Les islams
En ces temps troublés où il n'y a pas de musulman non pris les armes à la main qui ne parle de réforme, tout comme d'ailleurs aussi leurs adversaires inexpiables qui sont aussi les nôtres, c'est dire si le sujet est important; il convient de décrire l'un des points fixes de cette fameuse réforme, tout en re-précisant son ancienneté, c'est dire si le sujet est futile.
On se rapportera à (1) et (2) pour plus de détails, le sujet fut déjà fouillé.
Je veux parler du Mutazilisme, l'apostrophe après le "mu" étant omis, notre maniérisme étant limité par notre fainéantisme. On en avait parlé en (1). On recommence.
Le Mutazilisme c'est d'abord celui qui s'abstient lors de la grande Fitna. Rattaché à Ali (Wikipédia s'obstine toujours à parler de lui sous la forme "Ali Ibn Abi Taleb" est bien sur le gendre du prophète, l'initiateur de la fitna, l'inspirateur du chiisme.
Pour résumer l'histoire de la Fitna (discorde), il faut savoir qu'Ali le cousin et gendre (Mahomet n'eut que des filles, dont Fatima), aurait du être le successeur. Las ! Ce fut Abu Bakr, auquel succéda Omar tué par un perse, puis Othman, qui épousa deux filles de Mahomet (Rukkaya et Oum Kultum) lui même assassiné. Et ce fut le tour d'Ali, lui même accusé d'avoir fait tuer Othman.
Il est désigné dépositaire par Mahomet à Ghadir Khumm, à mi chemin entre la mecque et médine, de la "mawla" interprétée différemment par les sunnites, chiites et soufis, respectivement comme l'autorité familiale, religieuse et spirituelle.
Mahomet donna son sabre (Zulfikar) à Ali, qui s'en servit magnifiquement (le classique et très moyen âgeux découpage depuis le sommet du crane jusqu'à la moitié de la poitrine d'un méchant (sans doute)). D'où le très "religion de paix": "il n'y a pas de sabre comme Zulfikar, il n'y a pas de héros comme Ali".
Ce fut la "bataille du chameau", avec Aicha la femme de Mahomet (mariée à 6 ans, elle ne fut consommée qu'à 10, mais bien sur il a d'autres âges respectifs mentionnés), sur un chameau elle dirige l'armée et perd la bataille quand ses troupes se débandent, après qu'on ait coupé les jarrets du chameau...
La bataille en question fut décisive et se trouve être la manière dont on philosophe en islam au sujet du un et du multiple. C'est le fameux "il y a 73 sectes en islam, toutes iront en Enfer sauf un(e)"...
Mais revenons en arrière, à l'issue de la bataille de Siffrin, Ali traite avec Muhawiya, ce qui est refusé par les kharidjites qui le tuent. Muhawiya fonde le califat Omeyyade, capitale Damas.
Les kharidjites, dissidents de l'islam par excellence, se divisent en blancs (ibadites) jaunes (sufrites) et bleus (azraquites). Les ibadites sont encore à Oman, à Djerba en Tunisie et au Mzab en Algérie.
Puis vinrent ceux qui trucidèrent les Ommeyyades,les Abassides, capitale Bagdad.
C'est d'ailleurs le rejet du pluralisme par le très autoritaire calife abbasside mutaziliste Al Mamun qui causa le rejet de la belle doctrine, et d'ailleurs de toute l'autorité religieuse du calife. A vouloir imposer par la force un coran crée, on créa par réaction la belle religion de paix sous sa forme actuelle et cela au nom de la très civilisée séparation des pouvoirs...
Après Al Achari, l'ex mutazilite qui fonda l'acharisme, le mutazilisme disparut complètement n'exista plus que comme le repoussoir philosophique et religieux. Bien sur il s'allia au maghreb avec les kharidjites ibadites mais c'est pour la forme: un repoussoir vous dis-je.
Mutazilisme
Le Mutazilisme fut en quelque sorte le contraire du Khardjitisme: il fut l'école théologique qui ne prenait pas parti et qui se donnait des critères rationnels, il se trouve être l'objectif des réformateurs avec évidemment le tort de contredire les doxas installées: coran créé et actes crées par l'homme. Ca fait beaucoup.
Fondé par Wasil ibn Ata à Basra, il marque la ville, impliquée dans le drame de la mort d'Othman.
Quand on pense que El Gazhali, le maitre des soufis dit le contraire exact et s'oppose à tout rationalisme, on mesure l'abime qui sépare les réformateurs des autres. Cela fut décrit en (3).
On associe le Mutazilisme rationalisateur avec l'école juridique dite Hanafite (la turque, celle qui avait cour dans l'empire Ottoman) la plus libérale, celle qui ose le recours à l'analogie pour interpréter. C'est aussi la seule qui ne récuse pas le talion entre un Dimmi et un musulman dans le sens de gauche à droite... Par contre le frère Qaradawi serait hanafite, comme quoi.
Sur la question des "actes" des hommes, le mutazilisme nie donc que Dieu soit le créateur des désobéissances, et de la mécréance. L'homme est ainsi libre et se trouve récompensé et puni. Dieu ne crée pas et ne veut pas le mal. Cette asymétrie entre bien et mal, le mal n'est qu'une non existence, permet ainsi de rendre l'homme seul capable du mal, de part sa liberté. C'est le fameux 4.79 "tout le bien vient de Dieu, tout le mal de l'homme". Pourtant il y a aussi: 37.96 "il vous a crée et tout ce que vous faites"...
Initiée par la première des grandes voies islamiques la Quadariyya, cette manière de voir conduit à un juridique examinable par la raison, le bien et le mal étant accessible à l'homme. Permettant un statut du pécheur entre apostasie et soumission totale, la "demeure entre les demeures" est typique de l'approche Mutaziliste.
Par ailleurs l'affirmation d'un coran crée introduit l'accusation qui leur est faite d'"associer" Dieu à quelque chose d'autre. Hérésie et malédiction.
Pour compléter les choses, les Mutazilites associent intelligence et volonté alors que la réaction acharite donne tout pouvoir à la volonté (de Dieu).
Al Gazhali dans "le juste milieu dans la croyance" fait discuter le mutaziliste Al Gubai et Al Achari lui même sur la question des 3 frères, le pieux, le mécréant et le mort en bas âge. Qu'arrive-t-il au mort né ? Alors que le mutaziliste dit que Dieu ne le punit ni ne le récompense car il voulait le faire mécréant s'il l'avait laissé vivre, Al Achari rétorque que le mécréant aurait du donc mourir en bas âge...
Achari apporte toutefois une très légère dose de liberté dans l'attribution à Dieu de toute la volonté. Assez pour disculper d'un total déterminisme, assez peu pour ne pas devoir s'y soumettre (5). Disons que l'homme "acquiert" un acte crée par Dieu, le "kasb" étant l'acte volontaire complexe, à discuter et de multiples interprétations furent proposées...
Il faut ajouter un camp dans cette belle discussion: celui des falsifa, euh des "philosophes", qui se différenciaient nettement des mutazilites mais qui furent tout autant rejetés et anathémisés. Farabi, Avicenne, Rushd voient le monde comme nécessaire. Encore pire: Dieu est un moteur raisonnable, infiniment puissant et à qui il faut s'unir. Tout ceci, qui se voulait décrire rationnellement l'infiniment arbitraire, fut rejeté avec violence.
Dans la réalité, le refus il y a mille ans, non seulement de la philosophie, mais de la seule alternative théologique à l'écrasement absolu de l'humain devant une divinité autoritaire dont l'unicité ne cédait rien à la cruauté et au total manque d'intérêt pour le développement humain, consacre l'impossibilité complète de faire quoi que ce soit avec la religion en question. Elle doit disparaitre, la voilà la réforme qu'on cherche.
(1) http://francoiscarmignola.hautetfort.com/archive/2016/09/17/les-theologies-musulmanes-5848990.html
(2) http://francoiscarmignola.hautetfort.com/archive/2015/11/11/les-ecoles-musulmanes-5714316.html
(3) http://francoiscarmignola.hautetfort.com/archive/2016/09/11/le-dernier-philosophe-5846460.html
(4) Doctrine Mutazilite: https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1973_num_13_1_1218
(5) la doctrine acharite: http://openaccess.uoc.edu/webapps/o2/bitstream/10609/54442/5/La%20pens%C3%A9e%20classique%20arabe_Module4_Le%20kal%C3%A2m%20d%27Al-Ash%27Ari.pdf