Les nations
Habermas (1) prédit la fin de l'État Nation, au nom du mondialisme et du communautarisme. Les deux forces sont puissantes et vont en sens contraire: elles détruisent le local au nom de l'universel et de son contraire. Écrasé entre l'autre qui englobe et l'autre qui concurrence, le natif, le national donc, n'a plus de motivation à soutenir l'État qui ne devient plus qu'un État de citoyens attachés à leurs droits.
Décrit comme Allemande donc raciale et géographique, sans parler de la langue, la nation Allemande de Fichte est pourtant différente de la nation Française de Renan, on a déjà assez opposé les deux conceptions.
La Nation française est donc l'expression d'une volonté et non pas d'une nature... On en vient donc à Herder, et à sa conception "naturelle" de l'humanité, naturellement segmentée en natures distinctes, toutes légitimes et par là même toutes particulières, à l'opposé de l'universel caressé par l'Esprit Français dont il critique les lumières.
Décrit par Taylor lui-même comme le père du relativisme culturel, Herder est donc le chantre proto nazi de la terre, du volkich (sans en vouloir la suprématie toutefois, MAIS).
Tout est dans le "mais". On essaiera donc d'appliquer à la volonté française le "mais" nationaliste Allemand, qui qualifiant la nature allemande comme propre et donc principale, s'attachera à établir sa suprématie, la tendance étant, elle aussi, naturelle...
On est là en plein dans le mécanisme de différentiation des différences opposant en dédoublement multiples les préférences terrorisées par ce qu'à quoi peut nous mener nos propres divagations.
Car la volonté française peut s'exercer dans les deux sens. Qui a dit qu'il ne s'agit QUE de la volonté de venir ? Etouffé par la conception de la liberté et de la volonté, le système universaliste Européen ne donne jamais à la volonté propre, initiale, celle d'accueillir, la moindre importance...
Volontaire à l'entrée dans l'UE, la Turquie eut longtemps licence à cela, sa population musulmane en faisant à terme le premier pays européen ne gênant en rien les légistes, persuadés que les critères suffiraient à pacifier tout cela.
Heureusement que les primitifs kurdes, attachés aux meurtres d'honneur et abominablement réprimés pour leur irrédentisme ont tenu éloignée la dictature asiate passionnée de déportations de populations. Il fallut aussi ce chef d'Etat Français d'origine hongroise qui ne pouvait imaginer coucher dans le même lit de ce qu'il avait combattu mille ans, comme de juste. Bref, la question de la volonté d'accueil se pose.
La demande de l'Ukraine, sanctifiée par la souffrance injuste de qui avait prévenu une agression dans l'autre sens, fut évidemment acceptée sous les hourras par l'UE et l'OTAN, le désespoir de ne pas pouvoir le faire "tout de suite" étant exprimé publiquement. La question de l'adhésion à l'OTAN, évidente, ne peut être refusée: on ne refuse pas l'adhésion à un club qui devient plus puissant à chaque nouveau membre... Ce réflexe est extrêmement puissant en Europe, qui a abandonné toute préférence "propre", toute stratégie identitaire dans son expansion.
Se vivant elle-même comme DEJA cosmopolite, elle ne peut admettre qu'il y ait de frein à toute nouvelle arrivée, la différence du nouveau avec elle-même, déjà pensée comme nouvelle à soi, ne pouvant qu'être nulle.
Que cela la rende radicalement différente de tous les autres, les puissances individualistes qui dans les faits se contentent d'exploiter à leur profit cette attitude délirante, n'est manifestement pas perçu et nous introduit ainsi au sentiment national.
Il est bien sur pour eux le négatif de ce triste état, conçu comme moderniste et évident par toute l'intelligentsia et toutes les élites clouées par la raison sur la croix du légalisme. Celui-ci qui a obturé tous les pores qui pouvaient exsuder ses humeurs, ses préférences, ses sécrétions, sa nature, en quelque sorte, et de fait, ses volontés et nous y sommes.
Ainsi donc, et c'est ce que je veux dire, il faut réhabiliter au-delà de la simple volonté d'entrer, la volonté d'accueillir, caractère à mon sens décisif de la cohésion nationale et critère de sa constitution, spécialement dans le contexte dynamique de celle-ci.
On peut caractériser cette volonté là dans deux directions, qui sont d'une part la liberté d'exprimer des préférences, d'autre part la légitimité à ne pas en donner de raisons.
La liberté est un droit de décider, à garantir, et elle permet d'exprimer le choix. La légitimité de l'expression du choix est celui de ne pas avoir à s'en justifier, le refus toujours mal perçu ne devant, par définition, pas être augmenté d'appréciations négatives qui le rendrait encore plus conflictuel.
Il est donc essentiel de mettre en œuvre et de développer, au titre de l'élaboration de nouveaux droits, des procédures de choix collectifs destinés à exprimer des volontés collectives déterminées et explicites, mais non explicitées. De fait, le statut de citoyen doit pouvoir permettre d'exprimer la volonté nationale qui se résume en quelque sorte à la possibilité de déterminer qui peut le faire aussi. Sans ce choix, il n'y a plus de liberté et plus de nation.
Cette association de la liberté à la nation constituée qui décide de sa constitution au sens de ce qu'elle fait et de qui elle est constituée pour en décider est fondamentale. Sa dissolution du fait de phénomènes qu'on se croit incapable de réguler est donc un crime contre la liberté mal connu.
(1) Habermas et l'évolution de l'Etat Nation https://www.implications-philosophiques.org/habermas-et-lavenir-de-letat-nation/