Les causes premières
Aristote est un gredin, on le sait. Sa "métaphysique" fut collectée après sa mort, par sa femme, euh par Andronicos de Rhodes (au 1er siècle avant JC), un bibliothécaire. Le titre "Meta ta phusika", absolument pas utilisé par Aristote, fut introduit par Nicolas de Damas, contemporain d'Herode 1er, dans une paraphrase.
"Elle" est formée de 14 livres: A, alpha, B, Gamma, Delta, E, Z, E, Teta, Iota, Kappa, Lambda, Mu, Nu.
La nature de cette réflexion là est particulière, et il faut se mettre dans un état mental particulier pour la percevoir: il s'agit de classifier et de donner sens non pas à ce qu'on dit, mais aux mots et principes qui conduisent à ce qu'on dit. C'est le niveau "meta", d'où le titre. En fait, c'est ma compréhension, ce fameux niveau est "ontologique", en ce qu'il décrit ce qui "peut" (et donc doit) être de nos attitudes face aux choses et donc de la nature des entités qui qualifient ces choses. Il s'agit de la description raisonnée, de la connaissance, des choses et de ce qui les qualifient. La question est donc celle de l'organisation du savoir.
Comme d'habitude, on classifie "naturellement": les choses en question (les qualificateurs) sont "évidemment" ceux là, et Aristote figerait ainsi pour toujours l'attitude humaine. En fait, il fige l'occident avec des bavures évidentes, et le commentaire voire l'examen irrévérencieux devient alors gage de toutes les réflexions ultérieures, le domaine de la philosophie se trouve ainsi crée comme une seconde nature, au delà de la physique, d'où le titre.
Nature que l'on peut voir et donc décrire de diverses manières. Pouvoir façonner non pas la réalité, mais les concepts utilisés pour la décrire a quelque chose de fascinant, et cette fascination là, assez ancienne, ne cesse pas d'être distrayante; bien que vélléitaire et un peu con, je ne suis après tout qu'un humain comme les autres.
Bien sur, il y a l'enjeu des désaccords avec les pré socratiques, qu'Aristote éreinte tout ce qu'il peut, et aussi bien sur avec Platon, on en a déjà parlé un peu.
On veut en fait s'interroger sur la nature de l'anti aristotélisme revendicateur des différentes époques. Un aspect important est évidemment la guerre avec les platoniciens mais aussi avec tous ceux qui à l'époque moderne ont voulu faire du neuf avec ce vieux bouc là.
Le thème de la pensée de la différence de degré entre entités est particulièrement intéressant et se trouve être un noeud des différences entre les évidences supportées. Les choses sont elles vraiment distinctes ou non ?
On commencera par l'âme et le corps, rien que cela, en considérant bien sur l'importance de la polémique sur la réalité des intelligibles.
Les 4 causes
On évoquera brièvement la tripartition en essence, existence et vérité soit entre l'être, le devenir et la connaissance. Il y a aussi une tétrapolarité (selon Aristote) entre quatre causes : matérielle, formelle, motrice et finale.
Pourquoi diable 4 ? Et bien parce que. La sophia qu'on aime a pour objet l'étude des causes premières. C'est d'ailleurs l'objet du livre A. On notera deux couples (matière et forme d'un coté, mouvement et fin de l'autre).
Ces deux ordres de la cause, comme origine et explication furent critiqués dans l'histoire. Pour Spinoza et Descartes, cause formelle et matérielle s'identifient et s'annulent, et la cause finale est oubliée. Seule la cause motrice, identifiée à la cause "efficiente"se trouve avoir droit de cité. Puis on s'avance jusqu'à la cause moderne, qui met en relation des systèmes organisés suivant des lois. En fait cette histoire de cause motrice va plus loin: de doctes experts s'accordent pour dire que c'est bien la conception même de la cause qui était différente chez les "anciens". Pour eux, la cause résidait dans l'objet, comme attribut de l'objet. C'est ce qui aurait empêché le développement d'une vraie science, toute entière faite de la réflexion sur la cause extérieure, typiquement la cause "créatrice", typique du moyen âge qui critiquait Aristote tout en le révérant.
On en vient alors à un autre noeud du problème, la cause efficiente de la passion du Christ. Les juifs ? La question est posée. Saint Thomas développa toute une doctrine sur la question et qui n'est point antisémite, loin de là, ou à peine: les juifs sont coupables, bien que leur culpabilité soit diminuée par leur degré d'ignorance de la gravité de ce qu'ils faisaient. Cette question de l'ignorance est le "mystère d'Israël". Ajoutons aussi que dans la doctrine, il y a bien accord entre le père et le fils pour vouloir le sacrifice, ce qui est aussi une cause, et une autre cause du mystère.
Plotin
Mais on doit parler de Plotin, le maitre du libanais Porphyre de Tyr, le fameux auteur du programme de philo du moyen âge, l'Isagoge, et qui au passage édita les Ennéades mais aussi écrivit un "contre les Chrétiens" qui condamnait le christianisme aussi bien pour sa religion que pour sa philosophie... Porphyre pense en effet que les religions ne sont que des cultes aux démons et que le philosophe est le seul vrai prêtre.
Plotin qui se présente lui même comme un simple commentateur de Platon est une sorte de maillon avec les "philosophies" orientales de la non réalité du monde: en gros, ce n'est pas l'âme qui est dans le corps, mais l'inverse, et aussi qu'il y a des degrés dans le réel, celui ci s'identifiant bien sur dans l'intelligible et non pas dans le sensible, dernier niveau de la hiérarchie des choses, à oublier bien sur.
Cette pensée du "continu" est ontologiquement démontrée non aristotélicienne par Plotin lui même, car ce n'est que par la hiérarchie des attributs entre eux qu'Aristote nuance. En parlant d'ontologie, il faut bien comprendre que la critique aristotélicienne contre les intelligibles "réels" les identifient avec du sensible chosifié, classifié par lui même, ce qui en démontrerait l'absurdité, bien sur absurde: Plotin expose à son tour ses objets à lui, classifiés précisément par ce qu'il ne sont pas, sensibles... Il va même plus loin encore, le sensible n'étant pas, selon lui, susceptible de connaissance.
L'argument vaut le détour: l'intelligible se distingue du sensible du fait que sa substance s'identifie avec sa cause première, essentielle. La connaissance n'étant que savoir sur les causes, l'objet physique, définitivement dual ne peut être atteint, seul l'idée le peut. CQFD. Seule la sensation, distincte des corps, caractérise leur existence.
Le premier moteur
De même que la "métaphysique" est en fait appellée par Aristote la "science première" (évidemment), et donc connaissance des choses "première", le premier principe ou cause suprême, l'"arkhé" ("principe") s'identifie ainsi à Dieu, seule chose qui puisse justifier qu'on connaisse quoique ce soit... C'est d'ailleurs la preuve reprise par Aquin lui même.
Aristote introduit cette idée du "premier moteur", immobile bien sur, et qui fait tout marcher. Il est éternel bien sur aussi, mais et c'est là le truc rigolo, il se doit d'être "acte pur" et donc être dépourvu de toute puissance, c'est à dire de toute potentialité. Zéro cheval vapeur... En fait l'argument est que ce qui est en puissance suppose un acte pour devenir quelque chose et il faut rompre le cycle infernal. La pureté exclusive suppose donc l'impuissance de Dieu, qu'est ce qu'on se marre.
Plotin encore
Pourquoi Plotin ? Parce qu'il n'est pas d'accord avec Aristote au sujet du moteur. D'abord le moteur n'est pas premier. En effet, il est pensant et donc duel: il pense et meut et donc n'est pas simple et donc pas premier.
C'est cette disjonction entre pensant et mouvant qui se trouve inacceptable pour Plotin et secondaire pour Aristote.
La Matière
On avait abordé la question de la khora, la matière pré-existante que le démiurge façonne.
C'est bien cela le matérialisme: la croyance en une chose qui pré existe, par opposition à la création ex nihilo, défendue par exemple par Tertullien contre Hermogène. Pourtant, la chose est discutée: la khora serait aussi un espace vide et donc non matériel. Et puis aussi, cette substance support inodore qui doit recevoir les parfums...
On avait parlé des degrés de réalité; comparons un bloc d'argile et le vase qui en est issu: sont ils différents ? Si non, on est tout de même un peu insatisfait, et casser le vase lui fait tout de même quelque chose... Si oui, on a bien une infinité d'objets intermédiaires à peine différents et on pourrait douter. Ah quelle est belle cette expérience de pensée... Platon donne évidemment à la structure, au tout, des propriétés particulières et les décrit avec la métaphore de la syllabe, un tout composite.
Les 3 théories
Il y a 3 théories: le platonisme, l'aristotélisme et le nominalisme. L'aristotélisme est un compromis, le nominalisme refusant toute réalité aux idées abstraites, alors que, philosophie par excellence des mathématiques, cette réalité n'est pas mise en doute par les matheux. On attache le beau nom de Gödel au platonisme mathématique, celui ci donnant la même réalité aux objets mathématiques et physiques, et une sensibilité à la perception mathématique.
Pour finir, une belle comparaison fait par F. Nef, qui rend équivalent la composition des objets concrets en objets abstraits éternels avec la présence du temps dans l'éternité.
(1) https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00547892/document Olive: Retour sur l'efficience des causes
(2) https://philosophique.revues.org/280 Mattei: Les deux souches de la métaphysique
(3) http://etudesplatoniciennes.revues.org/263 Nef: Platon et la métaphysique actuelle