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Les averroistes

Averroès, qui nomme un lycée frère musulman que l'Etat ne veut plus financer pour suspicion de bigoterie séparatiste, est un philosophe occidental essentiel du Moyen Âge latin, qui bien que musulman et grand cadi de Cordoue (au sommet de la hiérarchie judiciaire) n'eut aucune postérité en Islam (avec un grand I, la civilisation). Il y fut considéré comme hérétique et complètement oublié et interdit. 

Son oeuvre est formée de traductions et de commentaires d'Aristote et aussi de théories qui lui sont propres, marquées de l'appellation infamante en islam de "falasifa", c'est-à-dire de tout ce que sa postérité de ce côté-là du savoir a détesté et conspué et surtout interdit et oublié. 

La philosophie islamique

Les choses sont en fait plus compliquées que cela, et la position de Renan,

"La philosophie arabe offre l’exemple à peu près unique d’une haute culture supprimée instantanément sans laisser de traces"

est contrebalancée par Henri Corbin qui fait redémarrer la philosophie dans l'Islam à partir des "théosophies" iraniennes, élaborée complètement à l'écart d'Averroes, tandis qu'Avicenne, ou du moins un Avicenne oriental perdurait et influencait. Un néoplatonisme iranien contre un aristotélisme latin. Henri Corbin raconte donc l'histoire de Soravardi qui transforma les idées platoniciennes en anges zoroastriques, ce qui donna la "philosophie islamique" qui n'avait donc rien ni d'arabe ni de sunnite... Ce qui lui permet de dater de Thomas d'Aquin le début de la décadence, avec la séparation théologie/philosophe décidée par Tempier en 1277 et actée avec la condamnation pour hérésie de Maitre Eckart en 1329.

Les philosophies occidentales et islamiques se sont donc séparées complètement au point de parler de choses différentes, donc. En tout cas, la classique, la grande fut tout simplement ignorée de l'Islam à partir... d'Averroes.

Sans parler bien sur des polémiques ridicules sur la nature arabe ou arienne de la philosophie en général (2).

Disons avec Rémi Brague que l'Europe est tout simplement caractérisée par son "vide chrétien" qui l'a conduite à aller chercher ailleurs ce dont elle avait besoin, auprès des grecs via les arabes et de tout ce qu'elle a trouvé par ailleurs...

Tout en fait tient à la différence entre islam et Islam, l'Islam (la civilisation) ayant été d'un apport très grand, à la hauteur des chrétiens du monde islamique qui traduisirent en arabe les textes grecs, puis de l'arabe au latin, à Tolède avec en plus les oeuvres d'Avicenne et d'Averroes. Mathématiques, Astronomie, Médecine issues ou non du monde grec traduit en arabe furent absorbées avec enthousiasme. L'islam, la religion, fut ignorée de l'Occident et le Coran connu seulement au XVème siècle (Nicolas de Cuse). 

On doit rajouter que les "apports" orientaux furent aussi ceux (directs) du monde byzantin fuyant la conquête turque au XVème siècle, et là on trouva tout le reste, soit la littérature et la poésie antique qui n'intéressaient pas les arabes et aussi, Platon et Plotin, sans parler bien sûr de la théologie et de l'art grec, sculpture, peinture, architecture. 

La conclusion de Brague au sujet des "apports" de la "translatio studiorum" est émouvante: l'Occident est devenu entièrement grec à partir du XVème siècle, et cela avec une frénésie caractérisée, au point que ce n'est qu'à la moitié du XXème siècle que l'apprentissage du grec cessa d'être partout obligatoire... Brague ajoute: l'Occident a ramassé le joyau Averroes dans les poubelles de l'Islam... 

Ibn Rushd

 

Vénérant et traduisant en le commentant sans relâche toute l'oeuvre de celui qu'il mettait juste après Mahomet, l'immense Aristote, Averroès, Ibn Rushd, est le "commentateur", LA référence en matière d'Aristote pour les juifs et les chrétiens.

Il fut à l'origine d'une lignée de philosophes juifs et chrétiens, les averroistes, dont les noms exotiques montrent votre culture non pas islamique (bien que Khaleb Ben Cheikh aime à en déduire la présence musulmane dans l'histoire de l'Occident) mais bien moyenâgeuse. 

Moise de Narbone, Isaac Albalag, Samuel de Vérone, Eliya Delmedigo sont parmi les philosophes juifs plus ou moins averroistes (l'homme et ses théories sont à l'origine d'intenses débats variés) qui introduisirent en Europe les oeuvres du monsieur révérées, voire idolâtrées. 

Siger de Brabant, Boèce de Dacie, Jacques de Douai, Gilles d'Orleans sont les chrétiens de l'histoire plus les autres, dont Thomas d'Aquin bien sûr opposé et en référence au Commentateur, figure centrale comme on a dit. Aquin fut accusé d'être averroiste... 

Averroès est condamné à Paris en 1277 tant il avait subverti la pensée du quartier latin, la fameuse zone qui émerveilla un envoyé du grand khan mongol, médusé qu'un Etat finance autour d'une cathédrale un tel désordre d'études et de réjouissances. 

Ses théories sont bien sur l'immonde monopsychisme (voir (1) pour les détails) et l'intellect agent, concept subtil que j'aimerais qu'on m'explique... 

 

Issu d'une famille arabo andalouse qui avait soutenu les Almoravides (installés en 1086), Averroes (né en 1126) vécut les Almohades qui arrivent en 1130, interdisent la philosophie, le vin et la musique en 1190 et le condamnent pour hérésie. Il fut exilé et se trouve accusé d'être "juif", une vieille accusation, qui exprime à elle seule son manque d'influence dans sa zone culturelle d'origine. 

 

Les intellects 

Aristote dans De Anima (traduction latine) décrit l'intellect partie de l'âme, comme dual et formé d'une partie créative (poetikos) et d'une partie sensitive (pathétikos). Les intellects agents, actif d'une part et patient, passif, possible, matériel d'autre part. 

Pour Averroes interprétant Aristote, l'intellect (sous ses deux formes) est séparé, immortel, et surtout unique, commun à l'humanité. C'est le monopsychisme, comme le dit Leibnitz.

Pour Thomas d'Aquin, c'est sa thèse "de unitas intellectu", ce n'est pas le cas, il y a des individus. Au passage on notera que ce que Aquin démonte en fait c'est la thèse de l'unicité de l'intellect passif , propre à Averroes. 

 

 

(1) https://www.academia.edu/37075903/Averro%C3%A8s_le_trouble_f%C3%AAte_A_de_Libera

(2) Brague au sujet de l'affaire Guggenheim https://www.academia.edu/12090881/Grec_arabe_europ%C3%A9en?hb-sb-sw=37075903

 

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