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  • Les croyances

    Le rêve

    Ayant rêvé une nuit que j'étais catholique "évidemment" et au réveil inquiet quelques minutes de la réalité de l'affirmation, me voilà forcé de réaliser que je ne le suis pas du tout en fait, tout en regardant, fasciné, toutes les tentatives des autres pour l'être, ou quelque chose d'approchant. 

    Tout d'abord il y a la création et son ordre magnifique, les photos en couleur des galaxies (ou celles tout aussi colorées des membranes des ailes des colibris, en passant par les splendides couleurs irisées qu'on peut tirer de photos gros plan du sperme d'un rat) pouvant amener la réflexion qu'il  y a "forcément"  une création... Je commence par là pour évoquer l'interrogation naïve d'un Houellebecq lors d'un interview, ou la mienne, tout aussi naïve, sur l'existence spirituelle des lois de la nature, responsable des fluctuations hasardeuses du vide, elles-mêmes responsables accidentelles des fameuses couleurs...  On reviendra sur ma théorie. 

    Le salut

    D'abord il y a la souffrance humaine, générale et trop évidente, à l'origine de la raison profonde de la notion de "salut" et des concepts civilisationnels qui lui sont associés. Tout ce qui apparut quelques siècles avant JC, lui-même (jicé) manifestement au courant de la chose (le bouddah avait commencé et les gymnosophistes étaient connus des grecs), et manifestement inspiré, baigné, disons d'un mélange mondialisé résultat de la conquête d'Alexandre, élève d'Aristote et premier unificateur du monde, sans doute le premier véritable occidental fils de Dieu. 

    Ce salut est celui du monde entier, quand tous les individus pris à égalité se retrouvent face au même problème, qu'ils ne peuvent plus associer à une condition artificielle liée un mode de vie local, celui de l'Empire lui-même devenant dérisoire: esclave ou femme cela ne change rien et l'appartenance à une "nation" non plus et pourtant ce qui la rend ainsi possible, l'unification des mœurs n'étant plus nécessaire, justement. L'identité humaine civilisée ne se réduit plus à l'appartenance à l'empire et celui ci n'est plus nécessaire. Cette révolution là fonda l'Europe, crée par les rois barbares directement adeptes du nouveau Dieu unique. 

    Revenons au salut: la souffrance est trop grande et le grand système mystique et intellectuel de l'Inde qui aborda le problème introduisit l'idée qu'un humain pouvait servir d'intermédiaire, non pas au sens de l'homme divinisé, mais de l'inverse, le Dieu, c'est ça l'idée,  se transformant en homme pour transformer l'impossible terrifiant en vérité intangible. 

    Intellectuellement génial, le christianisme alla jusqu'à (plus tard complètement mais l'idée était là dès l'origine) imaginer un dieu multiple divisé à égalité en entités radicalement différentes. Cette manière définitive et admirable de rendre pensable tout en le gardant assez mystérieux un au-delà de la réflexion philosophique qui soit à la fois le radicalement autre divin et le cohérent articulé réaliste est un sommet incomparable de civilisation, jusque-là indépassé et absolument supérieur à tout ce qu'on avait pu imaginer et aussi de ce qu'on peut actuellement imaginer. 

    On passera donc sur bouddhisme et islam, bien tentées, mais dérisoires tentatives de créer une solution au problème. Le cas de l'islam est particulier en ce qu'inventé en connaissance de cause, il se mit à l'écart, sans doute par ignorance et volonté obstinée, de la trinité et de l'homme Dieu. On pourrait gloser sur certaines tendances à la surhumanité que ses gnoses tentent de réintroduire, mais il est en fait "foutu": son prophète n'est qu'un conquérant législateur et son entité divine dépourvue d'identité autre que son obsessive unicité n'est qu'une misérable fiction orientale sans relief autre que ses malédictions, jurons divins qui ne sont que blasphèmes ignobles envers l'humanité souffrante. 

    Entouré d'un fils aimant, des ses projets amoureux d'avant les débuts des temps et de son esprit omniprésent qui anime les volontés, le divin chrétien a une complexité et une réalité admirable difficile à nier, c'est sans doute ce qui anima mon rêve. Le rétablissement d'une relation intellectuelle et sociale avec un autre radical, inspirateur de la psyché et de la conscience et garant de la rectification de l'être dans sa capacité à entrer en relation avec les autres est l'objet du religieux mais pas que: il est le projet humain, la salvation. 

    Le retour

    Rétablissement, salvation ? Quel retour à quoi et qu'y avait-il avant dont nous nous serions éloigné et qui serait la cause de notre souffrance ? 

    L'anthropologie agite cette question dans tous les sens depuis l'origine des réflexions cohérentes de l'humanité. Entre l'androgynie primordiale et la constitution progressive de l'être là, avec ou sans capitalisme ou technique délétère, et bien sur le péché originel, l'idée est constitutive et inévitable et où qu'on regarde, on le voit bien: ça ne va pas... 

    Objet de la castration primordiale de l'individu (la découpe de l'androgyne) cette souffrance indicible et aux conséquences multiples fait bien partie de l'essence de l'humanité, une sorte d'état à défaut d'un évènement primordial. C'est bien l'objet de toutes les sagesses, de toutes les gnoses, que de refaire le chemin dans l'autre sens pour aboutir à un autre état, souhaitable celui là. On l'identifie souvent à quelque chose d'assez simple, et d'assez Moyen Ageux: l'idéal de Duns Scot qui est de "voir Dieu" éternellement, et donc, quelquepart, de "devenir" Dieu. Une solution radicale et définitive.

    Objectif et destin de l'hubris post antique chrétienne, cette ambition rompt avec toutes les religions précédentes, pour ne pas dire avec celles qui suivent. Car l'androgynie est divine et la séparation est celle qui divise l'homme et Dieu lui même. Le retour est celui d'avec l'instigateur du projet: se séparer puis se réunir en remélangeant passé et futur dans la grande unité éternelle du temps aboli ! Quel est l'intérêt de la bulle provisoire, me diriez-vous ? 

    Laissons de côté la question, les mondes multiples que la chose évoque laissant penser à une barbarie mettant en cause l'unicité du fils de Dieu, elle certaine... Bref, une spéculation mérite ici de s'élaborer, on verra plus tard. 

    En tout cas, une solution élaborée est ainsi apparente, disponible et grandiose, et a assez fasciné les esprits assez longtemps pour inspirer bien des œuvres. La question de l'arrêt actuel des curiosités à ce sujet se pose. 

    L'histoire

    On doit d'abord distinguer les souffrances. Elles étaient autrefois liées à l'impossible prospérité qu'impose l'agriculture, mode paradoxal de production qui permet à la fois la multiplication des familles mais la prospérité d'une minorité seulement, le miracle néolithique étant peut-être l'événement fondateur qui causa nos souffrances avec les religions sacrificielles et le début des réflexions à ce sujet-là. 

    Réglé par la technique et les pesticides, la chose se mua en les croissances folles du siècle dernier qui firent justice de ce qui n'existait que comme superstructure à une fatalité qui disparut brusquement, ne laissant qu'une souffrance existentielle qui est quasiment le regret de la précédente. En tout cas, le changement fut sous nos yeux, et la France ne rompit avec le néolithique que de mon vivant: notre voisin avait un cheval pour labourer, le champ était en pente. 

    Que le catholicisme ait disparu par la même occasion était somme toute assez naturel. Mais il y eut plus. Par un glorieux malentendu simultané, s'installa en effet une conception du monde qui rompait par essence avec le rituel. Manifesté en latin, avec des déguisements démodés mais rattachés au passé, un culte à une entité mystérieuse était rendu avec distraction mais régularité. Conjugué de matérialité arbitraire mais répétée et donc ordinaire, le régulier marquait les habitudes et se trouvait crédible. On voulut le rendre signifiant au delà de sa fonction: il fallait comprendre et penser ce qu'on disait. En Français, puis en manifestant sa foi, on voulu rendre tangible ce qui était destiné à forcer à l'hypocrisie. L'horreur de l'obligation apparut alors manifeste et les gens partirent. Qui plus est, le désastre esthétique concomitant fut effroyable: la laideur et la superficialité des expressions nouvelles qu'on chercha à introduire servit de repoussoir essentiel et toute la religiosité se réfugia dans le yéyé pleurnichard, à destination de la dernière population sous contrôle des curés, désormais libre : la gent féminine, du moins la partie baisable de celle ci, les vieilles dames robotisées continuant les simagrées. 

    Cette obsession à "comprendre", fait de civilisation, marqua tous les domaines et en particulier fut le responsable de la destruction de l'enseignement public. Marqué par la volonté de se rendre tangible, comme on l'a vu, l'éducation se voulut explicite et ajouta sincérité et volonté d'élévation à ce qui ne devait être qu'apprentissage par cœur et techniques bien comprises, seuls moyens pour une élite d'accéder dans un deuxième temps  à la vraie maitrise. Voulant justifier l'effort par un résultat immédiat trop vite acquis (résumé de texte et salaire garanti) on rendit impossible le plaisir de l'effort et donc tout ce qui s'obtient avec. La féminisation des apprenants et des sachants fit le reste: plus personne ne s'intéresse à l'école et un ennui terrible se répand dans une société bureaucratisée à l'extrême dont les masses abruties ne pourront plus être conduites que par un fascisme pointilleux dont on commence à prendre la mesure, l'épidémie et sa manière d'être contrôlée étant destinée à durer, je vous le garantis. 

    La glorieuse héritière de la fondation initiale de la civilisation, à peine entamée par une remise en cause pourtant autrement agressive faite il y a 5 siècles par Luther, se suicida donc sous nos yeux sans espoir de reconquête sinon par la marge. Prise en mains par bien pire que les orgiastiques seigneurs de la renaissance qui poussèrent la corruption jusqu'à vendre par actions le paradis, en l'occurrence les seigneurs mafieux homosexuels qui pardonnèrent la pédophilie du XXème siècle, l'Eglise actuelle va maintenant se ruiner doublement : en exigeant qu'on accueille tous les migrants d'une part, en en indemnisant ses ex petites victimes d'autre part... Comment se convertir au catholicisme ? En allant voir qui ?

    Les solutions

    D'abord il faut savoir que cette "solution" à la souffrance fut violemment critiquée à l'aube de la première amélioration et bien sur par Marx:

    "La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

    Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole"

    Tout le XIXème siècle se consacra à la ruine intellectuelle du catholicisme en réformant la perception de  la souffrance. Celle ci pouvant être abolie par la technique et la redistribution, il n'était plus besoin de la consoler ou de l'expliquer, mais simplement de l'abolir, celle ci étant entièrement due au capitalisme qui allait s'effondrer. 

    Juste après la chute du mur, Houellebecq (1) reprend le thème, et ajoute à la détresse prolétarienne la sexuelle, soumise aux mêmes lois impitoyables (et irréformables) du libéralisme. Il propose une consolation romantique réexprimée, qui serait d'après les spécialistes,  la nouvelle relation qu'entretient le poëte avec son lecteur... Belle ambition, nimbée de capitalisme, ses livres, (des beaux objets) n'étant pas gratuits tout en étant downloadables... 

    Avant la religion chrétienne et à l'aube de celle-ci il y avait le stoïcisme et la notion de consolation (1), qui réexprime la nécessité du monde: cosmos harmonieux, société organique et parole signifiante. Les 3 fictions, transformées par la modernité en chaos erratique, en société capitaliste impitoyable et en paroles arbitraires déconstruites n'ont bien sur plus cours. 

    La consolation chrétienne était basée sur l'au delà d'après la mort, période intermédiaire (tout est intermédiaire dans le christianisme depuis le christ lui même, jusqu'au millénarisme, en passant par la grâce) avant la résurrection générale des morts, fin du monde humain, et donc de la fameuse bulle que l'historicité du fils de Dieu et donc de Dieu lui même rend unique forcément. Très supérieur à Mahomet en puissance divine, Jésus n'est pas un prophète et crève l'écran de la rationalité antique: il représente la vraie vérité, celle de l'absurde miraculeux effectif. Il n'est pas  un miracle pour les dieux (quoi ? un homme deviendrait comme nous ?) mais bien pour les hommes qui n'en croivent mais. 

    Cette affirmation de la vérité improbable au point de s'identifier au vrai concept, le seul qui vaille (pas mal, cette jésuiterie, vous ne trouvez pas?) caractérise le christianisme et injecte dans la rationalité plus que le solipsisme, la vérité irréfragable, celle qui recouvre toute les spiritualités et qu'elle rend possible, la preuve: Gödel a raison même s'il avait tort... 

    Cette consolation là, opium certes mais puissant qu'on y pense, et que manifeste un ordre social qui la confirme et qui la poétise, source de bien des énergies et de bien de belles musiques.  Et puis il y a la grâce, car la consolation nécessite d'être souhaitée, au point que la souffrance s'y identifie. Le désespoir d'amour devient alors celui du refus motivé ou arbitraire de la solution à se manifester, source de la vraie humilité. 

    A moins que comme un autre poëte, Baudelaire en fait, on ne se conjuge au divin que pour : 

    "Je sais que vous gardez une place au Poète
    Dans les rangs bienheureux des saintes Légions,
    Et que vous l’invitez à l’éternelle fête
    Des Trônes, des vertus, des Dominations.

    "

    On remarque ainsi que le chrétien est en fait assez égoiste et ne s'intéresse qu'à lui finalement, sa place en face de Dieu étant la seule chose visée. Comment concilier cela avec les plaintes constantes concernant la souffrance due à la solitude, qu'elle soit celle d'un Houellebecq ou d'un Balzac ou d'un Marx, en gros celles de tous ceux qui ne conçoivent l'homme que social ? On va même jusqu'au christ lui même qui ne parle que du prochain, au point d'avoir fait de son ultime avatar l'église du dernier pape, une machine à une seule exhortation, celle d'accueillir les migrants ? 

    Cela donne-t-il à la solution déiste catholique un caractère original ? 

    On notera dans toutes les déplorations (ou accusations) concernant la solitude humaine et la dégradation de son social, un très métaphorique regret de la religion sociale ancienne sous la forme du nom "dieu", que l'on martyrise lui. 

    « Le cadavre de Dieu
    Se tortille sous nos yeux
    Comme un poisson crevé
    Qu’on achève à coups de pied. »

    Le passage ténébreux par la notion de "salut" à la souffrance liée aux mauvaises interactions sociales ferait donc la liaison entre les deux ordres,  à part que cela n'est dit nulle part sauf dans les encore plus ténébreux manuels de prière ou la seule interaction qui soit vraiment à plaindre est celle que l'on se devrait d'avoir avec Dieu lui même, finalement seule entité vraiment intéressante, et seul autre avec qui on puisse vraiment communiquer sauf qu'on y échoue et que c'est ça le problème en fait. Belle théorie, en tout cas, et qui nous rapproche d'autre chose. 

    Philosophie

    Schopenhauer serait un philosophe de la vie désespérante qui ruinerait la soit disante (toujours la même chose) méthode pour bien vivre (on pense à la suite: "en société") qui serait la deuxième fonction de la philosophie. Rêve idiot, la "méthode pour bien vivre" qui tient lieu d'idéal à la moitié des intellectuels est évidemment un repoussoir mais aussi quand elle est reconnue impossible, un moyen pour qualifier d'extrêmement noire la philosophie elle même. On en revient donc au jeu avec le cadavre de Dieu, tout aussi dérisoire, car faire semblant de détester pour mieux adorer est puéril, ou bien alors gnostique, en cachant de hautes conceptions, la détestation ne portant que sur des attitudes qu'on critique... Tout cela dénote bien des souffrances, et nous voilà ramené au bon vieux christianisme qui bien que de moins en moins répandu, conserve tout son attrait pour quelques happy few, incapables de proposer autre chose.

    C'est pour cela qu'il faut bien au nom de l'occident décrire un point des représentations de nous même qui soit un audelà, et c'est qu'ambitieusement j'appelle l'"objet G" considération du non existant servant tout de même d'attraction transcendante,  image cachée de ce qu'il faut bien appeller un divin inévitable, inatteignable et fascinant qui ne finira jamais, car sans doute origine de ce que nous sommes, de faire donc partie de notre monde... 

     

     

    (1) Houellebecq, l'art de la consolation Agathe Novak-Chevalier