Les abeilles
Au début il y eut la fable des abeilles
Atroce et délétère histoire du monde et perception vraie du vrai réel, celui à qui nul n'échappe mais qui hélas ou heureusement se révèle polysémique et donc générateur de tout et son contraire, pour le plus grand bonheur des vrais amateurs.
D'abord cette histoire d'abeille n'a rien à avoir la comparaison entre abeille et architecte, titre d'un livre de l'ignoble collaborateur et ami de Bousquet, F. Mitterand déshonneur d'une France qu'il ruina. L'opposition vient de Marx, qui voyait l'architecte comme celui qui avait en tête une image de ce qu'on fait, contrairement à l'abeille elle tout occupée à faire et à répéter. On pourrait gloser sur la différence, mais Marx comme Mitterand n'avaient en tête que la volonté par opposition à la passivité, vieille idée des socialistes qui ne voient le monde que depuis leur égoïste ego en opposition à une masse qu'il prétendent sauver et qu'ils trompent et dominent.
Ce point de vue est ainsi précisément celui que donne à voir Mandeville, annonçant à l'avance ce que sont vraiment les hommes, et les plus inventifs d'entre eux, ceux qui inventèrent puis révérèrent les plus abjectes théories d'exploitation des peuples dont toutes les variantes depuis le meurtre de masse jusqu'à la ruine délétère ne célèbrent que la friponnerie de personnalités douteuses.
Simplement Mandeville ne tirait que du bon de cette vilénie, sans avoir imaginé les théories qui dénonçant son cynisme en inventèrent de plus cyniques encore.
Mandeville est connu pour plusieurs choses. D'abord sa fable (1705) qui met en scène une ruche dans lesquels les habitants raisonnablement heureux malgré les fripons qui en profitent trop, décide de devenir complètement vertueuse. Et bien cela la ruine immédiatement. Les choses étant vendues à leur juste prix... La fable est donc bien celle du désir de changer la vie de 1981... Cette découverte a de quoi remuer, pourtant le texte est là, court et scandaleux: la vertu est néfaste, voilà le premier message.
"Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. "
La description de l'état initial de la ruche, avec ses travailleurs pauvres, ses dirigeants richissimes mais au pouvoir borné par des lois, et sa classe moyenne de tricheurs débrouillards, ressemble étonnamment à un monde normal, juste décrit comme une ruche...
Mandeville ne s'en tint pas là. Il ajouta dans les versions successives de la fable, des textes complémentaires, allant jusqu'à théoriser la construction de la société par des hommes à la fois acharnés au mal et soucieux de leur apparence vertueuse. Un pessimisme total suprême très grand siècle, parfaitement en ligne avec toutes les spéculations de l'époque, depuis l'augustinisme revisité par les jansénistes, jusqu'aux comédies de Molière, finalement guère idéalistes.
Il est vrai qu'il est trop facile de prendre pour une dénonciation vertueuse l'affirmation (c'est là qu'est le scandale, et il fut historiquement majeur, voire prolongé jusqu'à aujourd'hui) que le monde est PARCEQUE mauvais. La nécessité de ce mal humain fondamental change tout: d'un idéal frustré d'idéaux nobles et valorisants, essence des êtres qui se voient à l'écart du monde, seuls représentants du bien (avec exceptionnellement les êtres "exceptionnels" qu'ils rencontrent, les seuls dont on peut tomber amoureux romantiquement), on passe à la contemplation cynique d'un monde mauvais en son tréfond par nécessité de vivre et prospérer, le mal étant la condition de l'existence.
La fable clarifie d'ailleurs le point: tenter d'être vertueux détruit le monde et le plonge dans la misère. Le mal humain individuel est cause du bien global et réciproquement. Au passage, on introduit LA grande idée, celle que Hayek lui attribua: la conception radicalement nouvelle de l'ordre spontané non intentionnel.
On a évoqué ici plusieurs fois cette révolution dans la pensée, cette conception inconcevable, cette idée toujours pas adminse: un ordre globalement stable et à la fois raisonnablement performant ou prospère peut s'établir sans qu'il ait été ni organisé ni voulu. Mieux: il est essentiel pour qu'il apparaisse que personne ne se mêle vraiment de l'organiser ou de le vouloir.
Pour clarifier la chose et la rendre vraiment puissante, on introduit la morale individuelle: il FAUT que la volonté ou l'organisation voulue soit délibérément cynique, corrompue et mauvaise chez ses participants pour que le prodige se manifeste.
Le caractère immoral de la conception libérale du monde fit la force de l'idée à l'origine (il y 3 siècle), elle en était l'énergie dans un monde chrétien encore déchiré par la première modernisation, celle de la conceptualisation individualisée de la grâce. Sa puissance fut en fait telle qu'aujourd'hui et sans réflexion supplémentaire, la quasi totalité de l'intelligence intellectuelle d'un pays comme la France, pays d'origine de l'émigré en Hollande (Mandeville né en 1670 descendait d'un hugenot qui quitta la France à la fin du XVIème siècle), est à la fois révulsé par l'immoral libéral et cite Mandeville comme il cite Hitler, ironisant sur toute motivation non dirigiste du monde.
Car le mal décrit par Mandeville est reconnu comme réel et là on part dans le grand manège de la grande fête foraine des "idées" politiques, celles qui nourissent les "débats démocratiques". La queue du Mickey peut être attrapée il suffit d'essayer. En tout cas cet immoralisme, à travers les siècles, et sans que grand monde ne s'en accomode fait que LA grande idée, elle n'est toujours pas conçue: le rationnel ne peut pas ne pas être conçu.
Le non conçu est inconcevable.
Goinfré de darwinisme (parangon de la gauche soit disant anti déiste), de mort de Dieu, d'inutilité de toute création, de tout petit jésus, de liberté de l'humain, la seule chose qui représente véritablement tout cela, le social humain, soit la forme la plus élaborée, la plus spirituelle, la moins mécaniste de tout lieu d'interactions multiples hasardeuses doit pouvoir être organisée intelligemment et maitrisée conceptuellement par un bien suprême. Mieux, le mal qu'on nous décrit universel (on a finit par l'admettre, et au combien) doit être combattu, et le racisme, l'ignoble racisme doit être "cancelled" (c'est la frénésie actuelle dans les campus américain). La contradiction est manifeste, et le déni total.
La notion de "Plan" (l'ardente obligation de la grande époque gaulliste) va être remis en selle, et pour réorganiser (rationnellement sans doute) le monde d'après (le covid19, certains disent "la"), on va planifier. Le plus hilarant de l'actualité de ce mois de Juillet est bien sur qu'on puisse apprendre sur la même page de journal que a) le plan de 1962-1967 n'avait pas considéré le téléphone au sujet duquel on planifia de ne rien faire, réservant pour la moitié des années 70 le soin de l'installer partout, b) la 5G ne servant qu'à regarder du porno dans les ascenseurs (2), ne sert en fait à rien, ce qui justifie l'éviction autoritaire du constructeur chinois ET AUSSI des européens d'un marché en trop et d'une industrie destructrice du climat, à détruire (pas le climat, l'industrie). Sans parler, tant qu'on y est du rôle de la 5G dans la propagation du covid19 (de la).
Affaibli par des enquêtes pour corruption contre son PDG qui ne donnèrent rien, Alcatel Alsthom (3) fut finalement vendu à la découpe, Alcatel à Nokia, Alsthom lui même découpé à General Electric et Siemens... La recherche de la probité conduisit à la ruine, Alcatel-Alsthom ex-CGE nationalisé (nous y revoilà) en 1981 ne se releva pas de la volonté de réorganiser au nom du bien, de tous les biens.
Passons à Rousseau. Lecteur de Mandeville, Jean Jacques voyait l'homme bon à l'origine et la société mauvaise du fait de l'introduction progressive des inégalités, du lucre et du luxe. Anthropologue du désir romantique, et visionnaire descripteur de l'orée du capitalisme, le grand génie qu'il demeure compris bien des choses et les ré-exprima. Au point de se faire dénoncer par son lecteur Adam Smith qui le dénonça comme tel (l'imitateur de Mandeville). Car Smith basait la société sur le contraire du mal, la "sympathie" sentiment au contraire essentiellement positif, et comme pour Hume ciment effectif MAIS non voulu ni organisé, ni étatisé, de la société.
Une autre conception de la fameuse main est ici à l'oeuvre, celle-là vertueuse. Il faut noter que la théorie des sentiments moraux n'empêcha pas Smith de se voir haï tout de même, de multiples gloses ayant identifié dans ses textes l'aveu de la nécessité de l'égoïsme sacré, ce qui ruine (selon la morale) tout prétention à la moindre vertu du très mauvais capitalisme emblème de la domination de Satan sur le monde. Heureusement une lumière fut laissée dans le coeur de l'homme à l'origine, toute prête à être rallumée pour le bien de tous, quoique: c'est bien le "que faire" de Lénine qui théorisa l'impitoyable et nécessaire cruauté du révolutionnaire, la future organisation rationnelle de la distribution des biens ayant besoin de mobiliser dans un premier temps, pour abattre le mal actuel, les plus grands criminels de tous les temps.
Mandeville c'est clair eut une postérité...
Rousseau avait pourtant conceptualisé la pitié: même s'il attribuait à la société le mal, ce mal était "non voulu" et Rousseau en cela mais par bien d'autres points était libéral. La "pitié" qu'on chercha à rapprocher de la "sympathie" de Smith et Hume joue un rôle et rapproche les gens, voire forge ce qui apparait dans un troisième temps: le contrat social.
Avant cela, Rousseau théorise un autre forme que l'on doit considérer nouvelle, d'ordre spontané: celui de la populace image de la sauvagerie aux frontières de la société, et celle-ci bonne, d'une sagesse originelle qui fonde de fait la fameuse "common décency" de nos anti libéraux réactionnaires d'aujourd'hui.
Et puis Rousseau consacre aussi, l'ordre final, lui aussi spontané, collectif et arraché à l'individu rationalisant: la volonté dite "générale" à qui tous sont soumis comme maitre, la volonté individuelle consultant la générale pour savoir quoi vouloir.
Partout l'idée de la collectivité sachante perpétuant l'optimal est à l'oeuvre et Rousseau plus que d'autres la pensa et dans ses détails. ll fait la différence par exemple entre volonté universelle celle de tous les hommes, et volonté générale attachée à UNE nation: il est l'immortel inventeur de la fraternité, le sentiment qui unit les hommes d'une nation donnée, à l'exclusion des autres nations entre qui ne règne que l'état de nature, hors de tout contrat.
Alors qu'en est il de la vilainie du monde ? Qu'en est il de sa véritable intention ? Est elle celle des fripons qui l'organisent ou qui en profitent le mieux ou bien de la mystérieuse loi qui fait de ces friponneries un bien global au final ? Et bien on n'en sait rien, et c'est le mystère global du monde, au moins aussi intriguant que celui que nous présente Dieu lui même, source pourtant de bien des explications... A s'y perdre.
Ces considérations publiques, présentes dans tous les livres et tous les journaux ne sont elle une révélation que pour les imbéciles auto didactes ronchonnant dans leur désespoir du monde ? Elles ne sont pas présentes dans l'officiel discours du monde, acharné au contraire de la culture à répéter les mêmes âneries et les mêmes désespoirs du monde mais dans un autre sens et une autre direction. Ce qu'on voulait évoquer.
(1) Le texte de la fable http://expositions.bnf.fr/utopie/cabinets/extra/textes/constit/1/18/2.htm
(2) https://www.journaldugeek.com/2020/07/07/non-5g-pas-que-porno-ascenseur/
(3) https://pierre-suard.com/ le blog du pdg accusé