Les pensées
Me trotte dans la tête une théorie du tout qui me semble-t-il fait litière de bien des spéculations et en tout cas, qui me semble éclairer bien des préoccupations et donc d'en voir les conséquences sous un angle à la fois compréhensif et apitoyé. Du pur hubris, condamnable et ridicule et mais pourquoi pas s'y lancer, ça m'amuse.
Il y a trois modes ou façons de penser, qui correspondent à trois manières de représenter, vivre et transmettre les influx nerveux qui représentent les choses dans le cerveau. Ces trois modes sont actifs simultanément et s'utilisent les uns les autres au cours des activités humaines. Ils se complètent mais accèdent à des sensations et des significations différentes. On pourrait parler d'"ordres" différents, tant ils correspondent à des activités distinctes et essentielles de l'activité humaine.
Le premier ordre est l'ordre symbolique, rationnel, logique et donc soumis au principe de contradiction. On ne parlera pas du principe de raison ni de celui du tiers exclu. Tout franchissement ou extension de cet ordre conduit nécessairement à l'oubli ou à la violation consciente du principe de contradiction, source du n'importe quoi logique, et de la ruine de la pensée, dès qu'elle s'aventure sous cet ordre dans les paysages interdits.
Il y a deux autres ordres, qui n'ont pas besoin du fameux principe pour enchainer les pensées et discourir en poursuivant des buts: l'ordre psychologique ou sensoriel et l'ordre spirituel.
L'ordre sensoriel est une pensée, qui pourrait être partiellement inconsciente, mais qui peut aussi exercer la volonté consciente symbolisée par ailleurs: par la sensation passive (la douleur, le plaisir) et aussi active (la gastronomie, le combat ) on pense la relation au corps et exerce sur celui-ci les pressions nécessaires à l'accomplissement physique, qu'il soit celui des coups, de la digestion ou de la copulation. On trouve là les émotions, le sexe et la violence, disons toute la psychologie et ses affects multiples.
L'ordre spirituel est mon innovation à moi, quoique. Soigneusement distingué de l'ordre émotif trop facilement utilisé pour résoudre les apories du symbolique, il est en fait le lieu de la conscience qu'elle soit celle de soi ou des autres, ou même celle de Dieu, le grand autre participant du fonctionnement de cet ordre-là, qui est la sensation de l'invisible, redoublée donc de soi confronté à ce mystère-là, qui se trouve et c'est là l'essentiel, non conceptualisable et non symbolisable dans cet ordre.
Nous sommes là avec une représentation fonctionnelle de l'inconceptualisable de Blumenberg (je me lance) qu'on situe dans la tête, biologiser la chose qui pense ayant l'avantage de la rendre possible pour de vrai au lieu de la laisser dans le concept. Ce mode de pensée est une activité neuronale distincte, avec ses lois et ses négligences et non pas une conceptualisation d'un état virtuel de la pensée réifiée.
Qu'une source et son doux bruit soit la personnification d'une dryade est effectivement conceptualisable mais l'élaboration psychologique puis spirituelle de la perception de cette considération-là puis de la mise en scène de son être à soi face au mystère de cet autre mystérieux ne l'est pas (conceptualisable) et donc, incapable de participer au monde logique qui ne peut jouer que le rôle rassurant d'une parole tranquille. L'émoi et donc le raidissement terrorisé devant la chose vient bien d'un corps ému, mais la source de ce mouvement-là, où est-elle ? Où et comment s'est formée cette perception-là ? Hors de la logique et hors de l'émotion, la conscience qu'on doit admettre être là, reste mystérieuse fondamentalement en tout cas, et comme tout le monde le dit "impensable" comme telle.
Le monde spirituel est aussi le lieu de l'Art, qui bien loin de se réduire à une "activité sensible" qui rayerait harmonieusement l'écaille de tortue, produit des représentations dont l'existence fait exister un "autre" antérieur d'essence mystérieuse et dont le mystère ne peut s'exercer qu'au-delà. Là encore, le mystère, celui de la conscience.
Voilà donc un cadre simple pour décrire et voir décrire le monde, ou paresseusement cesser de le décrire, la vie étant plus simple qu'on ne le croit. En tout cas me voilà à comprendre et interpréter toutes les apories et mondes multiples ultra complexes tous différents et toutes descriptions ampoulées et mal conceptualisées de la simplicité de mes trois ordres en interaction. Une manière d'étendre sur la rugueuse table une toile cirée légèrement humide sur laquelle on ferait glisser les verres de pif...
Au sujet du spirituel, dont l'existence à part entière suffit à expliquer et comprendre les religions, toutes faites de la symbolisation nécessaire dans l'ordre logique de choses entre aperçues ailleurs et dont on ne peut se débrouiller logiquement au point d'exiger et à bon droit l'investissement dans la contemplation du mystère, introduction à toutes les esthétiques et à toutes les mystiques. On peut donc lui accorder droit de cité, et autoriser donc les sécularisations: s'y investissent bien sûr tous les émois laïques et toutes les sensations d'injustice, et donc avec la violence et l'absurde assurance qu'on trouve dans les grandes passions religieuses, surtout celles préparées à l'avance par les grands discours et les grandes musiques, capables d'émouvoir...
On n'a pas transformation mais activation des ordres nécessaires de la pensée, capable de contenir toute la richesse du monde des représentations possibles, ce monde infiniment riche situé entre les individus, qui garantit et permet leurs discussions et rencontres et donc l'essentiel de la vie. On notera au passage que la communication intersubjective nécessite des encodages propres à la pensée justement dite "symbolique" et que toutes les ambigüités du langage sont bien situées à ces frontières, et rendent l'ordre spirituel encore plus nécessaire.
Pour conclure, on peut situer le fameux (...) objet G dans la pensée symbolique comme expression imagée, symbolisée, de la chose impensable que la conscience croit percevoir: l'autre bizarre que l'autonome, imaginative et irrépressible conscience "imagine" ou non en filtrant ses aspects par la pensée "logique" qui lui est ainsi subordonnée. Car c'est bien cela l'ordre des ordres: l'autonomie de la conscience toute puissante, qui utilise la puissance et la froideur du raisonnement contradictoire pour décrypter les encodages du monde et survivre tout simplement... C'est la force de cette logique que d'obliger la conscience à se discipliner, tout en lui laissant bien sûr le soin de diriger ... la machine !
Naturellement, faut-il le dire, nul besoin de "surnaturel" ici, l'hypothèse est inutile et n'a pas de "la place": le monde spirituel est assez riche pour concevoir des autres très présents, capable d'émouvoir au-delà du possible et aussi de générer des discours intarissables. La richesse infinie des espaces magiques peut se déployer à loisir, et cela n'en est pas moins effrayant... Les formes infiniment riches du souvenir peuvent de plus rendre quasi immortelles certaines âmes ou perceptions spirituelles de grandes présences, celles qui ont réussi à communiquer l'ineffable...
Voilà qui devrait régler son compte pour toujours, tout en en respectant l'origine et la matérialisation neuronale complète, à cette chose existante invisible dont tous les doutes continuent encore d'en suspecter l'existence dans un matériel surnaturel contradictoire qu'on continue de vouloir efficient dans notre nature alors qu'on sait bien qu'il ne l'est pas... Ma contribution serait donc celle d'un athéisme absolu mais respectueux qui en plus accepterait l'immortalité des vraies âmes dans un monde spirituel partagé car oui, on peut communiquer des métaphores et donc s'échanger des photos de doigts pointés vers les toujours vertigineuses profondeurs des perceptions de l'autre, celles qui peuvent traverser les âges pourvu qu'elles soient décrites avec talent.