On a écouté, passionné, (1).
À chaque fois, à chaque argument mis en avant, au-delà de la passion et de l'intérêt porté aux questions soulevées, toutes d'une valeur et d'une importance extrême, un sentiment de révolte à l'égard des argumens évoqués, et un désir éperdu de s'exprimer et de hurler un désaccord, au delà de la révolte contre un mal: la nécessité d'exprimer un point de vue qui n'est pas représenté... La chose est particulièrement multiple, et riche de sentiments et d'arguments, la voilà.
La Déconstruction
Tout d'abord un jugement sur la "déconstruction", assimilée à la notion philosophique générale de "critique", initiée par Montaigne, La Boétie et bien sûr, merci de le mentionner Kant.
Même si Derrida n'était pas "woke", ou du moins malgré sa considération pour le marxisme militant (quoiqu'en butte à la police tchècoslovaque), sa déconstruction est d'abord la formalisation philosophique du rejet de la "binarité" associée au classicisme philosophique et métaphysique. Il est par là celui qui initie et rend possible une interprétation excessive de la philosophie "française" dite "french theory", celle qui mène à la négation des différences culturelles, sexuelles et économiques dans les sociétés quelles qu'elles soient. La pensée binaire oppose les contraires, et cela n'est pas supportable et doit être éradiqué. La déconstruction est la réflexion sur les affirmations, et la négation progressive systématique de toute expression, de tout discours en vertu de la faiblesse fondamentale de toute parole globale, assise sur des conceptions métaphysiques construites par l'histoire sur la base d'une rationalité qui ne peut plus "tenir" seule.
Seul dépositaire de l'acceptable, le déconstructeur a le monopole du rationnel, en tant que négateur de celui-ci.
Intéressant et passionnant le discours marabout de ficelle du grand négateur fut considéré prétentieux et futile par les analystes qui tentèrent de le contredire et réalisèrent que cela n'était pas possible, par définition.
Sa postérité fut l'exploitation systématique non pas des ses discours théoriques mais de ses conclusions provisoires. L'une d'entre elles est bien sur la négation organisée et suivie de la différence sexuelle elle-même, à l'origine d'une partie importante de la pensée woke, qui est la théorie "queer", affirmation de la prédominance de l'être non sexué seul capable de comprendre l'essence du sexe qui est de n'être pas. L'autre partie de l'intersectionnalité, la plus importante, nie la différence raciale en l'hyperbolisant, seul l'être "devenu" noir pouvant survivre intègre à la découverte d'une oppression essentielle due à la différence raciale exprimée par la possibilité d'être blanc, chose à éradiquer. Là encore, la binarité est rejetée, au point d'instaurer une oppression raciale symétrique conçue comme nécessaire pour abjurer les crimes essentiels passés.
Ces petites folies sont actuellement structurées en système fasciste explicite dans les universités américaines, qui à cause de cela (on le suppose, car s'endetter à vie pour se faire mettre en contact avec de pareilles conneries est insupportable), sont d'ailleurs en train de vivre un effondrement de leur recrutement. Car le système d'éducation US est actuellement en train de s'effondrer, la recherche de l'éducation à pas d'efforts, gage pour éviter la pauvreté, ne fonctionne plus. Bref, le woke encore ultra-puissant et surtout officiellement au pouvoir, le transgenderisme étant officiel et obligatoire jusque dans l'armée, ravage actuellement la société américaine.
Le point de vue exprimé, très "social démocrate" est donc tout d'abord philosophiquement faux: même si Derrida n'est pas obligatoirement interprétable comme cela, l'interprétation existe, croit en Europe et commence à y exercer ses ravages, les premiers d'entre eux étant la soumission des idiots utiles, au nom des libertés et surtout de l'unanimisme progressiste propre aux universités. Le monsieur honteux d'avoir déjà cédé sur l'essentiel, cherche à masquer sa déconfiture. En tout cas, les premiers signes sont là, et sont mentionnés dans le débat: les masques noirs de la pièce d'Eschyle, les excréments envoyés à la femme de Jospin, nous y sommes en fait, et la censure a déjà été instaurée.
Car la non binarité est le point essentiel, et n'est absolument pas une "critique" au sens kantien, mais bien le rejet du principe non pas du tiers exclu, mais de contradiction. Typique d'une recherche de la nouvelle métaphysique, le monde continental veut penser hors du réel et hors de la logique. La binarité c'est le vrai et le faux, et la "présence" immonde du fantôme doit être chassée. Assimiler cela à Kant n'est pas acceptable. Le fantôme est aussi celui de Marx, celui que le néo capitalisme sous sa forme "néo libérale" (le comble du satanisme), voulait éradiquer à tort. Négatif et positif, le fantôme, la chose existante qui ne peut pas physiquement exister est...là.
Et puis le procès fonctionne à front renversé: s'opposer à tout cela c'est rejeter toute critique, et donc soutenir un identitarisme symétrique, sans doute pire, c'est d'ailleurs précisément celui qu'on se propose d'éradiquer. En forme de poignard à lame courbe, l'argument vaut son pesant d'or !
Dans la réalité, la déconstruction n'est pas du tout une "critique" et picétou: elle nie ce qui est l'univers du discours contradictoire et donc n'est qu'anecdotiquement intéressant: une obsession gnostique autophagique, qui permet de démontrer n'importe quoi comme il se doit, et donc n'est qu'argument sophistique, juste bon à pécho les étudiantes qu'il suffit alors de sélectionner en fonction des critères habituels.
Il n'est toutefois pas faux de dire que l'affirmation de théories démodées pourrait tirer avantage de cette critique justifiée. Cela fait l'objet de discussions philosophiques passionnantes, et le nom de Richard Rorty, le relaps, pourrait être cité. On se doit toutefois de supprimer l'engagement politique de la discussion: il faut le répéter, seule la violence physique et un nouveau mccartysme nécessaire pourra nous débarrasser de la peste woke, hérésie abominable qui ne pourra être extirpée qu'après tortures et buchers. On commence aujourd'hui, et l'exigence de l'agonistique explicite, curieusement évitée par nos débatteurs, me semble inévitable. Il n'est pas question d'universalisme, mais d'une extermination nécessaire, mais de la lutte du bien contre le mal.
Bon, si l'on veut assouplir le cri et discuter un peu, la question d'identitarisme ne se pose pas en fait: seule la discussion, et la confrontation d'opposés est vraiment obligatoire. Dans la mesure où elle est refusée, celui qui refuse la chose doit impérativement recevoir la balle dans la tête dont je parle. Aussi simple que cela. Il n'y a pas de miroir, il y a la force.
La violence
Le refus d'une conception objective de la violence traverse par ailleurs tout le débat et marque sans doute l'une des incapacités fondamentales des moutons qui nous servent d'élite, à cette époque troublée.
La violence est en effet exclusivement pensée comme réciproque et symétrique, sur la base d'une condamnation morale d'un mal conçu comme à rejeter globalement: toute pensée de la conflictualité est ainsi rendue impossible, au point d'absolutiser la binarité, jugée essentiellement violente elle même, et donc à rejeter, violemment bien sûr.
Le conflit est d'abord dialectique, c'est-à-dire asymétrique (donc non-symétrique, ce qui est le point) et en forme de communication, chaque coup étant différent de l'autre, et cela dans les deux sens. Par essence, l'échange est asymétrique et l'illusion intellectuelle du "miroir" est liée au refus de voir la binarité de la "chose" conçue, comme si une image était identique à son reflet... La violence est à la fois commune et globale et sa structure est celle d'une flèche, qui comme toutes les flèches, peut changer de sens. Elle doit être pensée positivement, et cela s'appelle la guerre, chose à la fois nécessaire parfois mais toujours à tenter d'éviter.
La Démocratie
Revenons à la démocratie impossible dans un pays apparemment impossible à réformer. D'abord, les divisions furent omniprésentes dans l'histoire, et les deux régimes que nous ayons jamais connus sont royauté et démocratie parlementaire, hors les quelques dictatures provisoires qui arrivèrent à s'imposer ponctuellement. Conçue comme identifiant nation, peuple et corps du roi intermédiaire sauveur devant l'anarchie féodale constitutive des époques troublées, la royauté ne rassemble pas des entités divisées autres que géographiques et c'est la revendication bourgeoise introduit la deuxième division, celle entre droite et gauche, au sein d'une élite qui se sent en charge de la gestion du royaume des deux manières qui opposent le rationnel. Car s'il est rationnel de respecter les équilibres humains, il l'est tout autant de les bousculer même si c'est pour de fausses raisons.
Rechercher la fin des divisions en démocratie est donc absurde, car ce régime ne fut introduit que pour les gérer. Les drames de la division ne sont donc pas institutionnels mais caractéristiques de la démocratie ! Pourquoi faut il donc que cet essentiel soit toujours traduit, pourtant par des gens qui idéalisent une pluralité d'opinions, comme un problème d'institutions ? Nous voilà au coeur du mal des zélites: c'est la faute à la constitution...
Au passage, une dénonciation qu'il faudra reprendre: l'interdiction des cumuls de mandats parlementaires et municipaux, plaie de l'humanité représentative et absolue stupidité socialiste imposé par le calamiteux Hollande. Sans parler de l'absurde nouveau découpage des régions, gage supplémentaire de gaspillage et de sous représentation, autre stupide réforme imposée par l'absurde et la corruption. En voilà des ruptures du bon sens imposées par la pensée de la réforme des institutions... Ce qui conduit, chose amusante, à ne devoir réformer des institutions que ce qui a été changé à tort du premier jet: parité, principe de précaution, cumul des mandats et surtout, primauté du droit européen...
L'idée centrale de la dépossession au nom de l'Europe de la puissance des politiques, gage du mépris qu'ils inspirent et de la désaffection pour l'impuissance qu'ils expriment... Il faudrait pour cela réinstaurer une puissance de la loi "locale" supérieure à la jurisprudence européenne. Exprimée par celui qui conseilla Lisbonne au président Sarkozy, la remarque est bonne. On sait qu'elle inspira à Laurent Fabius une déclaration de guerre contre Zemmour qui fut remarquée. Encore un débat essentiel que l'élection de l'année dernière occulta...
On notera alors la remarque que tout cela serait résolu par une "démocratie européenne", idée creuse que celle de la fédération salvatrice, dans un bloc de 27 pays impuissants qui se haïssent et qui vont bientôt se séparer, les subventions allemandes devant s'interrompre faute de gaz à pas cher.
Dans le débat, on note deux aspects, vicieusement cuisinés par Taddei avec ses invités : la simultanéité de la plainte de la dame (Chloé Morin) du manque d'une politique "qui ferait envie", et qui "réinventerait la société" en prenant en compte le "climat", de l"impuissance publique" et aussi de la prolifération des "notes" (décrite par Pierre Bentata) attribués à tout et à tous, afin de réguler un nouveau monde numérisé...
On attribuera tout cela au côté féminin de ces deux pratiques: bienveillance et recherche d'un bien objectivé, les deux pôles féminisés de la gouvernance moderne qui nous accable. Venus du dévoiement féministe les deux attitudes participent de ce même instinct du jugement qui dépossède la volonté et la responsabilité au profit d'un bien vague essentialisé. Sans parler de l'esprit pratique féminin traditionnel de la régulation non violente par l'"évaluation", et bien sur l'idéal du prince charmant, qui "donne envie de la réinvention", parangon du voeu secret du sexuel féminin.
Pour finir la citation improbable: "l'important en politique n'est pas le consensus mais le consentement".
De quoi se plaint-on ?
Il faut bien sur du consensus, ou du moins assez de consensus. Pour cela, il faut mettre en avant des principes partagés et s'arranger pour qu'ils soient respectés devant suffisamment des gens qui les jugent indispensables.
Revenons en arrière. L'exercice du pouvoir suppose l'autorité qui elle même suppose la légitimité, ce qui est contradictoire. Cette contradiction structurelle fondamentale doit être gérée et c'est tout le problème.
La légitimation de l'autorité peut être faite de deux manières, suivant que l'on renforce l'autorité elle même, un pouvoir faible cesse d'être légitime, ou que l'on exécute les souhaits des administrés, ce qui peut devenir une autre forme de faiblesse. Pour réguler chacune des positions extrêmes, le pouvoir doit mettre en avant des principes, eux mêmes soumis à l'expression des désirs administrés. C'est la querelle des légitimités, en faveur des pauvres ou des riches, de la dépense folle ou de la prospérité.
Des principes sont intangibles et ne dépendent pas des époques, voilà le seul moyen de les solidifier et de retirer des désirs changeants et des besoins sociaux. Egalité devant la loi, respect de la volonté du peuple et surtout, surtout, donner l'impression aux assujettis que ce sont eux les décideurs: c'est le principe démocrate qui demande que l'on symbolise l'ordre d'executer ses propres désirs.
Le premier de ces principes est le principe d'exception. Garant du vrai pouvoir, l'exception autorisée est la marque du pouvoir et le seul moyen de sortir de l'aporie de la légitimité. Du fait des idéologies, il fut oublié et aboli par la modernité, gorgée de pensée positive, et donc de l'oubli de la réalité du monde, en particulier de sa violence, d'où le paragraphe plus haut. L'exception est violence assumée, entre autres.
On prendra deux exemples, discutés dans le débat ici: le protectionnisme et, plus généralement la prééminence de la loi nationale. Les deux politiques sont basées sur le principe de souveraineté qui fut "sacrifié" lors de la construction européenne de Mitterand et Delors au nom de la nécessaire soustraction du pouvoir à la démagogie socialiste qui s'en était emparé pour ruiner le pays. Car la conjonction du principe de souveraineté et d'égalité sociale réélle amène à la folie des politiques économiques qui illustrèrent en un an de gabegie qu'un pays pouvait, par incompétence, se ruiner en une saison. En fait, plus que la ruine effective, qui n'eut pas lieu, il se trouva à portée de ce qu'on appelle la contrainte extérieure, sous la forme de l'attaque des marchés monétaires étrangers pouvant en quelques heures couper le pays de ses approvisionnements en denrées indispensables.
Dés lors, pour résoudre le problème, on prit le taureau par les cornes: il fallait réduire la menace et donc changer la monnaie pour continuer à mettre en application une promesse sociale considérée impossible à satisfaire sans l'endettement indispensable. Tout le reste se déduisit de cette position, jamais remise en cause.
Il y avait une alternative, celle de la "bonne" gestion explicitement refusée par la population qui vota Mitterand en 1981. Bonne gestion basée sur des principes qui se conjuguent dans le principe suprême assumé par toutes les sociétés: il faut accepter qu'il y ait des pauvres. Ce principe fut refusé par notre prospérité d'il y a quarante ans, il est en train d'être piteusement et honteusement accepté, faute de mieux, par notre déliquescente pauvreté globale d'aujourd'hui. Nous avons échangé une misère partielle acceptée et gérable par une misère globale refusée et ingérable.
Car le résultat est là: nous avons commencé à nous appauvrir. En parité de pouvoir d'achat, nous avons mangé la grenouille et sommes en train de procéder à une réduction sensible de notre prospérité globale. Toutes les classes de la société sont concernées, en particulier le centre moyen, qui dévisse au point de devoir disparaitre en grande partie, comme dans tout tiers monde qui se respecte. L'interruption à venir dans peu de temps de la possibilité même d'emprunter davantage et donc de l'inversion de la distribution gratuite, avec la suppression brutale de l'assistance généralisée, consumera la plongée dans le néant. Des révoltes pourront alors se faire, mais avec les ressources indiquées...
Car il y a eu destruction, et le centre même de la production autonome du pays est atteint. Il ne pourra être reconstruit que par un passage par une abstinence capitalistique temporaire qui fera saigner du nez. Nulle charité ne viendra atténuer la rudesse de la voie qu'il va falloir emprunter. Une seule vraie condition pour accepter cette misère: qu'elle serve à un progrès plutôt qu'à son maintien indéfini, mais cela n'est qu'une rhétorique et accepter l'inacceptable est une philosophie.
Dés lors, le principe de souveraineté qui préside en fait au principe de pauvreté a une chance d'être appliqué, au point qu'il en est un corrollaire, à moins que le deuxième principe de pauvreté, que je me tue à évoquer stylistiquement, ne soit adopté plutôt. Quitte à être pauvre, autant vivre de la charité humanitaire, et ce choix adopté par l'Afrique toute entière a convaincu bien des humains, ça tombe bien les africains sont de plus en plus nombreux à nous enrichir culturellement: au prix de la perte de la souveraineté, l'acceptation de sa déchéance misérable devient un moyen de l'assumer.
Esclavage ET pauvreté inéluctable, fatum incontournable deviendra alors la norme.
Tout le reste n'est que poussière, démagogie et prétention.
(1) Les visiteurs du soir Taddeï , 11 mars 2023 https://www.cnews.fr/emission/2023-03-11/les-visiteurs-du-soir-du-11032023-1331658