'est Tertullien mort en 220 qui s'y colle.
Car avant de parler de trinité, il faut bien parler de la nature de Jésus, humain sans nul doute mais aussi bien près de Dieu. Comment ?
L'adoptianisme
La première théorie est celle logique de l'adoption: un homme particulier, Jésus, est adopté par Dieu comme véhicule de la divinité suite à son supplice. L'adoptianisme nie la divinité particulière de Jésus, Dieu restant unique,non trine et libre de se manifester à travers un homme particulier. Issu des doctrines de Paul de Samosate (260), d'Antioche, cette idée fait des ravages.
Elle engendre l'Arianisme, d'Arius, encore un berbère, qui traverse la grande persécution de Dioclétien en 311. Il meurt de colique en 336, après le concile de Nicée qui le condamne. C'est le concile de Constantinople de 381 qui termine vraiment l'aventure. La foi officielle est le symbole de "Nicée Constantinople", c'est l'édit de Thessalonique de 380, signé Théodose.
Au passage le fameux "iota" dont il ne faut pas bouger c'est celui que rajoutent à tort les semi ariens en parlant de la substance du fils "semblable" (homo-i-ousios) à celle du père au lieu de l'identité des substances ("homo-ousios") imposée par les Nicéens.
On parle aussi de "subordinationisme", car le fils est inférieur en tout au père.
L'"unitarisme" en est l'appellation la plus générale, sachant que des unitariens sont apparus en Pologne et Lituanie au XVIème siècle, on doit mentionner Jean Sigismond de Transylvanie.
Le Modalisme
La seconde est celle du modalisme. Trinitaire cette doctrine ne conçoit les personnes que comme des masques, successifs d'une personne divine conçue comme strictement unitaire, en fait... Praxéas, Noët, Sabellius en sont.
C'est Sabellius qui modalise dans le temps avec une succession des rôles tenus par Dieu. Cette idée baroque et théatrale, toute entière conçue pour préserver l'unité divine fut condamnée, et sa condamnation (Rome 261) utilisée plus tard par les arianistes pour renforcer leur propres positions. Sabellius vécut à l'époque d'Héliogabale, en 218.
Praxéas fut l'ennemi de Tertullien (auteur de la célèbre phrase: "il (Praxéas) avait rendu un double service au diable en chassant le paraclet et crucifié le père".), et dénoncé pour son patripassianisme: Jésus ne pouvant être différent de Dieu, c'est donc Dieu lui même qui souffre sur la croix, c'est la passion du père...
Noët fut un ennemi d'Hyppolite de Rome qui le dénonça dans "contre Noetus". Pour lui, le père était le fils et réciproquement, le père était son propre fils, littéralement.
Voir http://francoiscarmignola.hautetfort.com/archive/2017/08/10/la-nature-du-christ-5970231.html.
Le Dogme
Le dogme courant est bien celui d'une substance divine unique partagée par les 3 personnes distinctes. Il affirme aussi, et soutient que la doctrine, même si elle n'était pas formalisée à l'origine est bien celle de la foi dite "des apôtres", celle des tous premiers chrétiens d'avant l'Eglise.
Il identifie aussi la trinité à l'Eglise elle même, l'organisation humaine nantie du pouvoir sacré de perpétuer l'action de l'Esprit Saint, force invisible qui continue l'oeuvre...
Puis après...
Bien sur, la suite, c'est à dire les différentes philosophies élaborées au cours de la suite de l'histoire, quand elles approchent les conceptions de Dieu et de son cher fils, ne sont que broderies autour des thèmes explorés à l'époque. Le modalisme est évidemment une piste de choix, voire, une autoroute...
Par exemple, Schleiermacher, Swedenborg et Hegel sont clairement modalistes, Hegel attribuant les modalités suivant les fonctions, l'esprit étant l'Eglise, Sch... parlant des trois aspects de Dieu. (à développer).
La nécessité de la trinité
Mais il n'y a pas que cela: l'aspect trinitaire du divin chrétien pourrait avoir une nécessité conceptuelle structurelle. Bien en phase avec notre époque, Charles Norman Bartlett (avec aussi William Shedd et John B. Champion ) en défend l'idée, de fait assez logique, la simple présence de Jésus au voisinage de la divinité impliquant forcément quelque chose de similaire à une collectivisation du concept divin. Mieux, cette collectivisation est indispensable à la personne conceptualisée de Dieu. Un argument, précisément, est que le Divin est nécessairement personnel (ne serait ce que pour rendre la prière possible), et que donc cette personne est forcément structurée comme en relation avec d'autres personnes à l'intérieur de son unité.
On a donc ici une description radicalement opposée à celle de l'unité solitaire d'un Dieu radicalement unique, et bien sur de tout modalisme, l'ontologie est bien "trine" et tente de la penser.
Est on là dans ce qu'on appellerait une théorie "analytique" de la religion?