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  • Le conatus

    L'interview

    Encore tout émoustillé de l'interview de Lordon par Judith Bertrand dans "arrêt sur image",  je vais me consacrer à Spinoza. Après Hegel, mais cela est naturel, le célèbre "Spinoza encule Hegel" de Jean-Bernard Pouy ayant marqué une génération, il s'agit de savoir pourquoi.

    Tout comme Hegel, Spinoza est idéaliste/matérialiste (on va en parler), moniste, ennemi de l'individu et de la liberté, adversaire de la vérité comme adéquation au réel. Contraire absolu de Descartes, il est un méchant homme, le seul que les juifs aient voulu assassiner, c'est dire. ll est avec Hegel le précurseur de Marx, un sale communiste donc. Mais cela reste à préciser. 

    Lordon

    On décrira rapidement l'émoustillement de/par Judith, ses grands gestes expressifs fascinants ca y est je replonge, Frédéric Lordon, celui qui fait du capitalisme un totalitarisme, (moyennant toutefois un travail conceptuel adéquat, concède t il), disciple d'Althusser relisant Marx, vous savez celui qui aimait l'expression "faire bouger les choses", qui différencia le jeune Marx, humaniste et rieur, du vieux, grincheux et tout entier dans sa (sinistre) théorie de l'histoire. Mort fou après avoir tué sa femme, il est l'auteur du célèbre "on ne perd rien à la lucidité". 

    Le conatus c'est la persévérance de l'objet dans son être, une sorte d'essence, quoi, et qui caractérise la nature et donc aussi Dieu. "Nous sommes tou(te)s des conatus" dit Judith Bertrand. On revient ainsi décidément toujours sur l'émoustillage du très sexuel interview, l'ouverture l'angle alpha geste à l'appui étant ravissant. Il s'agissait d'évoquer la disjonction entre les désirs de l'employé et ceux du patron. Le passage à l'orthogonal signifiant la révolution loin loin dans le futur, mais Lordon reste là dessus pessimiste, comme à son habitude.

    La question de la possibilité des luttes fut ainsi abordée, l'érection de la colère pouvant ou non accompagner la soumission, les deux états de l'affect joyeux ou triste, dominant tout, mais la révolte devant venir du triste, le communisme comme "passion triste" donc (héhé). Car le capitalisme néo libéral veut nous rendre content, c'est là tout le problème: c'est lui qui maintenant théorise l'homme nouveau. On retiendra un mot de Deleuze, terrifié par la notion que les entreprises puissent avoir une âme. Bref, on a besoin de Spinoza pour pallier la violence de Marx et tout péter quand même.

    Au passage, Lordon se rattache lui même, comme économiste (il définit ainsi l'argent comme le médium de l'échange marchand), à l'école de la Régulation (Robert Boyer), un keynesianisme post marxiste qui décrit la configuration des régulations à l'oeuvre dans la stabilité du capitalisme. Bien sur il est impossible d'être neutre axiologiquement en science sociale contrairement à ce que dit Weber, et l'opinion politique doit être assumée, mais bien sur sans Lissenkisme (autant le dire, bref choucroute).

    Il en profite pour définir la science entre la poésie et les mathématiques comme quand il y a du concept, et comme seul le philosophe en produit, vous voyez ce que je veux dire.  

    La Substance

    Marx est comme Spinoza, matérialiste. 

    Bon, d'abord la substance. Alors que Descartes en concevait une infinité, elle est unique ici, ce qui fait de Spinoza un moniste: il n'y a pas de différence âme corps et Dieu EST le monde, en fait, la question demeure: Spinoza ne serait il pas plutôt "pananthéiste", avec un Dieu incluant la nature, mais sur ensemble de, toutefois ? L'identification corps esprit est bien sur très moderne et on lui trouvera bien des adeptes, les conceptions moniques du monde étant légion (pardon j'ai pas pu me retenir) dans les milieux neuroniques des réseaux de l'émergence.

    Il n'y a évidemment là dedans aucune différence corps esprit, ce qui en résout le problème, tout cela étant de la même et unique substance. Dieu est ainsi immanent à la nature, et évidemment pas transcendant, on a bien un matérialisme de l'immanence. 

    On distingue la nature naturée de la nature naturante, (ce sont des concepts scholastiques en fait), Dieu étant naturant et la créature naturée... Pour Spinoza, le naturant ce sont les attributs de la substance, et le naturé ce sont les modes de ces attributs. Par exemple, le corps est un mode de l'étendue et l'esprit un mode de la pensée.

    Il faut voir aussi que du fait de son conatus la nature naturante se produit(crée) elle même comme naturée.

    Dieu

    On doit décrire l'extraordinaire notion logique de Dieu conçu comme ce qui a pour essence d'exister et donc dont on ne peut, par définition, nier l'existence. Identité de l'être et de l'essence, abolition du temps, il est la substance en-soi. Dieu est ainsi un nom propre, mais celui d'une chose particulière qu'on ne peut penser unique car cela supposerait qu'on pourrait penser son essence différemment de son existence, or les deux choses sont ici identifiées... L'être est donc hors de la pensée de l'unicité. On trouve là l'idée du "comptage" honni par Heidegger (le juif Spinoza compte ses pièces de monnaie), qu'est ce qu'on rigole. 

    Au passage il est bien sur infini, avec une infinité d'attributs. Deus sive Natura. 

    Spinoza différencie évidemment divinité et religion. Juif hérétique, il ne s'est pas converti au christianisme pour autant, et recommande même de se délivrer de la passion triste qu'est la religion. 

    La question de la vérité

    Spinoza s'oppose aux interprétations des textes sacrés et veut lire le texte, rien que le texte.

    Il récuserait la vérité comme correspondance au profit d'une vérité par cohérence.  Adequaetio versus Convenientia.

    "Quant à ce qui constitue la forme du vrai, il est certain que la pensée vraie ne se distingue pas seulement de la fausse par une dénomination extrinsèque, mais surtout par une dénomination intrinsèque."

    On pourrait dire ici qu'il cesse d'être réaliste, et donc se trouve avec une notion conceptuelle et donc affreusement idéaliste de la vérité. Inutile de dire que beaucoup en ont profité (Lordon ne se gêne pas par exemple).

    La théorie des affects

    On a donc le désir, la joie et la tristesse.

    Spinoza est une sorte de stoïcien: il cherche la béatitude par l'acceptation libre de sa situation dans la nature, la connaissance de son infini. Car la vertu c'est vivre suivant l'entendement qui vise à comprendre la nature par les passions de la connaissance, joyeuses et actives qui sont le contraire des passions tristes, passives, celles de l'imagination et des sens. 

    A partir du concept non orienté de conatus on considère le conatus de l'entendement, conatus étant aussi désir, mais désir de connaissance et donc rationalité. C'est l'association raison/désir/joie/vérité qui fait notre Spinoza, la fusion raison/désir étant précisément ce qui a à son origine le fameux conatus.

    Le conatus n'est pas volonté de puissance, mais y ressemble, il se réalise dans les actions joyeuses et se trouve meurtri par la tristesse passive. C'est le désir qui produit les valeurs et le bon. Le désir est de plus défini intellectuellement: le désir est un appétit dont on a conscience. 

    La question de la liberté

    Bien sur, il n'y a pas de liberté, tout étant causé dans la nature par une chaine indéfinie de causes.

    C'est la partie la plus difficile à avaler, naturellement, mais il fallait s'y attendre, c'est la conséquence inévitable du monisme. Il faut bien en voir les cotés à la fois paradoxaux et profondément modernes, le rejet de la transcendance et l'acceptation du monde en étant les soutiens. 

    Bien sur la liberté orgueilleuse des cartésiens est basée sur l'oubli du mécanisme des affects. Mieux, c'est la croyance en notre "liberté" qui nous fait souffrir, et l'illusion de notre libre arbitre qui nous pousse à ne pas mieux nous connaitre. La liberté est psychologiquement mauvaise, donc. De quoi ravir toutes les éducatrices du monde. 

    Ainsi, pour Spinoza, la liberté n'est qu'en acte, elle est mouvement des corps, telle leurs chutes. Encore mieux: l'illusion du libre arbitre pourrait être bon, mais pour motiver le peuple. Le rêve total du théoricien des sciences sociales, tu parles comme Lordon a du être content quand il a trouvé tout ça. 

    On a ainsi un maitre du soupçon en plein XVIIème siècle, avec la double caractéristique, typique, d'à la fois dénoncer et décrire l'illusion, et forger ainsi une belle épée qui ne demande qu'à être utilisée, et beaucoup ne s'en sont pas privés. 

    Hegel et Spinoza

    La question est posée par les marxistes bien sur et Lordon trempe là dedans, la volonté d'Althusser de couper Marx en morceaux (comme sa femme) étant le thème de la chose. 

    "Omnis determinatio est negatio": pour Spinoza, il n'y a pas d'individu, la détermination particulière étant négation, donc non existence. Il n'y a ainsi pas de réel, et c'est ce qui caractérise Spinoza comme "oriental": la plongée dans l'unique substance étant le but ultime. 

    Evidemment pour Hegel, la substance sans subjectivité ne convient pas, celle ci étant l'absolu, d'accord, mais sans l'auto réflexion qui construit l'Esprit. 

    Mais d'abord Herder réhabilita Spinoza ! Jusque là considéré comme un athée et un destructeur de la religion et de l'état, il devient un organiciste qui nous libère du physico-mathématique, tiens tiens... Bref, Spinoza est à la mode à Iéna, il donne de quoi taper sur Kant, lui même son ennemi radical et qui voyait la substance comme "chimère", en tout cas tout sauf transcendantale ! 

    Hegel considéra Spinoza comme un point de départ, qui ignora avec son dieu substance absolue la capacité de la négation à se nier elle même conduisant à ce qui dépasse la substance c'est à dire l'Esprit, porteur et ça c'est Hegel de la négativité dans l'Absolu, ce que les spinozistes n'ont pas. Hegel introduit la métaphysique de la subjectivité, celle de l'Esprit Absolu comme sujet. 

    Pourtant, le grand vent panthéiste souffle: Hyperion de Hölderlin parait il, et Schelling fut ouvertement spinoziste.

    Hegel va tout de même faire de l'absolue une totalité substantielle et aussi valoriser la spéculation par rapport à l'entendement, celle ci pouvant seule penser les contraires... En gros, le spinozisme l'aida, mais Hegel, c'est autre chose.

    Pour conclure, il parait que  Spinoza était violemment misogyne, une sorte de Zemmour de l'époque. C'est pour cela que je ne peux l'approuver sans doute.