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  • Les orthodoxies radicales

    "Radical Orthodoxy" (1) est une théologie catholique réactionnaire qui a pour intérêt, mérite et valeur de dénoncer Scot (et Ockham) comme les initiateurs de la modernité. Rien que ça et on en est d'accord. Refondateurs de l'ordre ancien celui qui fut donc abandonné au tournant du XIVème siècle, ils exposent ce qu'est le catholicisme et aussi la chrétienté et tapent sur tout ce qui suivit, Scot introduisant le diable, c'est-à-dire le transcendantalisme, ruinant le transcendant.  

    Les oppositions termes à termes de concepts et conceptions, plaisant à mes pensées binaires, sont saisissantes et illustratives, nul n'imagine la profondeur et la richesse des vieilles conceptions recyclées dans l'obscurité mais oubliées, et cela, c'est la faute à Scot, depuis longtemps. 

    En fait je découvre émerveillé, confirmée par ses ennemis, la grande thèse que le tournant moderne eut bien ieu en 1277 à Paris, là où Scot allait passer le bac, sur les bords de la Seine: la condamnation d'Etienne Tempier... A partir de là Aquin quoiqu'on en dise, avait perdu et l'avenir s'annonçait.

    Les noms d'Olivier Boulnois, André de Muralt, doivent être cités. 

    Moi qui d'habitude paraphrase, je cite: 

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    S’il fallait résumer la position ‘radical-orthodoxe’, ses thèses fondamentales sont les suivantes : la théologie et métaphysique de Scot et d’Ockham, en établissant le primat de l’intellect sur l’objet intelligé, ont érigé en ultime principe d’abstraction la représentation aux dépens de l’élévation et ainsi ont privilégié l’épistémologie par rapport à l’ontologie ; Scot et Ockham ont concouru de façon décisive au passage de la chrétienté et d’une économie liturgique à la modernité et à un ordre spatial en substituant une théologie et une métaphysique de la volonté à la théologie et à la métaphysique de la participation en son articulation suprême chez Thomas d’Aquin. 

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    On pourrait reprendre les thèmes, mais le statut cognitif de l'analogie par rapport à l'univocité est ici décisif: le religieux qui imprégnait le réel et qui donc devait s'en distinguer radicalement devient un être éloigné du monde, mais tout puissant tel qu'on peut le décrire. L'onto-théologique devient différent et au contraire de ce qu'on croit savoir, l'être devient un caractère auquel se soumet Dieu au lieu d'être ce qu'on pourrait lui reprocher: Dieu lui même, trame du monde. Scot est bien un moderne et il n'y a qu'une volonté, qu'un seul être et Dieu en dépend. Ce faisant, et cela est le paradoxe, Dieu est absolument libre et fait ce qu'il veut, on dirait que cela compense sa sujétion, à part que l'homme en profite: lui aussi, l'être étant univoque, est libre. Complètement.  

     

    La différence formelle

    Il est important d'avoir les idées claires là-dessus. La différence "formelle" est une différence qui se conçoit et se pense entre deux choses qui ne peuvent être qu'identiques. L'exemple est la différence (en fait l'identité) entre "création" et "créature". 

    La "création" est une relation, et la créature est une chose. Néanmoins, les deux s'identifient. En effet, l'une ne peut exister sans l'autre. On voit là l'importance de la notion même de création dans cette ontologie et l'influence de la vision "créé par qqchose" du monde... Néanmoins, on n'a là qu'un exemple, c'est tout, même si bien le concept est élaboré pour décrire un fondamental... 

    Néanmoins, le cependant a un néanmoins. La relation est moins prioritaire que la chose, et donc est contenue dans la chose, non pas comme un "accident" (elle serait alors créé, et donc on partirait à l'infini, la relation de la relation apparaissant tout de suite), mais comme  une chose identique ET moins prioritaire. La relation de création est "transcendantale" au sens du Moyen Âge, c’est-à-dire "non catégorique": elle n'ajoute rien à l'être, mais est, (en quelque sorte) une "condition" d'existence et est identique à la chose. Saint Bonaventure le disait déjà. On rappelle que les relations catégoriques relient aux dix catégories de l'être, selon Aristote. 

    "et ideo relationes creaturae ad Deum sunt transcendentes, propter quod non sunt in genere relationis". 

    La relation revient à son étant AVANT toute espèce de genre (...). Elle est la relation entre les personnes de la trinité, réellement indistinctes, et formellement distinctes. (C'est en fait l'une des questions: il faut penser la trinité). 

    Il y a là un désaccord fondamental avec Aquin, pour qui la relation est distincte de l'objet. La "justification" (tout se pense au service de certains intérêts) de cette conception est liée à la doctrine générale d'Aquin qui distingue les DEUX ordres ("duplex ordo in universo"): entre les hommes et Dieu d'une part et entre les hommes d'autres part. 

    La relation est ainsi pour lui un "accident", ce qui a deux conséquences: d'une part la relation au  créateur est première et permanente, source d'être et participation à l'être divin. D'autre part, comme la relation est "accidentelle", elle autonomise dans un second temps la création et la rend rationnelle. On a donc les deux aspects de la question, dualisés chez Scot qui en prend le contrepied. Au nom de l'évidence existentielle de la création, on se retrouve avec une dépendance corporelle à l'arbitraire divin et aussi ce qui rattrape la chose, avec  une identification au divin avec qui on partage l'être. 

    Il n'y a plus d'"ordre" et de fait, c'est l'enjeu de la prétention radicale orthodoxe que de refuser la chose. 

    On peut alors tenter de diviser les théologiens modernes, Lubac et son surnaturel du côté Aquin et Rahner avec son "être constitué par la transcendance" (parait-il mais c'est à voir) du côté Scot. 

    Cette histoire de "participation" est en tout cas bien séduisante à concevoir: une conception pro déiste de l'humain qui fait de la présence nécessaire de Dieu un caractère du religieux, un soutien à la solitude humaine et surtout un caractère du monde, intrinsèquement religieux. Cela serait le prix à payer pour son autonomie rationnelle, qui serait alors un don de Dieu (comme c'est bien fait...), qui peut même encourir le reproche d'être un peu trop "naturalisant". 

    Aquin insiste alors sur la différence essence/existence, au détriment de l'essence (les êtres sont différents, seulement analogues, c'est d'ailleurs toute une histoire), on favorise la présence de Dieu dans le monde. 

    Alors que la moderne, au fait de l'évidence divine, et dont il devient alors facile de se débarrasser, se caractérise surtout par sa liberté et donc par l'arbitraire divin et humain. 

    Au passage, une définition de l'"être" comme relation entre essence et existence. Qu'est-ce que l'être ? Les différentes formes de cette relation... Pour Scot, l'existence dépasse l'essence et a pour vocation d'aller à la béatitude. Ah que c'est beau, tout ça. 

     

    L'Analogie 

    Puisqu'on parle de l'ordre du monde, pour Aquin il y en a deux, comme on a dit. "duplex". Cela veut dire deux êtres, celui du créateur et celui de la créature (comme on se retrouve). Venons en aux prédicats attribués aux choses qui peuvent être 1) "univoques" c’est-à-dire caractérisant la réalité unique et commune des choses 2) "équivoques", c'est-à-dire caractérisant des réalités différentes, 3) possiblement "analogues" c’est-à-dire ordonnant les choses suivant leurs proximités  à un premier, celui-ci étant "causal" des autres. 

    De fait, la question est d'importance: l'être est-il un ou multiple ?  La question arrive dans le monde chrétien qui innove avec son créateur sémite radicalement original dans le cosmos incréé des grecs. Pour Aristote, l'être se dit "de plusieurs choses", mais en relation toujours avec la substance, sous un sens ou un autre, c'est la fameuse (parait-il) équivalence avec le "sain" qui conserve, figure ou produit toujours la même chose et qui est la "santé". 

    Bon, les moyen-âgeux hésitaient entre un être "univoque" (ça c'est Scot) qui conduirait au panthéisme car la nature devient identique au divin qui est ainsi rendu inutile, ou "équivoque" et là on ne peut plus connaitre Dieu du tout, car trop différent... Ce fut le mérite d'Aquin que de trouver un juste milieu... 

     

     

    (1) https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2002-4-page-561.htm

    (2) Louis-Marie Chauvet https://www.nonfiction.fr/article-10681-dieu-les-sacrements-et-les-catholiques.htm$

    (3) La doctrine Aquinate de la création: https://doc.rero.ch/record/329816/files/emery_relation_creation.pdf

    (4) la distinction formelle et le pb corps esprit : http://martinetl.free.fr/philosophie/scot_davidson.htm

    (5) La doctrine de l'analogie d'Aquin : https://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Forum/Montagnes_anal_entis.pdf