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Les liquides (Bauman)

On a lu sur Zygmunt Bauman l'auteur des X liquides, penseur de la post-modernité, juif, lieutenant de l'armée rouge à Berlin en 45, communiste longtemps, universitaire polonais exilé en Occident en 68. 

D'abord, que comme d'habitude, les synthèses trop rapides sont insuffisantes, et qu'il faut considérer l'ensemble des oeuvres... 

D'abord que Bauman est un épistémologue de la sociologie et se trouve hétérodoxe: à l'opposé du positivisme initial et toujours présent de la discipline, il veut comprendre plutôt qu'expliquer, et considérant que la sociologie est plus une herméneutique qu'une physique, et doit être un commentaire sur l'action d'acteurs interdépendants plutôt que l'élaboration des lois concernant des fait sociaux qui ne sont pas ni des objets ni des choses. 

Et puis il y a la "post" modernité, la modernité "sans ses illusions", qui a "liquéfié" la société. 

Le "progrès" image de notre monde a en fait l'image de l'ange de Klee décrit par Benjamin, dos à l'avenir, il écarte ses ailes. 

Mais Bauman est surtout connu pour son interprétation de la Shoah (il parle d'"holocauste") du point de vue d'un juif, dont la femme survécut à l'insurrection du ghetto de Varsovie. Il substitue à la "banalité du mal" d'Arendt, la notion de "rationalité du mal" et décrit l'extermination comme un évènement très au-delà du simple antisémitisme: une société évoluée, civilisée, bureaucratisée est parvenue à anesthésier le sens moral , on dit "adiaphoriser" pour s'autoriser cela et l'organiser rationnellement et industriellement. 

Car la guerre, tout comme l'extermination, va au-delà de la morale pour s'exprimer industriellement et c'est la grande leçon du XXème siècle: le travail organisé massif des hommes produit un au-delà de toute émotion et de toute morale. 

C'est moi qui ici juxtapose guerre et extermination et me permet de "sortir" (nous sommes le 11 novembre) du caractère exclusivement juif de la réflexion sur les guerres mondiales, destructrices des peuples exterminés, certes, mais aussi des autres peuples et au combien, cela ne peut être ignoré. Bien sûr il y a la manière mais Le Pen avait il objectivement complètement tort en évoquant (c'est la polémique du jour à cette date en France) comme un "détail de l'histoire" l'utilisation des chambres à gaz par les nazis ? 

Note: le "détail" selon Le Pen s'applique bien à l'utilisation des chambres à gaz, et non au génocide, qu'il ne nie pas. Il se contente, en phase avec la polémique Faurisson de l'époque, de considérer l'affaire des chambres à gaz comme une "querelle d'historiens", qui avait donné lieu d'ailleurs, à l'exhibition de preuves certaines, et à la condamnation d'un "révisionnisme" effectivement délétère mené par des personnages troubles aux visées assez transparentes.

Car l'anesthésie morale porte bien sur la violence en général, et encore plus quand elle est assumée par des sociétés dans leur ensemble, qui deviennent unanimes à célébrer la mort par millions de militaires et, il faut le souligner en particulier pour les évènements du XXème siècle, de civils, et cela par populations entières, on ne peut ignorer les Arméniens, les Russes blancs de 1917 et les koulaks des années trente. 

Peut-on considérer aussi les 12 millions de déplacés allemands de 1945, expulsés de toute l'Europe de l'Est, soumise au préalable aux viols de masse de l'armée rouge, puis ensuite à 45 ans d'une occupation pénible, pour le moins ? 

Les souffrances que les hommes s'infligent sont infinies. 

On continuera avec Bauman en évoquant sa lecture de Hans Jonas, qui en bon heideggerien s'est permis, c'est le sujet, d'étendre le "dasein" : l'être là moral de la personne en interaction avec le monde doit s'élargir et inclure  la transmission du monde à ses enfants et donc s'assurer par son action de la possibilité d'une vie humaine sur terre. 

On est là, de fait, dans la négation même du caractère "enraciné" de Heidegger, l'universalisme juif excédant la théorie nationaliste du boche pour donner à l'humanité l'écologie comme sentiment moral personnel, en charge de sauver la planète... 

Le conflit est ainsi parfaitement net, et on en revient à l'antisémitisme, décrit par Bauman comme d'autant plus féroce que s'appliquant à des personnes connues localement depuis longtemps et en petit nombre, au point que le juif détesté est en fait un "juif conceptuel", symbole vivant de la viscosité des frontières, des points de vue anciens, des "c'est comme ça"  admis depuis toujours, soudainement balayés et relativisés par l'époque devenue incompréhensible.

C'est alors (et c'est ma théorie à moi) que la souveraine bêtise qui transforme les symboles en leur partie matérielle en violant toute culture et toute civilisation, s'en prend au signifiant et se met à tuer... Le concept euh l'humain particulier qui pour son malheur le représente à cet instant... Mais pour cela, il faut quelque chose en plus, et c'est l'industrie, c'est la technique, sortie avec habileté par Heidegger pour s'en sortir au dernier moment... 

Il faut ajouter quelque chose toutefois, et qui est apparu assez nettement, mais pas par tout le monde, assez récemment. Je parle de ce qu'on pourrait appeler le "soupçon", porté en permanence par les "opinions" des années anciennes et qui se traduit par une dénonciation implicite permanente du "chut le juif" assénée sous forme de clin d'oeil à tout propos. En plus d'être une maladie mentale, il s'agit d'une expression malade, puisque affectant la parole autant que la cognition qui la porte. C'est le commentaire de réseau social qui s'écrit systématiquement "SSioniste" pour  mieux "critiquer la politique de l'État d'Israël", c'est l'allusion "aux banques" des commentaires de Soral dont la signification est évidente, c'est le rappel aux faits de Youssef Hindi qui évoque le Mossad acteur de l'attentat du 11 septembre avec un témoignage de derrière les fagots qui ne prouve rien mais qui constitue une allusion "bien sûr". Sans parler de très gluants ricanements de Dieudonné, parfois drôles, mais de la même veine, et étrangement glaçants. Car "antisémitisme" s'associe à complotisme, le "juif" étant bien sur intrinsèquement engagé dans une manoeuvre de domination du monde dont les signes sont partout... Le liquide coule partout... 

De fait ce liquide, nommé "juif" ou pas, coule bien et on se doit de se poser la question. 

 

 

 

 

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