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Les gauchers

À l'occasion de la publication d'un grand livre (1), on voudrait affirmer outre une grande admiration pour la hauteur de vue, incroyablement saine et salutaire, de l'oeuvre, un total athéisme qui se voudrait "au delà" de la grande description de l'A. (l'Auteur, par l'au delà). 

En gros, la sortie de la religion, thèse principale du monsieur, est arrivé à un tournant, en fait celui décrit par Todd: après la mort de Dieu, nous avons celle de son fantôme et de ses fans zombifiés. ll ne reste rien, et les structures mêmes du social, qui restaient basées sur l'hétéronomie ancienne s'effondrent: les "droits de l'homme" règnent en maitre, l'autonomie de tout est manifeste et la "démocratie", fierté occidentale, et d'ailleurs l'occident tout court, entrent en crise. Ce qui reste du religieux est ainsi complètement réduit à l'individu, la seule chose qui semble rester... 

Le bouquin

La description, détaillée, et argumentée, d'un état de fait indubitable est magnifiquement faite, et surtout articulée: partout des contradictions intrinsèques nouées entre elles,  font qu'on a même si il est "centralisé", un paysage pluriel qui, si l'on peut dire, "ne prend pas parti". C'est cela la hauteur de vue. 

Les populismes de droite et de gauche sont convenablement identifiés et emboités, les libéralismes du centre, de droite et de gauche aussi et l'interprétation centrale, anthropologique, donc indulgente et aimante de l'humanité, séduisante et considérable, c'est-à-dire qu'elle peut être considérée, et avec attention. 

Les 3 points nodaux de l'œuvre: 

- ce qu'on appelle "démocratie" c'est en gros le régime issu de la 2ème guerre mondiale, c'est-à-dire l'Etat social actuel qui fit qu'un capitalisme atlantique dit "néo libéral" a négocié avec les populations ce qui était nécessaire pour échapper au communisme, et a fini par en triompher. 

- la base de nos problèmes, et la substance à travailler ne sont pas les "modes de production" marxistes ou leurs avatars de réduction à l'économique, mais "les modes de structuration" de la société, c'est-à-dire ce qui fait l'existence et la déclinaison du "démocratique", le principe d'organisation de nos sociétés. La structure, c'est ce qui légitime et oriente. 

- Il y a trois déclinaisons de ces structurations, qui concernent le politique, le judiciaire et l'historique. Là se déclinent séparément, mais suivant les mêmes lignes de force, les crises de notre temps. L'idéologie néo-libérale est ici motrice, dans les trois directions, sans être, donc, réduite à l'économique. Elle est un dispositif. 

On y ajoutera le caractère "caché" de ce qui alimente la crise: le monde démocratique semble marcher, en fait on se plaint qu'il dysfonctionne, mais "tout seul". Une acception pour l'utilisation du mot "nœud", l'occultation concernant les trois modes. 

Les contradictions

En permanence et sur tous les points, l'A. identifie des contradictions support de sens effets ou causes de la crise à expliquer. Par exemple, la démocratie elle-même: universelle et proclamée à qui mieux mieux, elle fait l'objet de multiples conflits d'interprétation et de mise en oeuvre, dans tous les niveaux, et dans tous les modes. 

Par exemple et surtout, histoire de descendre d'un niveau, il y a contradiction manifeste entre l'expression revendiquée de la souveraineté populaire, liberté du peuple et l'expression revendiquée de la liberté individuelle, droit de l'homme, les deux étant simultanées et assises l'une sur l'autre. Cette contradiction est conflictuelle et exprime une bonne part de la fameuse crise. 

Il y en a d'autres, et on peut les citer: mondialisation et universalisation localisée de celle-ci, capitalisme basé sur et défiant la démocratie, contestation de la vérité officielle au nom d'une vérité tout aussi scientifique, sentiment d'insécurité dans une société maternante, injonction forcée à être un individu libre, 

Ces contradictions forment des noeuds et stabilisent la crise (ça c'est de moi) les conflits structurant les existants. Par exemple, les dépenses sociales assises sur les revendications individuelles, stabilisent un capitalisme rendu possible par ces mêmes revendications individuelles dans les deux sens de leur expression. C'est cela en gros le néo libéralisme, pourtant contesté par les populismes, dans le grand débat de la crise actuelle. 

Une grande cause à tout cela: l'achèvement complet de la sortie de la Religion, toutes les références même zombies au grand tout extérieur structurant et justifiant le social ayant maintenant complètement disparues. Gauchet souligne la longue durée (toute l'histoire antérieure à la nôtre) du phénomène et donc, l'importance de la mutation... 

On avait parlé de la perte du "symbolique", le voilà expliqué tout simplement; c'est le "nihilisme" de Todd pour qui la date définitive de la chose est l'instauration du mariage pour tous (2013), Gauchet en parle à peine, se contentant de mentionner que l'hétéronomie ancienne eut deux phases, suivant la présence de l'extérieur divin ou son absence remplacée par des forces révérées humaines, aujourd'hui disparues.

Les 3 piliers

On peut décliner tout cela sur les 3 piliers politique, juridique et historique mais les discours et saillies sont les mêmes, même si nombreuses, et c'est à cela que s'emploie Gauchet. Au passage, la structure tri partite c'est aussi celle du sociétal "traditionnel": domination, sacralité, tradition qui expliquait tout, du moins "avant"... 

L'Etat souverain est soumis ou discuté, la légitimité expression d'un contrat social, et l'histoire est celle de la perte des traditions. Le Politique, expression du collectif nécessaire se trouve complètement submergé par LA politique, expression calculée des acteurs irresponsables. Ainsi, les droits individuels, toujours eux, ont affaibli les alliances libéraux/conservateurs et communistes/socio-democrates, ce qui a mis en scène l'alliance libérax/socio-démocrates contre les populismes !

Le droit, et donc l'Etat de droit, pourtant construit sur la séparation entre droit naturel et droit positif, le droit positif étant finalement contaminé par le naturel et devenant autre chose, comme pour mieux résoudre la différence marxiste entre droits rééls et droits formels. Dans le capitalisme, rongé par la chose, le "signal droit" se substitue au "signal prix" ! Ne se jugent plus que des droits individuels au-dessus de tout autre intérêt, national ou même collectif. L'Etat de droit de Kelsen est devenu débile et ne nous protège pas assez de la tyrannie des minorités, et le "contrôle" est devenu "empêchement": le couple "juge/média" annonce les jugements, et juge les annonces. 

Note: la CEDH (novembre 2024) protège les droits d'un trafiquant de drogue étranger dont on interdit l'expulsion.

L'histoire, modélisée finalement par la grande vision hégélienne de la "fin" (terminaison ou objectif) de l'histoire, le centre du dispositif progressiste, exploité par Marx, puis par toutes les finalisations, y compris celle de la disparition réchauffée de l'humanité, est multiple et éclatée, systématiquement contredite par les faits, depuis la victoire de la Prusse sur Napoléon (deux fois), du capitalisme technicien, de l'échec du club de Rome et aujourd'hui de l'échec de la conférence sur le climat... L'histoire n'est donc plus que présent, un "développement" ignorant du passé et... du futur. 

La révolte des masses fut aussi suivie de la révolte des élites, abolissant le langage commun peuple/élite, autre facteur de la dissociation démocratique actuelle. 

Nous serions donc dans un état symétrique du grand totalitarisme passé: "le" politique et "la" histoire, qui écrasaient tout au XXème siècle, ont disparu. 

Au final

On (Gauchet) fait remarque que Kant lui-même parla de "l'insociable sociabilité" pour qualifier le monde émancipé visionné  à son époque: les concepts en oeuvre ici datent ou seraient éternels et m'amènent finalement à reprendre tout à l'envers, tout en admirant le résultat, qui pourrait être le même pour ce qui est la description de ce qui est et qui me semble un peu trop envisagé comme devant "vivre avec", au nom d'une destinée considérée trop magique à mon gout. 

En effet, en digne représentant de l'ère post moderne, en fait post religieuse, je me veux maintenant "athée radical" pour mieux ignorer tout finalisme, projet divin émancipateur ou pas, toutes les lumières et autres funestes "fins" et même la "démocratie" enfin déclarée en crise véritable. Horrible blasphème, n'est-ce pas ? C'est pourtant ce que donne à voir le livre sans le vouloir (les philosophes ne sont pas responsables de ce que font leurs lecteurs de leurs délires). 

Athéisme radical: il n'y a rien que ce qui est et les habitus et autres lois de la nature inspirées de la magique attraction newtonienne, incluant les dominations et émancipations variées qui jalonnent les créatives pensées de nos philosophes post antiques ne sont que des fictions dont il faut se libérer avec le reste. Au passage, il conviendrait de se libérer de ce qui est mis en accusation ici, (Gauchet est en fait un sale réac "à cancel") et qui sont les originellement funestes droits de l'homme devenus vérole de notre monde.

Car mon athéisme va jusqu'à nier ce que Gauchet reconnait trop prudemment, dont la "question sociale" et autres billevesées anticapitalistes, la légende des enfants dans les mines ayant occulté celle des enfants dans les champs, (ou bouffés carrément en cas de famine) ce qui était la condition que tous ces peignes culs (dont mes ancêtres) ont quitté avec enthousiasme pour aller se faire plaindre par les syndicats. Le capitalisme fut avantageux (sans être un "progrès") dès son origine et c'est pour cela qu'il devint ce qu'il est et non pas l'inverse... Tous les déterminismes passés porteurs de faux avenirs étaient bidons, y compris Dieu et il faut s'en persuader, et aussi réformer ce qui manifestement ne va plus. 

Car il y a des époques troublées, avec des troubles prolongés, et la désactivation du commerce méditerranéen dû à la funeste "civilisation" islamique dura bien trop longtemps, nous pourrions revenir à ce genre de situations suboptimales sans pouvoir nous y opposer vraiment. Quel destin est ce que cela ? 

Si à l'origine de nos déboires, il y a une conception dévoyée de l'individu (d'origine chrétienne d'ailleurs ) qui pousse ce qui nous reste de Pape à déconner avec ses invasions humanitaires, et bien il convient de revenir à un saint égoïsme qui nous pousserait à nous obséder moins que maintenant des malheurs personnels des gens. En gros: il nous faut revenir à une sauvegarde calculée de nos familles et exclure du champs des droits des individus qui se croient tout permis. Oui, c'est un scandale, mais la preuve est maintenant faite de la nocivité de ces droits à tout accordés à des principes.

Il y a des pauvres étrangers ou pas et il y en aura, et ils doivent vivre leur condition en fonction des situations culturelles, politiques, judiciaires et historiques. Ils n'ont AUCUN droit à vivre mieux aux frais de ceux qui font mieux qu'eux, quelque soit l'injustice des situations, qui ne peut se dénouer qu'au nom de l'intérêt de tous. Je défendrais donc ici d'une autonomie complètée par de principes égoïstes et cruels injustement ignorés par l'histoire et qu'il nous faut restaurer pour survivre. 

Pour ce qui concerne les empires, et les nations et la "démocratie", j'ajouerai que les modes culturels tribaux sont incompatibles par définition avec la démocratie au sens où nous l'entendons, et qu'il n'est pas possible de donner les droits de l'homme aux sujets tribaux, et donc de les inclure à la légère dans un corps national trop différent d'eux. Encore une raison d'en limiter l'applicabilité, que ce soit sur notre sol ou même dans les autres pays, et le sud global va faire et peut faire ce qu'il veut, nos manies n'ayant pas à être promues hors sol, comme l'actualité nous le montre. 

Pour ce qui concerne les wokes et leurs réclamations insensés, il conviendra de mettre le hola aux petits délires post féministes au nom du bon sens. Une vieille idée libérale serait l'instauration d'une réduction d'impôts explicite aux couples fertiles mariés ou non, la notion de famille ne pouvant plus s'identifier à un sacrement religieux ou laïque devenu dépassé. Encourager la reproduction sexuée est le rôle effectif et nécessaire de l'Etat, qui n'est pas de sanctifier scandaleusement des mariées moustachues issue d'une conception dévoyée de l'égalité.

La deuxième idée toute aussi libérale, et en plus favorable au LGBT, est la suppression de toutes les espèces de "parités" législatives basées sur le sexe visibles des individus, nous avons décidé déjà depuis assez longtemps qu'ils étaient égaux en droit et en fait, et donc capables de se débrouiller. 

La suppression de l'"éducation nationale" conception centralisée du bourrage de crâne qui exclut la vraie instruction, la seule nécessaire, l'Etat n'ayant pas à se substituer à la famille au nom d'une gestion d'un peuple uniforme qui ne l'est pas, l'inégalité des individus étant non pas à combattre, mais à encourager à tout prix ! 

Combien de fausses socialisations sont à détruire avec la remise en place de ces foutus droits ? Ils sont en tout cas la cause du suicide de notre monde, et il est peut être déjà trop tard. 

 

 

 

(1) Marcel Gauchet : Le nœud démocratique 

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