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L'autre monde

Il semble parfois qu'un autre monde existe, juste à coté de nous, radicalement étranger, radicalement absurde, et qu'une partie de notre monde à nous, celui qui feint d'être normal, en fait partie et parle en son nom. Comment expliquer autrement ces silences, ces mensonges effrayants, ces assentiments silencieux au plus révoltant, au plus absurde, au plus évidemment nocif? 

Bien évidemment, vieillissant témoin d'un changement d'époque, je suis progressivement mis hors course et hors du monde tout court moi même, et cette illusion est bien sur celle des ténèbres qui s'approchent et qui pour moins me terrifier me certifient sans cesse que cela ne vaut pas la peine de rester. Un grand classique, un quasi mécanisme physiologique, une loi de la nature compatissante. 

Cependant les exemples s'accumulent, et alors qu'on pourrait croire désirable des réactions, ne serait ce que des réactions d'humeur, rien ne se passe, sinon une longue suite d'acquiescements silencieux, et par suite, la généralisation du sentiment que tout cela est normal. L'effrayante normalité de l'absurde. La cantatrice chauve, à force d'être jouée, a fini par obtenir ce qu'elle voulait et prévoyait, ce qu'elle enviait de la Roumanie des années quarante. Ionesco a vaincu, mort. 

J'ai déjà joué ici de ces sentiments, et en me relisant me semble devoir et pouvoir ajouter quelque chose d'autre, à savoir de tenter de décrire et peut être d'expliquer ce qui se passe et qui pourrait justifier ce qui me semble si étonnant et si incompréhensible. 

Il s'agirait de mettre en lumière les mécanismes, des tropes d'imagination, qui répandus autrefois chez les élites, et descendu goutte à goutte depuis chez tout le monde, font qu'un vocabulaire, qu'une ambiance dont les fondamentaux, les raisons et le contexte ont disparu depuis longtemps restent présents. Une civilisation en quelque sorte, au sens traditionnel du terme: la sédimentation d'imaginaires de long terme. 

Cette théorie toute médiatique du sentiment commun, à l'opposé de toutes les théories de la domination et du complot en général (on va en reparler) me semble avoir un pouvoir explicatif. Je me situerais ainsi parmi les écologistes des idées, croyant en la permanence des complexes idéels, ceux qui se maintiennent présent à l'esprit des gens, et qui finissent par être acceptés et oubliés de tous, sans conditions particulières. On ne voit pas l'air du temps, pourtant public: on le respire. 

Pas d'inconscient ici: ce qui n'est pas perçu n'est pas souterrain, ou hors du langage: il est simplement forclos, et délibérément rejeté du conscient capable de le manipuler. Mieux: c'est parce qu'on le connait et qu'on le reconnait qu'on le rejette mieux et le plus vite. Il est l'évidence, le déjà là, celui dont qu'on ne discute pas et dont on ne parle pas. 

Le renouvellement des générations est pour beaucoup dans cette sédimentation, en permanence consolidée par un mécanisme (là encore, on est dans la contre réaction matérielle des objets qui se frottent les uns contre les autres) fondamental qui est le renforcement aujourd'hui de ce qu'on a pas refusé dans le passé. Le refus d'avoir tort rétrospectivement est une force considérable qui n'est brisée qu'accidentellement et de manière toujours étrange. 

Les 3 exemples du nazisme et des deux communismes sont frappants.

Jusqu'au bout capables de la violence la plus extrême les allemands de 1945 se transformèrent en moutons instantanément, comme par magie. Leurs femmes, qui avaient encouragé avec vigueur et sans nuances les plus extrêmes virilités se firent alors violer en silence sans rien dire. Comment expliquer la vigueur de leurs combats cinq minutes avant la mort de Hitler ? Ce mystère historique n'a pour explication que le refus collectif de décider de changer après qu'on l'ait déjà refusé. Cela durait depuis des années, et la folie de la chose, évidente, ne pouvait pas être arrêtée alors qu'on savait... Comment se donner tort? 

Le communisme russe s'effondra de la même manière, lui aussi sans violences, après coup. Il avait duré au delà du possible, le mécanisme conservateur ayant été distendu jusqu'à la rupture simple et silencieuse du dernier fil qui tenait la barque attachée... Un soulagement final, dont l'absurde évidence avait pour équivalent le soin que l'on avait eu à faire semblant si longtemps. La figure de Gorbatchev est de ce point de vue frappante: ses pitoyables tentative de rationaliser son action après coup n'attirent que des sourires peinés. Un guignol, littéralement. 

Le communisme chinois est toujours actif, et pour cette raison là. Bien sur encore nécessaire pour maintenir la richesse et la puissance de la plus grande aristocratie du monde, la horde mongole qui écrasa tout en 1949, la tyrannie se maintient malgré toutes les évidences, toutes les réalités et toutes les contradictions. Le mensonge est toujours là, toujours révéré, toujours à rebours de la réalité (qui n'a pas plus de rapport avec la révolution idéale sous sa forme collectiviste que sous sa forme capitaliste débridée (oups pardon)). En voyage avec leur argent, les sujets de l'empereur de la dynastie la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité se marient en blanc devant Notre Dame, sans jamais songer à l'effrayant et vomitoire mépris qu'on voue à leur être, à leur passé et à leur présent. C'est dit. 

Dans les trois, cas on a eu la continuation des effets catastrophiques d'évènements bien plus anciens, dont les aspects médiatiques ont disparu dans d'autres sortes de forclusions, celles qui se produisent (tout aussi mécaniquement) quand les porteurs humains de ces sentiments là meurent, sachant qu'on peut mourir de diverses manières, les morts violentes empêchant toute espèce de transmission et le rôle des révolutions est de nettoyer les terrains à bâtir, en particulier les vider les esprits, on ne dira jamais assez. Car c'est bien le but des propagandes que d'occuper les cerveaux. Après, on s'habitue: ce qui hante les crânes du peuple n'est bien souvent que le souvenir d'un vieux discours sur un vieux souvenir. Qu'est ce qui pourrait bien faire penser aux jeunes chinois que certains de leurs lointains cousins, il y a cinquante ans, se dévoraient entre eux pour survivre?

Les trois grandes catastrophes du XXème siècle auraient elles détruit le monde? Avant de s'en prendre aux russes ou aux chinois, considérons les européens. Il furent les inventeurs de tout, et les acteurs de tout et aujourd'hui sombrent dans un délire naïf qui nous ridiculise au delà de tout. Qu'on me comprenne bien: l'Europe a déjà connu cela dans l'autre sens, quand sa folie sur-puissante l'amena directement à la pire des catastrophes il y a cent ans. Un absurde et ruineux conflit, bien sur causé par la forfanterie Allemande et son propre sentiment de supériorité. Simplement, et ce fut là le drame, elle alla bien trop loin dans l'entretien irrépressible de son sentiment irréel de solitude. Cent ans (tout le XIXème siècle) à avoir eu raison sur tout et à avoir sorti du néant de l'histoire la première puissance du monde que des vaincus et des commerçants voulaient contester ! Il fallut deux guerres mondiales pour terminer cette habitude là.

Si ma théorie est vraie, le sentiment que je veux décrire est très puissant: la conviction des peuples est une chose très forte, et qui ne se manipule pas comme cela, sinon dans son sens...

On pourrait parler de la France, voire de la Grande Bretagne et c'est un peu la même histoire, celle de l'Europe justement. Un temps dressée contre la Russie, pour cela il fallut tout le coca cola et tous les bas nylons américain pour nous convaincre de ne pas verser, nous avons changé d'emprise sur le monde et avons cessé de vouloir quoique ce soit. Pire: nous avons réfléchi et passé les soixante dix dernières années à ressasser notre fin, et à donner raison à nos pire ennemis, à les envier et à les révérer. La question du marxisme des années soixante et d'après est évidemment centrale ici. On fête demain Mai 68... 

Comment un tel oubli, après un tel abaissement fut-il possible? En une génération, toutes les hontes étaient bues, et on repartait dans les même errements, les mêmes stupidités, à se désoler de se reproduire, d'ailleurs cela pourrait cesser, les allemands et les italiens, par honte sans doute, ont largement commencé, et la France suit derrière. Le regard brulant de Badiou le montre bien: on veut, on attend la révolution... Elle aura lieu 13 ans plus tard:

 


                                         

 

L'entretien entre le jeune Alain Badiou et le vieux (il mourra en 1968, mais en Octobre) Jean Hyppolite est bien sur passionnant: la science est  inférieure à la philosophie, la nature de l'être rend possible l'opposition entre les philosophies, il faut s'interroger sur les sources de la pensée. On se finit par un éloge de Platon, mais l'essentiel est donné au jeune salopard qui continue avec une faconde magnifique certes, de nous casser les couilles avec son pol pot cinquante ans après. Mon amour haine envers Badiou est extrême, il est pour moi à la fois De Gaulle et Mao et un être infiniment plus riche et plus intelligent que moi, en tout cas, lui aussi un acteur extraordinaire, mais passionné de déconnade, il ne fit que cela, et il y a encore des gens pour prendre au sérieux le Cyril Hanouna de la philosophie. 

Au passage, on se prend à penser que la jeunesse du vieux maitre, toute entière tournée vers un être dont on a vu ce qu'il faisait, reste marquée par la fin des religions et par la volonté de lui substituer une science négatrice dialectiquement du principe de contradiction. Badiou vibrant en est le réceptacle, les 3 instants de l'histoire dont je parle sont un beau moment de philosophie.

Il faut demander à Badiou au sujet d'Hyppolite: 


                                       

 

On peut donc voir là dedans à la fois toute la superficialité et toute l'humanité déconnante de ces gens là. Eternellement jeune, le vieux badiou (il a 81 ans) continue à faire l'andouille.

Et Hyppolite fut ainsi donc un traducteur de Hegel dont le texte Français était supérieur au texte Allemand ! (Cette légende, à proprement parler ahurissante, fait penser que les thuriféraires devaient être partie prenante du maoïsme, suivez mon regard, on ne déconne vraiment bien que dans la cour de la rue d'Ulm.

Et puis il y avait Althusser, bref, toute la folie communiste du monde, en pleine guerre froide. On a construit sous le Gaullisme qu'on chercha (et réussit) à abattre, l'élection de Mitterand, puis la situation actuelle. Qu'en reste-t-il ? 

Et bien le soutien aux migrants. Nous y sommes et je ne peux m'empêcher d'asséner la chose: c'est le point commun de toutes les trajectoires issues de ces années là. Comme si ne restait de 68 qu'un petit retour de flamme pour les enfants de ceux qui 28 ans plus tôt fuyaient Paris avec leur matelas avant de se donner à Pétain. 

Une "marche de la solidarité" entre vintimille et calais est organisée par des associations: quoi de plus ignoble que l'invasion symbolisée par des complices des trafiquants d'esclaves. Combien d'occasions manquées aurons nous de buter ces misérables ? 

Bien sur le même réflexe se manifeste en Allemagne: quinze millions d'Allemands furent transplantés à travers l'Europe, mais en 45. Les italiens n'ont pas d'excuses: à ce sujet j'ignore complètement les raisons de leur folie. Ah si! Le vatican et ce qui reste de christianisme dans ce pays dont la partie sud, gérée par la Mafia, doit avoir quelque chose à expier sans doute. De vieux souvenirs enfouis, mais surtout, le refus de ce qui a suivi et de ce qui avait précédé, et qui avait consacré leur honte: la parole nationale, la défense de soi, raisonnable ou hystérique, mais confondue. Le nationalisme c'est la guerre, a dit Macron. 

Car il y a un autre mécanisme. On peut avoir fait semblant d'oublier les vieux souvenirs. Ils reviennent au galop et avec une frénésie qu'une génération de silence de mort n'avait pas atténué. Tous les souvenirs. On commence par 45 et les réfugiés, mais le cran d'après (je veux dire "d'avant") est déjà là: la peur de disparaitre, et la haine de la faiblesse et de la démagogie des politiques. S'installe durablement donc toute la gamme de toutes les déplorations y compris la mienne, toute rageuse de l'absence définitive de toute parole de bon sens dans un monde livré à l'absurde. Il ne restera plus que la solution finale à tout cela. 

Un mot au sujet de celle qui consiste à fronder contre l'ignoble cruauté du gouvernement actuel, qui en gros ne fait strictement rien sinon bouger au hasard quelques curseurs administratifs: elle fait bien sur partie de l'absurde et le consacre davantage. Déplorable mais élément de la confusion qui emporte la conviction de quelques mauvaises consciences: le juste milieu serait en place, et cela stabilise. 

Une partie de l'Europe s'enfonce dans un délire chrétien soutenu par le Vatican, s'excuse de tous les racismes, y compris au Royaume Uni dont la gauche (maintenant la plus chtarbée du monde occidental) atteint des sommets de folie bien pensante avec Sadiq Khan, maire de Londres en pointe. Des fractures irrémédiables et terminales se creusent et les juifs commencent à partir, comme de partout où les musulmans ont droit de cité exagérément. Quand ils ne l'ont pas, ils se pressent contre les grillages et il n'y a qu'à la frontière de Gaza qu'on peut se défouler. 

Tout peut être dit de la sorte de désespoir qui s'empare peu à peu de l'occident: délaissé par le libéralisme, revenu du communisme, il ne nous reste plus qu'à disparaitre, ça tombe bien on en a envie et cela vient de toutes parts, la nature a horreur du vide. 

Privés des points de vue puissants et cyniques qui finalement on réussi à vaincre le nazisme et faire bonne figure contre bien pire, nous sommes maintenant livrés aux vagues. Aucun point de vue explicatif ou même volontaire  ne nous aidera, nous avons pensé leur disparition, et élevé et nourri des jeunes turcs persuadé de la nécessaire destruction de tout, seul discours public à tenir si on veut péchaud à notre époque. Note époque? Vous voulez dire mai 68?

Pourquoi 68? Parce qu'il fut un irréel, un absurde, lui même. Sous prétexte de crever le plafond parce qu'on s'ennuie, on réussit dans la fête à ruiner le rationnel. Ca tombe bien nos bon maitres avaient tenté, croyant juguler le pire, de penser un moyen terme. Hegel, Marx, que du beau monde, mais on pensait en fait à Platon, toujours d'actualité soit disant. Il pensait la fin de la cité grecque.

Il ne croyait pas si bien penser, et c'est sans doute ce que rêvassaient des hommes vieillissants échappés des années trente opposés, c'est le mécanisme que j'évoque, à tout ce qui pourrait contredire ce à quoi ils avaient, et oui, cru et participé: la disparition de l'occident deux fois, devant les nazis et devant les communistes en fait les deux. Hantés par la fin du monde qu'ils avaient d'abord fantasmé, puis vécu, ils ne leur restait après la restauration qu'un sentiment vaguement déçu, et la déception d'être encore vivant. Et puis, cette haine des juifs, responsables de tout, et qu'on doit taire, pour l'instant. 

Quand arrive la seconde vague, les africains décomplexés, pleins d'une naïve et spontanée dénonciation de tout ce qu'on rêve secrètement de combattre depuis toujours: le capitalisme, l'amérique et bien sur les juifs, et bien on se croit regénéré ! Mettez sur ça l'universalisme chrétien qui c'est sur va s'emparer des âmes de ceux qu'on sauve et qui trouveront bien un moyen de nous remercier, en nous épargnant sans doute, nous y sommes. La naïveté de bon aloi est professée par tout le monde: l'occident est assez riche pour accueillir quelques milliers de gens courageux qui se noient.  Mieux, une ex ministre de la république nous fait honte de ne pas être tout à fait unanimes à proclamer la nécessité des migrations bénéfiques ! 

A ce propos la fureur qui s'empare de moi à la vision de la grosse guyanaise sentencieuse amatrice de radeaux pneumatiques rempli par les esclavagistes, les vrais,  n'a pas de bornes. Un autre monde, un océan nous sépare: une haine se construit, et se traduira dans les faits, il me faudrait (un peu) de sang pour me calmer. 

Et d'ailleurs au sujet des juifs, imaginez la haine légitime qu'on peut et doit leur vouer: ils tirent à balles réelles sur des envahisseurs qui veulent violer leur frontières et en tuent dix par jour: inventeur du concept de nation, les derniers représentants du monde occidental font ce que nous devrions faire. Le sang des provocateurs surnuméraires fanatisés envoyés par leur mères justifier des allocations supplémentaires de la part des organismes internationaux suscite pourtant un mépris légitime, accentué par le fait que je ne vois dans leur hystérie haineuse que celle de notre ex ministre: la même haine totale à laquelle ne convient que la violence. Il lui en faut: qu'on l'extirpe de sa retraite et qu'on lui fasse bouffer un gilet de sauvetage. 

Comment parler et argumenter dans un monde où s'installent de tels clivages ? 

D'abord il faut revenir aux fondamentaux: les contempteurs du capitalisme de Mai 68 étaient DEJA dans un autre monde, que la déconnade juvénile gentille dont il nous distrayaient, une fois découvert qu'il n'étaient que de cyniques arrivistes bourgeois nous rendait indulgent. Une fois accepté le fait que le discours public intellectuel de toute l'époque est non pas mensonger mais déconnant et niais ( on célèbre par exemple Blanchot, littérateur de la fracture du ciel après avoir vaguement cassé du juif à la grande époque, mais ce n'était pas grave), on se prépare à l'organisation de la destruction finale: augmentons les impôts pour nourrir ceux qu'on va chercher en Afrique ! 

Mécaniquement, une réaction devra avoir lieu, et l'autre monde se divisera à nouveau en deux: comment imaginer que des contemporains férus d'histoire se trouvent ramenés à imaginer à nouveau des moyens d'extermination de masse, et à passer à tabac des vieilles guyanaises pour l'exemple ? Et bien on l'imagine: un autre monde est encore possible. 

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