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Les bouddhismes

Greco Buddhist Art Gandhara Civilization

On a lu l'entretien sur le bouddhisme entre Jean François Revel et son fils Matthieu Ricard, le lama tibétain... 

La doctrine

Cela donne l'occasion de réviser sa doctrine et de réaliser que le bouddhisme du monsieur ne croit pas en la métempsychose mais plutôt à une réincarnation du "flux de conscience" de l'individu, dont de toute façon, le "moi" n'existe pas, c'est le but bouddhique que de le réaliser pour son élévation personnelle. 

Par contre, le digne et prolixe lama, toujours dans la métaphore rigolote, croit vraiment que l'on a pu identifier les enfants dignes, après éducation appropriée, de devenir le successeur du maitre. Cette manie de la sélection de l'enfant ultra doué, qui désigne à deux ans les disciples préférés du vieux maitre (si si , je l'ai vu moi même) et donc se trouve en possession du flux de conscience à continuer de celui qui comme son propre prédécesseur avait atteint sinon le nirvana, du moins quelque chose d'approchant. 

Car il y a 3 vérités, celles qu'on éprouve personnellement, celle qu'on vous prouve logiquement et celle dont vous affirme, ll faut faire confiance, qu'elle est bien ce qu'on en dit. Admirateur forcené de quelques vieillards ultra-doués pour la communication non conflictuelle et dont on ne peut mettre la parole en doute, la confiance en la vérité du 3ème ordre transmise de lama en lama est chez le fils du philosophe article de foi et nous y sommes: il faut y croire, et donc on a bien une religion quoiqu'on en dise. Si on rajoute à cela toutes les hiérarchies des démons de l'Himalaya et Dieu sait s'il y en a plein, on a bien une religion du tiers monde, qui reste toutefois fascinante par son histoire et ses conclusions. 

A la base, on a cette volonté de réaliser la libération du "moi", conçu comme l'origine de toute souffrance, celle-ci généralisée à l'extrême étant d'abord l'absurde et permanente tempête cervicale des pensées, toutes donc mauvaises, causes et effets des souffrances, de toutes les souffrances. 

Le deuxième élément de la doctrine est le caractère réel et universel de cette souffrance, liée à la réalité du monde le "samsara" cycle de la reproduction des renaissances, et donc de cette chose qu'il s'agit d'abolir, le "moi", ou plus exactement, il s'agit d'interrompre le flux de conscience impie qui le constitue artificiellement et inutilement.

Cette contradiction manifeste, que le monde crée bizarre puisse être aboli par la simple considération qu'en fait il n'existe pas, se manifeste d'ailleurs aussi par ces traditions étranges, de boddhistavas qui reculent leur entrée au nirvana pour pouvoir continuer à enseigner aux autres comment y accéder. Merveilleuse suspension du paradis et explication de la fascination et de l'admiration pour ces personnages énigmatiques, retenus dans notre monde par leur générosité...

On a remarqué la persistance de cette notion "expérimentale" de la conception, le but étant d'accéder à un état de connaissance, ou de conscience, seule chose qui matérialise vraiment la connaissance. Car la connaissance bouddhique est d'abord un "ETAT" de connaitre. 

Connaissance pratique

Objectivée en occident par des idées et donc par des réalités, qui même si on s'interroge sur la forme de leur transmissions ne cessent pas de vouloir exister en elle même et donc d'être visibles, ou descriptibles, la connaissance ici n'est QUE pratique, état du sujet qui par ailleurs, délicieuse conception, n'existe pas et il s'agit de le comprendre. 

Le monde du moi inexistant veut ainsi d'abord être un super moi, un homme supérieur qui n'est pas un Dieu, juste un homme enfin débarrassé de son moi, gage de la supériorité de son infini orgueil (je dérape, pour moi les bouddhistes adorent une sorte de démon). Inutile de dire que l'aporie est à la base des escroqueries à la maitrise spirituelle, le maitre Gurdjieff (à qui Revel fit d'ailleurs allégeance dans les années cinquante) dépouillant de leur argent pour leur bien ses victimes apprenantes. 

Reste que la connaissance bouddhique est caractérisée par une approche personnelle de son accès: elle est absence d'ignorance, qui se doit d'être travaillée personnellement, seul l'homme doté des qualités acquises par un travail prolongé pouvant y accéder. L'appréhension de la vérité ne peut être qu'être qu'expérience, et non compréhension analytique. On trouve là tous les talents dévoyés à l'acquisition de ceintures en UFC, talents travaillés dans le bushido dont l'objet était différent, mais tant qu'à faire... La prière est ainsi une technique comme une autre, un moyen de purifier ses pensées, ce qui est une manière de former ses mérites et donc sa progression.

On connait l'histoire des noms de Dieu, où venant de livrer et d'installer un ordinateur à un monastère tibétain, des informaticiens en train de descendre du monastère voient les étoiles qui s'éteignent une à une : la prière avec moulins, qui choque tant les occidentaux est en fait un moyen de transformer le monde entier en célébration, en machine d'éveil qui répète en permanence l'injonction de l'éveil et du rejet du moi et donc de la souffrance... 

Revenons à l'expérience. Elle est celle d'une vérité, la connaissance recherchée sous forme de réalisation évidente, et qui est précisément celle de l'inexistence du moi, caractérisée par une libération. Libération de l'illusion du moi, et donc de toutes les pensées liées à cette illusion, réunies dans un "flot", pur fleuve sans existence propre dont la matière est indéfiniment remplacée encore et encore. Que cet objectif hautain soit la raison d'être de disciplines strictes, de concentrations infinies, et surtout de réflexions profondes sur l'esprit et comment il fonctionne, et sur le corps, et comment il fonctionne reste étonnant mais pourtant fondamental: une manière d'être et d'agir, un idéal lointain de la part d'un peuple entier (les tibétains eurent pourtant une histoire, et le pouvoir temporel et ses contraintes furent considérées, même si sous la forme d'un irrédentisme à l'égard du voisin chinois, structurellement oppresseur depuis des siècles). Il faut d'autre part considérer que le bouddhisme resta une composante du monde asiatique et ne fut jamais universellement adopté, seulement supporté ou assumé par quelques pouvoirs à certaines époques et partout mélangés avec des cultes animistes variés. Des 4 grands cultes (Christianisme, Islam, Hindouisme, Bouddhisme) il fut le seul à régresser au XXème siècle. Surprenant non ? 

une perle de lama: la perception n'est pas dans l'objet car la jolie femme est réjouissante pour l'amoureux, distrayante pour l'ermite, et appétissante pour le loup. 

À la croisée des arts | Gazette Drouot

Mais il y a un autre concept, celui-là positif, et qui est la "vacuité" confondu à tort avec le "néant" bouddhique. Essence de la réalité et des phénomènes qui doivent cesser d'exister en eux même, elle est le possible, le contenant du monde... 

La vacuité est "forme" et exprime le fait qu'il n'y a pas de réalité en soi. Cette négation de ce que Kant refuse de pouvoir connaitre est fondamentale. Notons que cette négation qui revient à dire que le monde est "comme un rêve" ne dit pas que le monde "est un rêve". Le monde est vacuité, c'est différent et cela constitue le "juste milieu" bouddhique qui n'est pas un nihilisme, un culte du néant, ni bien sur un réalisme (il en est le contraire). 

Le Mal

Le problème du mal pour les bouddhiste est simple: il n'existe pas et n'est qu'un cauchemar dont on se réveille. Dot barre.

La comparaison avec l'Occident philosophique reprend les vieilles idées de Revel: Spinoza fut le dernier sage, et l'occident transforma sa sagesse en politique jusqu'à supprimer la morale individuelle afin de se réduire la morale toute entière à la responsabilité collective.

Si l'on poursuit cette manière de voir, on peut considérer que le processus continue et que l'échec marxiste n'est qu'un échec partiel, le processus scientiste d'organisation de la société continuant avec le management occidental et le contrôle social chinois en fait similaires. D'où la relative sympathie bouddhique du père pour le fils (Revel  vers Ricard). 

La question du scientisme apparait alors comme une hérésie scientifique, et non pas comme une caractérisation globale de la science, le "la science ne pense pas". "Quand on commence à compter, on ne s'arrête plus" (proverbe arabe). En tout cas, pour le bouddhiste, la recherche proprement scientifique, même désintéressée, est une paresse futile. 

La question est le vide laissé par l'abandon occidental du problème moral. Il ne resterait que les "solutions" religieuses ? Sans doute pas, car elles ne peuvent ni ne veulent adresser le vrai problème qui est l'organisation politique, seul vrai problème à résoudre. 

On notera que comme toutes les religions, le bouddhisme se plaint (et il a tout le temps pour cela) de l'absence d'"universel" qui fait qu'il y a des inégalités dans le monde. La réponse cinglante de Revel est "oui, mais chaque partie du monde fait ce qu'elle veut, y compris des bêtises". Cette conception "bouddhique" de la politique a un côté réjouissant: seule les nations "ermites" qui s'astreignent à travailler sur elles mêmes connaitront la prospérité: la pauvreté, comme le mal, n'existe pas... 

Et le lama de revenir sur la supériorité du modèle "avec maitres", la supériorité humaine étant le seul gage de la vérité de la doctrine, exclusivement à expérimenter. Le monde des maitres: une sorte d'aristocratie, donc ? 

Bien qu'on puisse souhaiter voir davantage de personnes éclairées aux postes de commande en général, ce souhait n'est pas propre à l'Occident et la sagesse hélas reste peu fréquente, malgré le nombre d'ermites au Tibet... Le problème politique reste donc entier et donc globalement irrésolu, il faut l'admettre. 

Les véhicules

Revenons à la doctrine. Il y a le petit véhicule, la base de tout, la Théravada, puis le grand, le Mahayana, qui met l'accent sur l'amour et la compassion. Il y a aussi l'Adamantin le Vajrayana qui ajoute des techniques spirituelles. 

Le Bouddhisme tibétain travaille tous les véhicules. 

On abordera sans hypocrisie les rituels (dont Milarepa se passait complètement, parait-il) au fil des contemplations des mandalas, richement ornés de figures variées à 6 bras (la symbolique des 6 perfections, bien sur), sachant que les multiples prosternations devant le bouddha ne le considèrent pas du tout (pas du tout) comme un Dieu... Les gestes rituels ne font que rappeller la doctrine, je dirais bien sur, comme dans toutes les religions... 

La psychanalyse

La relation à la psychanalyse est assez raide: le bouddhisme a pour fonction de dissoudre l'inconscient, c'est à dire de purifier l'esprit de ses pollutions, liées à la petite enfance ou même aux vies antérieures... Le caractère polluant de ces vieux souvenirs qu'il ne sert à rien de remuer (remuer de la boue au fond d'une marre n'a pas d'intérêt) est ainsi affirmé. 

Le désir doit ainsi être supprimé et non pas réorienté. L'éveillé ainsi, ne rêve plus... Car ce n'est pas l'oedipe ou la mère qui est la cause de la souffrance, mais le moi lui même. 

 

On terminera par les appréciations générales de Revel sur le monde occidental, profondément convaincantes et portant sur la séparation radicale entre les philosophies de la vie bonne et celle du savoir pur. 

Ce savoir pur, "théoria" est la contemplation en grec, porte sur le monde et les réalités du monde mais dans sa complétude et la question si le surnaturel en fait partie ou non... Pour Revel, la vie bonne ne peut obtenir son accomplissement que par une transcendance religieuse ou athée (le socialisme à venir pouvant être une raison de mourir selon lui), et donc se trouve à jamais sans solution.

Pourtant, pour le religieux ordinaire ou le bouddhisme, la vie bonne n'est pas le but mais bien une retombée de la réalisation de la vision ("voir Dieu", la connaissance ultime est bien l'objectif ultime du chrétien, l'"éveil" celle du bouddhiste) et une preuve à imiter de sa réalisation. 

L'occident pratique et utilitariste cherche (et Revel aussi) une solution au problème de la vie bonne par des trucs scientifiques ou psychologiques, voire par le bouddhisme ou autre chose, la caractéristique de tout "grand" ensemble culturel étant de disposer au même moment de multiples approches contradictoires, toutes exprimées et imprimées en profondeur dans son tissu culturel et intellectuel. C'est le cas de la Chine, qui vécut le bouddhisme, doctrine qui y eut un succès immense, tout autant que le Tao ou le confucianisme. Ce n'est pas le cas du Tibet, puissance moyenne monomaniaque mais apparemment (à l'exclusion du Japon, dont le bouddhisme est l'une des composantes avec le shintoïsme animiste) receptacle sans doute du plus étendu corpus du bouddhisme (mais cela serait à vérifier...). 

L'occident qui a philosophé sur toutes les possibilités ne s'est pas débarrassé de la vie bonne, loin de là, continue de travailler la question et au combien... 

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