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  • Les spiritualités

    Comme on était parti dans la conscience, de soi, des autres et du tout autre, continuons dans ce qu'on s'obstine soit à nier, soit à regretter, et qu'on doit bien appeler "spiritualité", au risque de passer pour un cul bénit,  un moine ou un sadduh, la plus haute expression de la spiritualité consistant pour beaucoup à vivre nu sur un tas d'ordure, et à se masturber en ricanant devant les passants dont on méprise la richesse, la sujétion à l'autorité et l'hygiène. 

    Le "spirituel" ou le "concernant l'esprit", le sien et les autres, le moindre de ceux qu'on peut trouver à l'extérieur de soi étant l'esprit divin, objet du truc mais pas seulement et c'est toute la question. 

    En (1) on s'intéressera à une spiritualité "islamique" pour accentuer l'étrangeté de la chose. On y trouvera, exprimée en termes assez concrets, le monde enchanté de l'introspection "spirituelle", la religion de l'obligation et du licite ne pouvant qu'encadrer avec rigueur l'examen de soi et de ses motivations qui caractérise tout voyage dans le genre, et qui met en oeuvre, bien sûr, la conscience de soi d'abord. 

    Il s'agit ici d'un maitre musulman, même pas soufi véritablement, car soufi "des premiers âges", mais condamné par l'islam et pour des raisons intéressantes. Il défendait l'Amour, essentiel à Dieu, et explique assez bien finalement (au moins pour moi) la mystérieuse proclamation "Dieu est Amour" que jamais personne n'était parvenu, (à part de niaises expressions sentimentales) à me faire conceptualiser. On est dans le néo platonicien, dans Plotin, et l'"Un" expression philosophique de la divinité hors de l'intelligible est ce qui permet à l'être d'exister. Seul l'"Amour" force de réunion essentielle (voir "les consciences", ici-même) peut rendre cela possible. Cela était mal vu de l'islam, et on interdisit cela, je dirais bien sûr. 

    Le maitre musulman en question évoqua aussi un autre concept, étranger à l'islam mais pas tout à fait: l'apocatastase, la merveilleuse conception, très discutée par les chrétiens, qui permettait au futur, après le jugement ou à sa place, à remettre les choses telles qu'à l'origine, effaçant morts péchés et drames, voir la chute elle-même. Elle permet d'affirmer l'universalité du salut, étendu à tous, absolument tous. 

    D'un point de vue islamique la chose permet de considérer le "feu" dont on menace tout le monde en permanence tout au long du Coran, d'acquérir un nouveau statut: loin d'être la malédiction éternelle du feu de l'Enfer, le feu devient une purification, une sorte de passage obligé, voire une sorte de baptême, l'apocatastase restaurant la paix après son passage. 

    Le concept vient d'Origène (qui eut le même maitre que Plotin) et fut violemment combattu, car abolissant la justice divine, et en particulier l'arbitraire de la damnation à priori, chère à toute une conception du monde... Mais c'est aussi une idée moderne, qui permet de sauver (malgré eux) les pauvres infidèles non baptisés et bien sûr nos frères (et remplaçants) les musulmans.  

    Et puis, il y a cette tout aussi splendide association entre amour et liberté, l'amour ne se commandant pas ne peut s'exprimer que dans la liberté. Cette association mal connue, pourtant évidente, érigée en grand principe par un sage musulman mort en 930 d'une manière aussi impérative est tout à fait enthousiasmante ! Le coeur ne peut être possédé, et donc l'amour EST liberté, la liberté suprême. 

    Cela serait en fait musulman, dans le sens où l'autoritarisme d'Allah ne s'étend pas à l'obligation de l'aimer, la pratique de l'Amour étant libre, l'homme est bien le "berger de son être" et c'est lui "qui voit" (qui décide librement), devenir un saint n'étant pas non plus obligatoire.

    Pour en rester à liberté, la question musulmane "ne suis-je pas votre Seigneur?" posée au début des temps s'adressait à l'intellect ET aussi au coeur, et laissa donc intacte la liberté. De quoi aggraver le cas du monsieur auprès des oulémas de la fermeture de l'ijtihad. 

    Ces réflexions théoriques mais motivant l'autonomie première de la personne et de sa conscience individuelle sont bien au centre de ce qu'on appelle "spiritualité" et valent l'expérience qu'on peut avoir de se les faire passer devant les yeux. 

    Pour cela un travail sur le "moi" est nécessaire, de manière à le rendre entièrement soumis au "coeur", pour permettre la réalisation du seul objectif, comme de juste: la vision béatifique de Dieu, bien sûr. 

    A ce propos, encore une saillie merveilleuse du sage: le nom d'Allah est conçu pour être terrifiant, c'est-à-dire comme seule source de la vraie crainte, rendant toutes les autres peurs dérisoires. Là encore, les malédictions coraniques prennent tous leurs sens et inversent leurs portées tout en renforçant le caractère "musulman" de l'appartenance spirituelle! C'est l'idée de la concentration en Allah de toutes les soumissions, de toutes les menaces, de toutes les obligations, de manière à libérer complètement l'humanité de celles-ci ! 

    Pour ce qui concerne la sainteté, les relations avec les autres humains ne sont que préfigurations de la relation suprême avec Dieu, qui ne peut idéalement que concerner le coeur désintéressé à l'exclusion du moi égoïste. Et là le sage classifie tous les actes selon leur pureté d'intention et leur degré d'attachement au moi et à la personne. De plus, ce rattachement au coeur de l'autre est toujours possible et le mal n'est qu'une mauvaise éducation du moi, et il convient de rendre  l'homme totalement libre de ses actes, soit libéré de son moi égoïste. On comprend alors la nécessité du travail sur soi du sage et du saint. Au point que le sage développa une véritable psychologie de l'agir et de la motivation...

    Hakim Al Tirmidhi fut l'auteur du livre des nuances, ou de l'impossibilité des synonymes... 

    (1) https://www.academia.edu/39147355/Ethique_et_spiritualit%C3%A9_en_islam_tirmidh%C3%AE_