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Les morts

Alors que s'achève une période mortelle pour beaucoup, pour pas tellement en fait, mais tout de même: 35 à 40 000 personnes en deux mois sont morts d'une maladie pénible qui consiste à ne plus pouvoir respirer, et bien on peut réfléchir sur ce que c'est que la mort. 

La Peste, Camus: 

« Après tout…, reprit le docteur, et il hésita encore, regardant Tarrou avec attention, c’est une chose qu’un homme comme vous peut comprendre, n’est-ce pas, mais puisque l’ordre du monde est réglé par la mort, peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croie pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers ce ciel où il se tait. »

« – Oui, approuva Tarrou, je peux comprendre. Mais vos victoires seront toujours provisoires, voilà tout. »

« Rieux parut s’assombrir.
– Toujours, je le sais. Ce n’est pas une raison pour cesser de lutter.
– Non, ce n’est pas une raison. Mais j’imagine alors ce que doit être cette peste pour vous.
– Oui, dit Rieux. Une interminable défaite. »

La Peste,  Camus

« Non, mon père, dit-il. Je me fais une autre idée de l’amour. Et je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants sont torturés. »

 

« Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, »

 

Tout est là: la révolte contre la mort, la "guerre" contre la mort, le Dieu absent qu'on évoque quand même. Le XXème siècle, quoi et le sentiment moral qui en découle, celui de Camus et de tous les autres, l'absurde et lamentable dégueuli lâche et aveugle qui renonce à tout le passé, à toute l'histoire au nom d'une conception pourrie et veule du progrès. Quelle plus belle définition du progressisme: la "guerre à la mort"... 

Soumise à la peste comme tragédie, la saloperie esclave de la religion de l'avenir en fait donc une signification. Cela est typique du "truc" de Camus (l'Etranger et le reste reposent sur ce paradoxe, c'est ce qui l'a fait vendre). On en sort encore plus réconforté: soumis à l'absurde inévitable, on se branle avec sa tristesse, cela fait profond d'autant plus qu'on ne lui échappe pas. Etranglé dans les années cinquante par son conflit avec l'abomination communiste (personne ne s'étant battu contre le nazisme), le brillant philosophe et ses copains de cette époque engendrèrent les looseurs de la fin du XXème siècle, ma génération, qui finit de ruiner son pays dans une ultime "guerre à la mort" qui se révèle n'être qu'un suicide organisé, de ses vieux et de son économie.

D'abord, la mort est inéluctable et ses circonstances une partie de la vie de ses témoins. Jeune ou vieux, quoiqu'on ait vécu, rien dans l'être de ceux qui la vivent n'est vraiment en rupture avec elle, au contraire, ils ne sont que pour finir comme cela et sans sombrer dans le gothique, l'horreur de la mort n'est rien moins que ridicule et fausse. L'horreur c'est de l'attendre ou de la craindre ou d'en être triste, rien à voir avec ce qu'elle est vraiment et de comment elle apparait ou plutôt disparait. Car elle est d'abord disparition.

Bien sur il y a les encombrants cadavres, et peut être sont ils de manière décisive ce qui est sans doute le plus gênant dans la chose. Remarquons que le mort s'en fout, et l'horreur de la mort est toute entière transférée comme par magie, instantanément, dans l'oeil du témoin, désormais dépositaire de tout ce qui reste: l'image du visage d'un mort, image qui disparait d'ailleurs aussi, comme toutes les autres. Rien de bien grave, à part ces fourgons qui vont au cimetière sans être suivi (c'est trop loin il y aura des embouteillages, et on a faim et soif aussi) et bien sur cette interdiction bien vue et bien sentie des enterrements en période d'épidémie. Les 500 000 urnes funéraires des chinois ne furent livrées que plus tard, comme nos masques... 

La première chose est qu'on ne fait pas la guerre à la mort mais aux vivants, pour leur imposer notre volonté méchante. Que pour cela on n'hésite pas à tuer et cela de la manière la plus violente possible: visages explosés, corps brûlés longuement,  membres arrachés, castrations variées: voilà nos actions et y renoncer c'est être esclave et accepter d'obéir à bien pire dans l'autre sens. Faire la guerre à ça est évidemment un non sens et l'homme "qui s'empêche" slogan de l'anti communiste, seule alternative à la révolution implacable qui elle ne s'embarrassait pas de ce genre de détails, a tout oublié de l'ancienne sagesse de la mort, qui elle l'avait maitrisée: s'empêcher, c'est être pacifiste, soumis à la violence, par peur de la mort, celle qu'on ne veut pas donner, celle qu'on ne veut pas subir et qu'on nie de toutes ses forces, la force c'est fait pour ça: subir.

Sortie de la gauche, la logique progressiste nie le coté charnel et violent de la vie humaine et au nom d'une éthique dévoyée, celle qui avait acceptée sans rien dire la domination nazie au nom de la nécessité de vivre des goys, puis justifié au nom de la misère sociale la barbarie communiste, et qui s'est mise à refuser la mort, son existence même, au nom d'un fatalisme horrifié, au nom d'un déni enfantin et terrifié.  

Au point d'applaudir tous les soirs les viandards impuissants qui ont entubé à tour de bras (les destructions de trachées fragiles sont irréversibles et mortelles dans 50 % des cas) de pauvres vieux qu'on n'avait ni testé ni soigné sans parler de leur soignants qui les avaient torché les mains sales au nom de la science. 

La mort n'est rien en soi, et certainement pas l'horrible, injuste, ou insupportable (pourquoi pas "invivable"?) limite de la vie. Elle se pense comme existante, et sans doute nécessaire, et respectable et possible. Elle est soulagement, entrée dans un autre monde, au moins celui du souvenir du mort, bref elle n'a pas à être sujet de révolte en tant que telle. Ce sont les circonstances de la mort, son environnement, le nôtre, celui des vivants qui peut révolter ou enthousiasmer, pas l'évènement inéluctable ponctuel que la connerie progressiste idolâtre comme signification limite, la seule que le crétin inculte puisse concevoir: le caniche "souffre" de l'inaction du dispensateur de croquettes mort, avant de lui dévorer le bas ventre. 

Cette signification donnée à la mort par notre époque est une infamie bizarre toute de contradictions en forme de dénis variés. Comme évènement injuste on retiendra la technologie: quelle malchance de mourir avant qu'on ait trouvé le vaccin ! Et aussi le mépris des vieux: moi jeune je vivrais la découverte. Et puis tous ceux qui nient l'avancée à venir: ils ne la méritent pas et on les punit de mort. Surtout qu'il y a plusieurs façons de la nier: le manque d'exercice, l'obésité, sont autant de crimes punis de la mort dont la cause est toujours celle d'une culpabilité. Le péché dévoyé des progressistes est ainsi récompensé. Mais il y a la suite, car la mort est toujours échec, et le réel ne peut pas être nié, juste oublié ou réinterprété. On oublie donc les enterrements, on l'a dit, ou on l'interprète, comme un nombre qui désangoisse, et qui est orchestré en messe journalière: d'abord les morts ensuite les applaudissements. Sinistre et macabre cérémonie de l'atroce religion qui a détruit tout l'honneur d'un pays... 

Pour finir, le mort se met à exister par une autre mort, celle de la veuve, qu'on sacrifie et avec toute la famille. Ici il s'agit de l'ignoble capitalisme, et de la pollution qu'on détruit en même temps que nous même:  misère pour tous, ruine et destruction de tous les projets, de tout ce qui restait de ...vie. 

La Peste est rempli du prêtre, et de sa foi, celle que refuse le docteur au nom de la souffrance insupportable, incompatible selon lui avec le Dieu qui tout puissant ne fait rien, et donc n'existe pas. Ce point nodal de l'autocontradiction lamentable (on insulte le dieu qu'on punit en n'y croyant plus car il ne soulage pas du mal) est un grand truc de Camus et du monde moderne. Ca fait moderne et justifie l'abandon du catholicisme, ça fait CFDT, celui qui a réfléchi sur la vie. Merdique sentiment débile de crétin ! 

Dieu n'existe pas comme force surnaturelle et ne peut s'opposer en rien ni à l'écrasement des mouches ni au lynchage des bourreaux nazis, ni non plus aux chtis "nenfants" (comme si l'enfant mort méritait plus que le vieillard mort) écrasés contre les murs. On commence comme ça. Donc le regret des souffrances ne peut plus passer par là. Et si on est croyant, s'opposer à Dieu au nom de cette inaction même est un blasphème enfantin (ou gateux) qui nie sa toute puissance: bien sur qu'il le fait exprès et le mystère du surnaturel devant être arbitré par le con, pêcheur en plus, qu'est ce que vous en faites ? De bout en bout, ce qui reste dans les crânes de ces abrutis après leur formation religieuse ratée est d'un vulgaire et d'une connerie, je vous dis pas. 

Par contre, coté sacrifice revenchard, on se pose là: la mort de ces vieux doit, au moins en principe, être évitée. Alors on sacrifie ce monde injuste au cruel dieu des enfers: par un potlatch magnifique et inutile on détruit le monde entier pour faire semblant d'agir alors qu'on ne fait rien à part laisser mourir... Incapable de laisser mourir vraiment, et aussi de s'organiser pour éviter vraiment la contagion en fait faire les deux ce qui la seule attitude virile possible aux âmes bien nées, et on fait l'inverse: la non action suicidaire. Comme si on voulait mourir aussi, pour ne pas voir... 

Toute la tradition musicale et culturelle européenne qui a fondé notre monde est une réflexion sur la mort et ses qualités et sa vraie tristesse plus l'espoir fou fondateur d'une refondation du monde basée sur sa défaite finale, avec l'espoir d'un futur ou tout revivrait et des connards couverts de dégueulis viennent t'expliquer qu'ils ont compris le monde : nous sommes seuls,  c'est trop injuste ? 

Qui parle des 10000  (au moins) pauvres vieux ou obèses timides trop flemmards pour aller faire la queue aux urgences qui se sont mis à mal respirer et qui sont morts chez eux sans rien dire, sans être ni consolé, ni entubé ni compté ? Qu'ont ils pensé ou souffert ou maudit pendant leur chtite agonie au doliprane ? Rien d'intéressant pour les humanitaires et les incapables qui n'organisèrent en rien ni leur protection ni celle de leurs enfants, maintenant au chômage. 

Et tout à l'avenant: on peut imaginer que les instants qui précèdent le passage au rien font partie de la vie et il est sur que goinfré du fameux rivotril (autorisé et bon, contrairement à la chloroquine, interdite et mauvaise) et donc déjà dans les vapes le mourant peut penser à l'avenir: il en a eu le loisir dans les instants qui ont précédé l'absorbtion du cacheton, date effective de son départ du monde. Les moyenâgeux, connaisseurs de la torture,  retardaient au maximum, quitte à souffrir un peu, la perte du sens de la vie: cela jouait dans les combats, dans les agonies interminables, dans les morts en couches qui n'en finissaient plus. Nous n'avons plus ce souci: l'abrutissement ordinaire est tel qu'il doit être un culte jusqu'au bout. Et puis après dix ans d'altzheimer à penser et dire n'importe quoi, qu'importe finalement la mort terminale ? Qu'aura-t-on gardé ? Une petite étincelle de conscience, réelle quoiqu'on en dise, cela est certain. Raison de plus pour ne pas en faire une chose et donc accepter qu'elle disparaisse, comme cette chose qui s'appelle la vie et dont la valeur ne serait rien si elle durait toujours. 

Comparons les cultures: la grande culture littéraire française, le Camus révéré fondateur de la conscience moderne, mort dans un accident de voiture (a-t-il souffert ? ), le parangon de la conscience spirituelle des hommes d'aujourd'hui avec ses petits cris aigus de révolte contre la mort. Les crétins incultes dégénérés qui n'ont que ça à se mettre dans le cul ont-ils ne serait ce que dix minutes tenté de comprendre la grandeur d'un texte de Luther mis en musique par qui vous savez ? 

Den Tod niemand zwingen kunnt
Nul ne peut contraindre la mort
Bei allen Menschenkindern,
Parmi le genre humain,
Das macht' alles unsre Sünd,
La faute en revient seulement à nos péchés,
Kein Unschuld war zu finden.
Il n'existait pas d'innocents.

Davon kam der Tod so bald
C'est pourquoi la mort fut si prompte
Und nahm über uns Gewalt,
À s'emparer de nous
Hielt uns in seinem Reich gefangen.
Et à nous retenir captifs dans son empire.

Et en plus, le rythme lent est plaisant et il y en a 7 des couplets  comme ça ! Jouissez de la mort pour rien de nos vieux abandonnés mais pensez à eux, il ne leur reste que ça et nous serons bientôt comme eux. 

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