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  • Girard, Jean Yves

    On trouve un article ancien (les années 2000) et aussi les vidéos associées, qui fleurent bon un passé désigné par un type d'ordinateur portable. 

    https://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/les_fondements_des_mathematiques.1021

     

    sérieux: http://recherche.ircam.fr/equipes/repmus/mamux/hermann.pdf

    Jean Yves Girard est sans doute, et cela est peu connu, l'équivalent actuel de Cantor ou de Gödel lui même. 

    Auteur de la logique "linéaire", il est l'homme de la compréhension la plus aboutie, à l'heure actuelle, de la nature de la logique et des mathématiques, rien que ça. 

    Né en 1947, c'est un soixante huitard typique dans le sens le plus fort du terme: incroyablement arrogant et fulgurant, il dénonce, approxime, accuse et plaisante avec toute la verve possible. Ses articles et vidéos de 2000 sont incroyablement puissantes, rapides et ... personnelles. 

    Que dit il  ? Et bien le comprendre c'est sans doute comprendre le monde plus qu'on n'a jamais pu le faire depuis l'antiquité, et les revues "secondaires" sont pleines des plaintes des semi intellectuels qui feraient mieux de finaliser cette compréhension. 

    La diagonale de Cantor

    D'abord le premier élément du basculement du monde: sa formalisation nous explose à la figure.

    Il y a un infini non dénombrable. Ca commence comme ça avec l'argument de Cantor (1891) prouvant la non dénombrabilité des parties de l'ensemble des entiers naturels. 

    Si les ensembles possibles d'entiers sont décrits par une matrice N(i,j) de 1 et de 0, suivant que l'entier i appartient à la partie de numéro j, et bien l'ensemble d'entiers défini par les entiers k tels que N(k,k) = 0, n'est pas répertorié. Cet ensemble est réel, non vide mais invisible. Où qu'il est ? 

    Une autre forme de l'argument consiste à mettre en bijection les entiers et les ensembles d'entiers (les parties d'entiers), puis définir l'ensemble D(iagonal) qui contient les entiers qui ne sont pas contenus dans leur image par la bijection. Et bien D n'est pas l'image par la bijection d'un entier et ce par définition. Ou qu'il est?  

    Cet argument, dit diagonal, extrêmement simple, est considéré, par exemple par Girard lui même, comme la même chose que tous les paradoxes diagonaux, Gödel compris, ce qui sonne le glas de l'impossible formalisation du monde. En effet, ils se présentent tous avec la structure du "point fixe paradoxal": une fonction f(x,y), une fonction g(z), et à partir de là l'expression h(x) = g(f(x,x)) plus l'exhibition d'un a tel que h(x) = f(x,a). On a alors h(a) = g(f(a,a)) = f(a,a).  Ce point fixe est dans pas mal de cas similaires, paradoxal.

    Par exemple, dans le cas de Cantor, f(x,y) est la matrice N, et g est la fonction qui échange 0 et 1. h va définir la fameuse partie invisible de numéro a, dont les éléments sont les entiers x tels h(x) = f(x,a). Comme h(a)=f(a,a)=g(f(a,a)) et que g n'a PAS de point fixe, cette partie invisible ne peut pas exister. 

    Le "monstre" de Gödel est construit exactement de cette manière. Juste un point au sujet du monstre: il est défini par un encodage, qui suppose des manipulations à base de "lemme du chinois" qui impose, pour identifier des suites de termes de longueur arbitraire, qu'on ait la multiplication: c'est pour cela que l'arithmétique de Pressburger, sans elle, est décidable, elle. 

    Notons que le paradoxe de Jules Richard (1905, c'est un français) qui parle du plus petit entier non définissable en moins de douze mots, conduit directement au monstre et en est l'équivalent strict. 

    Löwenheim Skolem 

    La question de l'existence démontrée par Löwenheim et Skolem d'un modèle dénombrable pour toute théorie du premier ordre pose alors le problème de l'argument diagonal qui prouve la non dénombrabilité. Et bien cette preuve est une illusion, la chose non dénombrable construit par diagonale n'étant pas un objet du modèle dénombrable prouvé par L.S.

    Plus exactement, l'interprétation exacte étant difficile et piégeuse, l'ensemble des parties de N n'a pas la même extension dans tous les modèles de ZF, alors que c'est le cas de N lui même... 

    Ainsi il est faux de dire que dans certains modèles de ZF, tous les ensembles infinis sont dénombrables ! En gros, le théorème de Cantor est bien absolu. Ouf. 

     

    Le vrai, le faux et le prouvable

     Mis à part la construction du monstre, c'est la dernière partie de la démonstration du théorème de Gödel qui est rigolote. Le monstre est un énoncé qui dit "moi, énoncé, je ne suis pas prouvable". 

    On ne sait pas si cet énoncé est vrai, mais on peut le démontrer facilement. Si il était démontrable (prouvable), il serait, comme énoncé, "vrai", ceci car la théorie est cohérente, donc non contradictoire, c'est à dire que tout ce qu'on y démontre est vrai. Si il était vrai, le fait qu'il n'est pas démontrable serait vrai, or on a supposé le contraire. L'hypothèse est donc fausse, et il n'est pas démontrable, c'est à dire que ce qu'il énonce est vrai. Un énoncé dont le contenu est vrai est vrai, il est donc "vrai". 

    Ce petit jeu qui produit le vrai par une démonstration qui joue sur le vrai et le prouvable est en soi une pure merveille autonome. Le vrai surgit du néant, littéralement. 

    Le théorème de Gödel: irréfragable

    Le premier théorème de Gödel montre qu'il existe (au moins une) vérité non démontrable dans tout système formel assez expressif. Le second théorème reformule le premier en affirmant qu'une théorie assez expressive cohérente ne peut démontrer sa propre cohérence (cohérent=non contradictoire="consistant"). 

    Plus exactement, le premier théorème est une réflexion sur la contemplation d'une proposition monstrueuse de l'arithmétique obtenue après force codage, et qui se trouve ainsi vraie. Cette proposition affirme qu'elle n'est pas démontrable. L'arithmétique étant cohérente, on a donc le vrai monstre: vrai mais pas démontrable.  

    Les deux concepts fondamentaux de la pensée humaine, vérité et démontrabilité ne s'identifient pas. Boum. 

    Girard fait remarquer que Gödel est absolument irréfragable: si il était réfuté, alors que les preuves mathématiques de sa véracité existent (on l'a vérifié par ordinateur), les mathématiques seraient alors contradictoires (il y aurait un théorème démontré qui serait faux), et donc le théorème de Gödel serait vrai, ex falso quodlibet (du contradictoire on déduit ce qu'on veut). Irréfragable, c'est le mot. Pardon de méditer encore une telle merveille, mais il faut bien réaliser la beauté de la chose: il est d'autant plus vrai que sa réfutation implique sa vérité ! 

    Un mot au sujet du DEUXIEME théorème de Gödel. Il est basé sur l'ENCODAGE du raisonnement ayant mené au premier. Le premier affirme donc que toute théorie cohérente T contient des énoncés non décidables. Cette affirmation encodée DANS T, signifie donc que T contient l'implication (Cohérence => G ).

    Et là champagne ! Comme G n'est pas prouvable (premier théorème), la cohérence de T ne l'est pas non plus: une théorie ne peut contenir de preuve de sa cohérence, Hilbert est réfuté... 

    L'isomorphisme de Curry Howard

    La grande découverte du XXème siècle c'est aussi cette mystérieuse correspondance qui relie la logique et le calcul. Une interprétation de la logique même, celle qui préside à la véracité des constructions du langage qui s'identifie à l'application des fonctions à leurs arguments, comme le font tous les jours les braves ordinateurs.

    Le raisonnement c'est donc le calcul, tout simplement. 

    Si on y a va dans le détail, un type c'est une proposition, et une valeur typée une preuve du type, c'est à dire une preuve existentielle  que dans un cas la proposition est vraie. Un type de fonction d'un type vers un autre est un raisonnement de la déduction d'une proposition par une autre, et une fonction de ce type est une preuve de ce raisonnement, l'application de la fonction étant la règle de coupure, le "calcul" consistant à éliminer ces coupures. 

    Girard et tout le monde, maintenant, construisent leurs logiques sur la base de cette identification, cherchant, au delà des intuitionnismes à penser la logique nue d'une façon qui rompt tout à fait avec les idéologies variées du début du XXème siècle. C'est là que Girard se lance dans ses articles dans des dénonciations variées qui font justice aussi bien des ultra formels des débuts que des bouddhistes de la fin. 

    Girard philosophe

    Girard prononce alors toute une série de fatwas, dénonçant aussi bien l'essentialisme (contre l'existentialisme), et le popperisme (c'est là où il est le plus virulent). 

    Au sujet de Popper, j'avoue être perturbé: faut il choisir entre papa et maman ? Je crois en fait que les propositions "popperriennes" (récessives, ou généralisations (AxB)) s'opposant aux propositions expansives (ExB), et identifiant la vérité à l'attente indéfinie d'un bus, identifiant le faux à l'inexistence, sont en fait des métaphores d'après diner, faites pour distraire, et que hélas Girard n'est pas philosophe. 

    Car Popper ne prendrait pas en compte le caractère irréfragable du théorème de Gödel, qui se trouvant donc non falsifiable, serait donc non scientifique d'après Popper. Il est clair là que maman se moque de papa et qu'on est bien dans l'irrévérencieux, rien de plus. Ouf: Popper n'applique pas la falsifiabilté aux axiomes d'une théorie formelle, et le déductif n'a pas à être falsifié, quoique,  et c'est la question. 

    Et puis, là où Girard est particulièrement injuste, c'est qu'on ne peut que qualifier de "scientifique" le programme de Hilbert lui même !  Il pose des conjectures dans le domaine mathématique, et celles ci se trouvent réfutées, les unes après les autres. Le théorème de Gödel et son irréfragabilité est bien un élément de preuve, absolument distinct et asymétrique de la prétention à la super cohérence, parfaitement scientifique, mais ... fausse, parce que falsifiée.

    Deux remarques en passant: il me semble que le mot "falsification" a un coté bien trop "filosof" pour ne pas être à la base d'une "philosophie" des sciences, ah le jeu de mot signifiant ! Voilà que je fais mon heildeguerre... La deuxième remarque est que mot "endlösung" (solution finale) était utilisé par Hilbert... 

     

    Les différents problèmes

    Il y a deux sortes de problèmes, les Pi1 et les Sigma1. Pi1 c'est ce sont les généralisations (AxB) et Sigma1 se sont les exemples (ExB), comme on a dit, Girard parle des récessifs et des expansifs. 
    L'énoncé de Gödel est typiquement une généralisation (il n'existe pas de démonstration qui me prouve). 

    Notons qu'un exemple est en principe semi-décidable: en essayant toutes les combinaisons de variables, on peut chercher à rendre l'exemple vrai,(à condition bien sur que la formule soit décidable en temps fini, bien sur, ce qui est le cas quand elle ne contient que des quantificateurs bornés). Il faut bien comprendre la chose: le "il existe" affirme, mais sans montrer. Pour s'en convaincre absolument, pour décider "finalement", il faut donc trouver UN exemple, on dit qu'il "suffit" de le trouver, puisque la décision se réduira à un seul évènement, obtenu en essayant tour à tour toutes les combinaisons, et en appliquant les tables de vérités à l'application des fonctions propositionnelles. En principe cette démarche "peut" marcher: au bout d'un certain temps, nécessairement fini, on peut, au moins en principe trouver un exemple qui marche. Ce n'est que SI l'affirmation est fausse que cet heureux évènement ne se produira jamais. Mais pour en être sur, il faudra attendre infiniment, ce qui est là, absolument hors de portée.

    Notons qu'on considère évidemment les "B" comme ne contenant eux mêmes que des quantificateurs bornés, (Ex<p, Ax<q), pour ne pas partir à l'infini immédiatement. Par contre, il y a bien asymétrie entre les deux types d'énoncés: la généralisation n'est PAS prouvable elle par simple vérification. 

     Gentzen et la déduction naturelle

    (en lisant http://baptiste.meles.free.fr/site/B.Meles-Logique_lineaire.pdf)

    Gerhard Gentzen (GG), ex assistant de Hilbert, inventa la "déduction naturelle", une classification nécessaire des règles de déduction exprimée proprement sous forme de "séquents". 

    Un séquent, atome de la démonstration est de la forme :  A , B   |-  C 

    Il est très précisément l'équivalent d'une sorte d'implication: nonA ou nonB ou C

    Plus précisément encore, il est affirmation d'une vérité décomposée en disjonctions.

    Bien sur et le "bien" sur a deux titres, on a bien les lois de morgan et la logique de base que chacun connait, bien sur. Simplement cette logique là, elle est celle de la "métamathématique", celle du raisonneur lambda de haut niveau. Bien sur formée suivant les principes habituels, mais aussi, "bien sur", applicable uniquement au sommet de la pyramide, et servant à raisonner sur les autres logiques, celles qu'on va pouvoir inventer et dont on exprimera ainsi la cohérence. 

    A, B, ou C sont des expressions quelconques, quantifiées ou non dont on affirme la vérité. Un séquent exprime une implication élémentaire, prouvant une expression vraie sous certaines hypothèses. En fait il ne s'agit pas d'une implication au sens logique mais d'un "modus ponens", le deuxième sens de la chose, bien plus riche: c'est Gentzen qui le matérialisa: au cas où X serait considéré comme vrai, ben Y le sera aussi, tiens. Ecrire le séquent signifie en fait qu'on a une preuve de ce qu'il énonce. 

    La déduction "naturelle" sous sa forme la plus générale consiste à dessiner des arbres avec de belles lignes horizontales désignant la production possible d'un séquent ou preuve à partir de plusieurs autres. Chaque arbre est une "règle", atome d'un système de déduction. 

    Un séquent en lui même est donc une preuve de quelque chose, et la "déduction" consiste à expliquer comment on l'obtient à partir d'autres preuves. La déduction n'est pas un simple modus ponens ou  un raisonnement basique (nonA ou B, écrit  A |- B), mais une "déduction" de cette preuve à partir d'autres preuves. On a donc une machine permettant d'obtenir toutes les preuves possible d'un système. 

    Revenons sur la granule, le séquent, la preuve élementaire. Il n'est pas la simple assertion de quelque chose qui serait "vrai", il est l'affirmation que quelque chose est prouvé, et que ce quelque chose est intelligible, car décomposé sur un monde, doté de signification. Bon, ça fait rêver, quoi. 

    Notons ce qui caractérise la déduction dite "naturelle" inventée par GG: il y a toujours UNE SEULE conclusion. Le système se compose donc de règles avec UN seul axiome, qui est  la règle sans prémisses:

    ____________

       X, A  |-   A 

    Ainsi, il est "licite" de se débarrasser dans une preuve, des hypothèses supplémentaires. TOUT le reste sont des règles d'introduction 

    De manière systématique, on (GG en fait, qui prêta serment à Hitler en 39) a des règles d'introduction et d'élimination basiques pour chaque symbole logique, qui apparaissent comme autant d'opérations de bases dans la conduite des preuves.

     L'introduction du "v" (le "ou") par exemple, s'écrit: 

           X   |-   A 

    ______________

       X   |-   A ou B 

     

    L'élimination droite du ET : 

       X   |-   A et B 

    _______________

          X   |-   A 

    On a encore 2 ou 3 règles générales de ce type pour finir de décrire la "déduction naturelle". Ce qui permet de décrire absolument une démonstration comme un arbre d'application de règles.

    GG est un génie: il invente une représentation du raisonnement qui rend complètement mécanisable, par exploration d'un arbre de preuves, les raisonnements logiques en général. La porte de la démonstration automatique, devant vos yeux ébahis, vient d'être ouverte. 

    Hélas, la symétrie du système est cassée par la règle du tiers exclus, la négation ne pouvant être proprement éliminée et introduite. Cette question du statut spécial de la négation qui occupa beaucoup GG, demande à être comprise, et je n'en suis pas encore là. Et vous ?

    Simplement, les "preuves" ne s'expriment pas de manière symétriques (il n'y a qu'une seule conclusion). En étendant la notion de séquent: (Ai |- Bi), le système est rendu complètement symétrique, les et et les ou se trouvant complètement équivalents, la négation servant de passage d'une formule à l'autre, le shéma étant bien sur celui des fameuses lois de Morgan. Le calcul des séquents représente proprement le raisonnement automatique.

    Cependant, la distinction logique classique/logique intuitioniste reste, le refus du tiers exclus, propre à l'intuitionnisme, cassant cette belle symétrie.

    Tout ça pour dire que la logique linéaire de Girard (mot vide de sens pour moi jusqu'à aujourd'hui), a pour objet de compléter le travail de GG et de refonder la logique autrement, tout simplement.

    De nouveaux opérateurs (x, &), une nouvelle implication (--o), qui serait capable, selon Girard sans les épicycles de ptolémée, de rendre compte de toutes les formes de logiques variées qu'on a pu inventer entre temps. Du diable si je comprends les détails. Encore des trucs à lire.

     

    Encore, Encore

    Une conférence plus récente est en https://www.youtube.com/watch?v=Nc3pgZxU-Cg 

    Le portable est un Apple, bien plus moderne. Encore plus sarcastique et drôle: il veut tuer le réalisme et n'est ni objectiviste, ni subjectiviste et il cite: le sens c'est l'usage (Wittgenstein), la négation c'est le format (Hégel), il est existentialiste et non pas réaliste ou essentialiste et surtout: il n'y a pas de preuve que "non". 

     

    Un article sur l'état présent de la logique, avec l'introduction des 3 mondes, la logique linéaire étant au niveau 3 (bien sur) est bien sur un must.  http://iml.univ-mrs.fr/~girard/roma2004.pdf

    On y trouve une critique de la logique de Guantanamo: un sujet est un objet qu'on n'a pas torturé suffisamment.

     

  • Les sociologies

    Avec Raymond Boudon j'avoue avoir toujours été: son ton, sa clarté, sa bonhomie avant sa disparition après des vidéos en bonnet m'on toujours séduit. Il est pourtant porteur d'une sacrée ambition: expliquer en général les comportements des hommes en société. Mazette.

    Il y a sur la question des avis multiples mais une ambition qui date d'Auguste Compte: il s'agit de la sociologie, et mieux de la possibilité d'une théorie générale des objets sociaux, sil il y en a.

    La sociologie

    Pour définir cette discipline, il faut se référer à la physique, reine des vraies sciences, mais dont le domaine est différent et dont le contenu est différent. Qu'est ce qu'une explication ? Qu'est ce qu'une théorie scientifique ? Qu'est ce qu'une science ? Qu'est ce que LA science ? A partir de la remarque que les faits sociaux, même si en principe réductible à des mouvements moléculaires, doivent être décrit "à un autre niveau", on distingue deux sortes de réponses:

    - il existe des forces sociales globales à déterminer qui agissent sur les volontés

    - il n'existe que des aggrégats de décisions individuelles fondées sur des raisons qu'il faut déterminer

    Entre "holisme" et "individualisme" il faut choisir. Freud, Marx, Foucault, Bourdieu d'un coté, Weber, Boudon de l'autre. Sans parler des américains Pearsons puis Merton, et aussi Coleman l'homme de la théorie des choix rationnels.

    Merton est une référence fondamentale: il décrivit les "prophéties auto réalisatrices" et la "serendipité", et fut le père de Merton l'économiste, nobel avec le Scholes de l'équation de Black et Scholes, responsable du crash de 2008. Avec Coleman, quoique lui, porteur de la théorie des choix rationnels, ils sont des "individualistes", tout comme le véritable inventeur de cette sociologie là, Max Weber. Weber avait pour objectif de "comprendre" et l'objet du débat est l'immortel "Verstehen" weberien, qui veut faire de la sociologie une science au sens de connaissance du réel dans un domaine, il faut bien le dire ou l'obscurité rêgne.

    Becker est un utilitariste moderne, mais c'est une sociologue rationnel. 

    L'explication

    Qu'est ce qu'une explication? Et bien Boudon la définit assez bien par ce qu'elle n'est pas en sociologie, matérielle. Par définition, l'explication est basée sur des intentions, des discours, bref de l'immatériel. Par contre, il ne s'agit pas de forces extérieures, mais de manifestations humaines exprimées. L'explication doit alors être formée, c'est sa définition en 3 points, de considérations acceptables portant sur des actions humaines individuelles, et aussi rationnelles.

    Quelles sont les explications ? Et bien il y a en a de célèbres celles des grands hommes Tocqueville, Weber, Durkheim inventeurs du domaine.

    Les aristocrates anglais restent sur leurs terres et innovent, tandis qu'à la cour, leur pendants français célèbrent le culte de la raison. Cela explique les différences de richesses entre ces pays et la révolution... Ca c'est Tocqueville.

    Weber explique le polythéisme des paysans (pagan) soumis à la météorologie tandis que les fonctionnaires romains et les officiers se convertissent aux cultes de Mithra et du christianisme, à l'image des hiérarchies spirituelles et matérielles qui leur conviennent.

    Contre Levy Bruhl ou Needham, Durkheim refuse le déterminisme des "cultures" et affirme au contraire le choix rationnel de théories qui diffèrent entre et dans les cultures, leurs stabilités s'expliquant par la tendance rationnelle à minimiser les contradictions en agissant cognitivement sur les aspects secondaires.  

    68 fut il une révolution ou une manifestation brutale de tendances de long terme déjà bien engagées et commune à tout le monde occidental ? Weber avait décrit la tendance à la rationalisation diffuse des sociétés, au détriment de la sempiternelle "crise des valeurs" au moins aussi ancienne.  

    On peut aussi parler de Smith, qui explique les salaires du bourreau et du médecin, élevés pour des raisons opposées (la compétence et le respect) et aussi du soldat et du mineur (inversés car le soldat se paye en gloire).   

    On peut aussi parler de l'explication de la chute de l'URSS, causée par son incapacité à répondre au bouclier anti missiles de Reagan, son pouvoir tenant justement à sa capacité de s'opposer militairement à son adversaire... 

    La rationalité

    Qui dit science dit rationalité est on va commencer fort, car la rationalité c'est celle de l'acteur le fameux individu "home sociologicus", mais aussi (et surtout ) celle du sociologue lui même, voire la rationalité elle même, dont la définition porte une ombre...

    Qu'est ce que le rationnel ?

    D'abord, et c'est le credo des individualistes, le rationnel n'est PAS réduit à l'instrumental (capacité de faire correspondre une action à un but) et doit inclure, c'est la condition pour rendre la sociologie scientifique, le rationnel "cognitif", quand l'action est justifiée par des considérations théoriques valides ou non, mais acceptables, et le rationnel "axiologique", quand l'action est justifié par la considérations de valeurs, elle même exprimée par des jugements de valeurs compréhensibles faisant appel à une psychologie rationnelle et non à une psychologie des profondeurs.

    Le caractère scientifique, selon Boudon, porte donc sur des explications d'un contexte donné, excluant une théorie générale de tout le social. Il s'agit de répondre à une question, pas de décrire une partie identifiée du réel. On peut alors accéder à du scientifique poppérien en sociologie.

    Car le fond de l'affaire, c'est que les causes des actions des hommes sont les raisons qu'ils donnent de leurs actions. Nul besoin de forces occultes: la raison ordinaire, base de la rationalité des explications du monde. Ces principes, d'inspiration cognitiviste, sont valides dans les sciences humaines en sociologie et en économie, c'est le projet global. 

    Pour préciser les théories de Boudon, on peut d'abord le lire. Il y a donc 3 rationalités: utilitariste, cognitive et axiologique suivant qu'on se soucie de ses intérêts privés ou que l'on suive des raisons objectives ou inspirées par des valeurs. Boudon n'est donc pas un utilitariste à proprement parler: il inclut toutes les rationalités de l'individu. 

    Il faut noter que la rationalité utilitariste est privée et ne correspond qu'à la description de l'individu égoïste, alors que bien sur l'humain est aussi à la recherche de théories et de valeurs partagées publiquement. L'individualisme théorique est ainsi parfaitement "collectif" et donc respectable, les confrontations comme dominant ou dominé à des états de choses n'ayant aucune signification propre.  

    Car nous sommes là dans l'idéologique, et au plus haut point: tout ce à quoi tiennent les moralistes et sociologistes de tout poils, bref ce qu'on appelle le système de gauche, structurellement holiste, et manipulateur de la culture se trouve ici nié avec puissance et définitivement. Boudon se trouve donc un immense penseur libéral au vrai sens du terme.

    Au fait il faut rappeller la définition que Boudon donne de l'idéologie: une ensemble de descriptions prescriptives. Définir le rationnel en le décrivant et en règlementant son utiisation se trouve donc idéologique, non ?

    Oui mais alors

    Deux sujets prêtent à discussion. D'abord l'explication des sentiments nationaux et de leur permanence. On pourrait les décrire comme la stabilisation historique de modes de vies et d'intérêts collectifs bien compris exprimables individuellement, une sorte de rationalité axiologique du drapeau. Mais cela demanderait à être raffiné.

    Un autre point est la nature du religieux. Même si on peut expliquer la stabilisation ou l'évolution des croyances, le principe même de la pratique religieuse demanderait à être clarifié: homogène à l'humain lui même, et donc aussi important que le rationnel lui même ?

    Les deux question sont liées et l'appartenance social et morale, en général fait question... On s'arrêtera là.

  • Les Islams

    Il y a à propos de l'Islam, de ce qu'il est et n'est pas bien des discours et affirmations qui paraissent il faut le dire complètement contradictoires et incohérentes.

    Un conflit d'interprétation existe clairement par exemple, entre d'une part les les tenants du complot mondial islamiste et d'autre part ceux d'une religion en voie de sécularisation. Les durs et les doux s'accusent mutuellement et avancent des preuves.

    Pour les premiers, on a une vision essentiellement compacte des musulmans, universellement mus par la nécessité qui leur serait faite d'imposer au monde du fait de leur croyances, d'un mode d'organisation politique et social particulier. Ceux qui s'en départent ne sont pas musulmans et le tour est joué. On assimile donc le complot totalitaire et l'Islam, celui ci ne pouvant pas échapper à la qualification.

    Que sont les religieux d'apparence modérée protestant de leur pacifiques intentions et de leur loyauté citoyenne ? Des menteurs, des victimes manipulées ?

    Et bien on pourrait juger sur pièces et voir ce qu'il en est des références théologiques ou idéologiques. Je me permettrais de ne pas me faire d'illusions, et de n'avoir aucune estime particulière pour une religion à quoi rien ne m'attache.

    La théorie classique

    Au delà de la différence La Mecque/Médine (un brave gars rêveur soumis à une veuve suivi d'un chef de razzia qui se transforme en chef de guerre conquérant ), Mahomet lui même doit pouvoir être considéré comme ses immédiats successeurs (les fameux 4, on dira donc 5, premiers califes): des chefs spirituels et militaires, qui ne réalisent pas vraiment qu'un empire se met en place.

    A ce point se produit la grande divergence, qui caractérise le coeur du problème actuel, celui du fondamentalisme: les 4 bien guidés, les "rashidun" et les "pieux prédecesseurs" (salaf) sont la seule référence. Après ce serait n'importe quoi: quinze cent ans de violences politiques liées à l'expansion et au maintien d'un empire totalitaire, qui s'achève en 1924 après une longue décadence par l'abolition du califat.

    A ce point, deux attitudes: d'une part l'origine pieuse est la référence, purement spirituelle et le reste étant histoire, on peut séparer religion et politique, et d'autre part, l'origine pieuse purement divine est la référence et on doit se consacrer à sa restauration qui identifie absolument, Dieu, son prophète et l'histoire.

    L'ambiguité de la "réforme" est précisément ce débat là: la réforme consiste à revenir aux origines, le problème étant que ces origines là sont diversement interprétées. Les variations dogmatiques étant de règle en Islam, il se trouve donc qu'il s'agit d'une religion à la fois unique et multiple et qui donc, en vertu du principe de non contradiction, n'existe pas. C'est mon point de vue.

    Un point de vue agressif de réaction est celui des durs cité plus haut: l'ambiguité ne peut profiter qu'aux durs (les autres) les doux ne pouvant qu'être violentés (comme nous). Il convient de rejeter absolument et explicitement les durs, quitte à ne pas croire les doux, des agneaux irresponsables. J'avoue être séduit par la chose, la réaction ultra laïque à une religion qui n'existe pas me paraissant être ce qu'il faut faire.

    L'histoire

    L'époque ancienne fut d'abord celle d'une longue décadence initiée après les premières défaites ottomanes de la fin du 17ème siècle: un empire encore redoutable, mais exclusivement autre, sans rayonnement culturel, exclusivement consacré à maintenir par la violence une religion autoritaire piétiste de fatalistes, au détriment d'explosions fanatiques variées qui se produisaient ici ou là. L'affaire grecque consacra le recul géographique définitif de la porte, préalable à son éviction de l'histoire un peu après.

    Ce n'est qu'à partir de la fin de l'effondrement de la puissance turque que des musulmans, principalement égyptiens, commencèrent à penser. Il faut dire que l'Egypte, à partir de Mehemet Ali en 1805 (il est du même age que Napoleon et réforma l'Egypte jusqu'en 1849), était quasi indépendante de la porte ou du moins suffisamment (le khédive ou vice roi faisant la liaison) pour libérer certaines pratiques. On doit parler du fameux Rifaa Al Tahtawi (le Rifaa de Guy Sorman), le réformateur egyptien par excellence, mort en 1873.

    Abdu, El Afghani et Rida

    Tout commence alors avec des intellectuels de l'Egypte de la toute fin du XIXème siècle.

    Mohamed Abduh et aussi l'afghan voyageur El Afghani. D'abord des réformistes politiques, ils sont musulmans sunnites, et s'efforcent de lever les barrières religieuses à la pensée de réformes sociales. Polygamie, corruption, prêt à intérêt, ils cherchent à déverrouiller la société égyptienne. Abduh participe à la révolte nationaliste d'Urabi Pacha, fut comme lui franc maçon et vécut exllé en France.

    Afghani polémique avec Renan qui était porteur d'une description pour le moins critique de la religion musulmane mais concède que la question de l'endormissement de la civilisation arabe reste posée.

    Il faut mentionner le Syrien Al-Kawakibi, un panarabe musulman hostile aux turcs, partisan démocrate d'un califat arabe basé à la Mecque.

    Qu'observe t on? Et bien que cette réaction est tout simplement "salafiste": la remarque est que du temps de pieux ancêtres, ça marchait et les arabes étaient maîtres du monde. Comme il ne le sont plus, il faut donc revenir au départ... C'est la remarque d'El Afghani lui même. La revue phare de ce réformisme là, Al Manar est clairement "réformiste" mais aussi en ce sens là, "salafiste", et... Elle le fonde.

    Le dernier des trois, Rashid Rida, a soutenu un rapprochement avec le wahhabisme qui s'installe en Arabie Saoudite peu avant sa mort en 35.

    Nous avons donc toute l'histoire: l'arabisme pour se réformer revient aux origines et fonde ce qui apparait aujourd'hui, comme particulièrement désolant: une pénultième tentative des arabes de redevenir puissants, en s'appuyant ce qui fut leur gloire, leur religion merveilleusement guerrière et dominante au 7ème siècle...  De cet ambitieux (mais il faut le dire, limité) mouvement réformateur, essentiellement nationaliste et je dirais plus utilitariste que spiritualiste, on doit retenir en Algérie l'association des Oulémas Algériens, auteur de la formule " L'islam est notre religion, l'arabe est notre langue et l'Algérie est notre pays". 

    Qualifié ici de "salafiste", ces réformateurs là le sont d'une manière qui diffère toutefois grandement des salafistes déclarés de nos banlieues un siècle après: ils voulurent des réformes modernistes de la société et à ce titre sont bien sur considérés comme des mécréants par les personnes déguisés (de voiles blancs) aux tournures étranges (pas de discours qui ne commence par vingt phrases de salamalecs complexes), c'est à dire les débiles profonds (pardon je me lâche) que l'on appelle aujourd'hui les "salafistes" qu'ils soient simplement débiles (la majorité) ou djihadistes (quelque uns, ceux qui tuent). Le même mot désigne des réalités différentes... Tout comme "Islam" d'ailleurs: la diversité règne, c'est le moins qu'on puisse dire.

    En tout cas, le thème règne: le retour aux 4(5) califes premiers est LA solution. De fait, TOUTE la propagande étiquetée "salafiste" depuis les frères musulmans jusqu'à l'Etat Islamique est mouillée dans cette réforme là aux divers degrés de leur fanatisme. La ligne des durs triomphe. De TOUS les durs.

    Partagés entre partisans déçus du renouveau arabe et fous fascistes d'une religion barbare, ce salafisme là doit être combattu en tant que tel sous toutes ses formes de la plus hypocrite à la plus violente. Tariq Ramadan, l'élégant hypocrite suisse est l'un d'eux. Tout simplement.

    Réforme, quelle réforme : Abderraziq ?

    Mais il faut mentionner aussi Ali Abderraziq: après 1925 (et donc la fin du califat) il théorise, lui, une séparation originale entre temporel et religieux et permet d'évoquer peut être autre chose: la radicale distinction entre politique et religion. Il pose la bonne question : " le prophète est il un roi" et théorise la contingence de l'association entre renouveau religieux et restauration d'un état provisoire originaire. La problématique vaut même pour toutes les regligions: "Dieu nous a donné un culte et nous croyons en une politique". Car les biens guidés et les pieux prédécesseurs n'étaient pas prophètes eux, simplement des militaires ou des hommes politiques: la séparation religion/politique serait donc là et le califat doit être sorti du religieux, les musulmans ayant le droit de se doter des institutions qu'ills veulent. Voilà sa thèse, qui, il faut le dire, rompt complètement avec ce que l'on sait et voit de l'Islam.
    Son oeuvre "L’Islam et les fondements du pouvoir" eut un retentissement considérable. Il fut évidemment violemment critiqué pour des raisons qu'on peut deviner. Il reste cependant très peu connu, et même si il reste une référence dans le monde intellectuel Arabe, il reste sulfureux et oh combien.


    Qu'en pense-t-on aujourd'hui? Tout d'abord demandons à un grand intellectuel Tariq Ramadan lui même, le petit fils du concurrent (Al Bana est un contemporain d'Abderraziq et fonda les frères en 1928). Toute l'ambiguité du bon frère se manifeste: Abderraziq a échoué et n'est pas(plus) lu dans le monde musulman, Ramadan se base sur des doctrines du X/XIII ème siècles qui ne confondent pas politique et religion (car bien sur il n'y a pas de problèmes), et il est en désaccord avec Abderraziq qu'il considère au demeurant comme musulman, bien que colonisé et en contact avec le colonisateur, porteur de ce que veut entendre l'occident. La pierre d'achoppement selon Ramadan est de plus qu'aucun savant musulman n'ait jamais élaboré les choses de cette manière. Un innovateur déconnant, donc.

    Or pourtant, il semble bien qu'il apporte des solutions à des vieux problèmes. Au passage l'étonnante contradiction portée par une idéologie qui simultanément promeut une religion finalisée par son fondateur, seul  auteur/transmetteur du livre sacré et qui en même temps accorde une importance démesurée à une horrible histoire de guerres entre ses successeurs. C'est le mérite d'Abderraziq de trancher la question: l'islam ne doit pas dépendre des califes qui succédèrent à Mahomet.

    La thèse est piquante et séduisante, mais ne pourrait on pas dire, au contraire que l'Islam est d'abord (et peut être seulement, c'est mon avis) cette lutte là? Le divers de cette religion est ainsi bien réel, et son désespéré appel à l'unité divine sonne comme le regret éternel de la diversité conflictuelle irréductible des hommes. La grande religion de paix n'est qu'un regret de ne pas l'être.

    La réalité est ainsi plutôt triste: le seul vrai réformateur, non pas de l'Islam, mais de la délétère attitude des musulmans face au politique n'est pas entendu, alors qu'il faudrait qu'il le soit. Dénigré bien que référence fondamentale, il reste cependant publié et honoré: tout n'est pas perdu donc, et vive l'Egypte!